La « refondation » de l’école a accouché d’une souris. La réforme du collège est très en deçà des attentes. Notre système éducatif n’est pas prêt à remettre en cause son fonctionnement inégalitaire. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.
Le projet de refondation de l’école de l’actuelle majorité a accouché d’une souris. Hormis la fin de la semaine de quatre jours, qui aura fait couler beaucoup d’encre, l’élève français n’aura pas vu beaucoup d’évolutions. Quasiment aucun changement au primaire ou au lycée, quelques retouches dans le fonctionnement du collège, mais rien sur l’essentiel. La « réforme du collège » (et les évolutions des programmes, qui constituent un volet à part) va dans le bon sens : quelques enseignements transversaux, remise à leur place du latin et du grec, élargissement de l’apprentissage d’une seconde langue. Contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs, cette réforme reste en réalité plus que modeste, très loin d’une « refondation », et bien en deçà de l’enjeu.
Beaucoup a été dit sur le renoncement de l’actuelle majorité à réformer la fiscalité et ses conséquences en termes d’inégalités de niveaux de vie. Bien moins pour ce qui est de l’école, alors que cela est beaucoup plus grave. Celle-ci devait être « refondée », elle ne le sera pas, et ce vide a des conséquences désastreuses pour les plus défavorisés. Dans un pays où l’on accorde une place démesurée au diplôme, l’école joue un rôle central dans la reproduction des inégalités dans le temps.
Comment en est-on arrivé là alors que de fortes attentes avaient été suscitées par la promesse d’une « refondation » et que notre pays est l’un de ceux qui a produit les réflexions les plus abouties en matière de modernisation des pratiques enseignantes ? D’abord, à cause d’une incompréhension sur le contenu même d’une réforme. L’enjeu scolaire actuel n’est pas tant de savoir quels sont les horaires de cours, le nombre d’enseignants, voire les disciplines enseignées, mais la façon dont on fait l’école, dont on enseigne. Le système français a peu changé depuis les années 1960, contrairement à bien d’autres pays. Il souffre de nombreux maux : importance bien trop grande donnée à la mémorisation sur la compréhension des mécanismes et de la théorie sur l’expérimentation, programmes surchargés, faible autonomie des élèves, compétition bien trop tendue alimentée par une évaluation forcenée, etc. La place démesurée des mathématiques dans la sélection, critiquée de longue date, n’est jamais remise en cause. Le problème de la réforme de l’organisation du collège et des programmes n’a rien à voir avec ce qu’en disent la plupart de ses détracteurs : c’est surtout qu’elle ne modifie pas grand-chose au cœur du problème, exceptée la mise en place de davantage d’enseignements inter-disciplinaires.
Beaucoup plus que le niveau scolaire, l’intérêt des enquêtes dites « Pisa » de l’OCDE est de montrer que les jeunes Français sont les plus anxieux à l’école du fait d’un enseignement qui, plutôt que d’aider l’élève dans sa progression, constitue une machine à trier qui fonctionne par la peur de l’échec. Ainsi, par exemple, 43 % des élèves français de 15 ans se sentent perdus quand ils doivent faire un devoir de maths, contre 18 % des jeunes Néerlandais. Le règne de la carotte et du bâton fait qu’en lieu de têtes bien faites, on produit nombre de têtes bien pleines et de savants bachoteurs, loin d’être les plus à même de raisonner. Cette situation a une répercussion sur la qualité des élites ainsi produites, alimentées pour prendre leurs décisions par des fiches de synthèses, elles-mêmes rédigées par le produit de la sur-sélection scolaire des grandes écoles.
Il ne s’agit pas vraiment d’une incompréhension. Ces éléments sont connus de tous les experts de l’éducation. Dernier exemple, la « conférence nationale sur l’évaluation des élèves », qui a remis en février dernier un ensemble de recommandations sur l’évaluation fondées sur la base d’un travail de grande qualité. Elles ne seront jamais appliquées. Si le gouvernement a reculé sur ce sujet comme sur la réforme scolaire en général, c’est que les intérêts du conservatisme scolaire ont eu gain de cause au moment de la décision. Si la mini-réforme du collège actuellement en débat suscite tant d’oppositions, c’est qu’elle commence tout juste à porter sur le fond du problème, même si c’est de façon homéopathique.
Ces petits changements sont insupportables pour les défenseurs de l’école d’hier. Le conservatisme scolaire a un poids particulier en France : il est défendu par une alliance hétéroclite, qui va des conservateurs traditionnels aux fervents critiques de la « mondialisation néolibérale », au nom de la défense du service public. De « Marianne » au « Point », du PC au Front national, les mesures les plus timides font se lever les lobbys contre le « pédagogisme » avec le même argument : moderniser l’école serait faire le jeu de la bourgeoisie intellectuelle, la préserver dans sa forme des années 1950, c’est soutenir le peuple en défendant « le niveau » contre le « nivellement par le bas » [1]. Vive les blouses, le latin, les filières séparées pour les enfants des catégories populaires dès le primaire. La France serait une exception alors que tous les pays qui ont modernisé leur école sont à la fois moins inégalitaires et meilleurs du point de vue du niveau scolaire. Cet argumentaire n’est qu’un prétexte pour préserver un système calé sur la culture des enfants de diplômés et qui leur profite à plein. Le pseudo « élitisme républicain » a toujours été, dès l’origine, un élitisme social qui met en vitrine une poignée de boursiers méritants pour préserver les privilèges des enfants biens nés.
Bien des raisons expliquent le soutien à ce conservatisme scolaire de classe. L’une des principales est le mépris social porté envers ceux qui constituent la graisse du « mammouth », les enseignants. Non par les parents en général, mais par les élites politiques, médiatiques et l’institution elle-même. De la même façon qu’une partie des ouvriers se tourne vers le Front national pour exprimer leur colère, nombre d’enseignants se radicalisent faute d’être entendus et soutenus au quotidien. Heureusement, quelques professeurs isolés continuent à biaiser avec les consignes officielles et font l’école autrement [2]. Mais ils ne sont plus réellement entendus par un pouvoir qui a rangé ses valeurs au rayon des accessoires.
Il y a plus : moderniser l’école et la rendre plus juste serait agir au cœur même du système des inégalités. Cela bousculerait sans doute trop de hiérarchies sociales et de privilèges dans une société qui se dit égalitaire mais profondément clivée par le titre scolaire qui fonctionne comme un titre de noblesse. Imaginez qu’un enfant d’enseignant ait autant de chance à la naissance de réussir à obtenir son bac qu’un enfant d’ouvrier non qualifié, alors qu’aujourd’hui il en a deux fois plus. Tout l’ordre social serait alors bouleversé, trop pour que ceux qui détiennent le pouvoir scolaire aujourd’hui puissent l’accepter.
La refondation de l’école est morte. Comme pour la réforme fiscale, pour la mettre en œuvre il aurait fallu une vraie dose de courage politique, qui consiste à défendre l’intérêt général des élèves contre les groupes de pression de tous ordres. Comme pour la réforme fiscale, le courage a fait défaut dès le début du quinquennat : le pouvoir a rendu son tablier aux sondages, qui l’ont entraîné dans sa chute. Ce courage ne reviendra pas à deux ans de la fin du mandat présidentiel.
Louis Maurin
Cette tribune est adaptée d’un texte paru le 27 avril 2015 sur le site www.alterecoplus.fr sous le titre « Refondation de l’école : un recul lourd de conséquences ».
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