Najat Vallaud-Belkacem entend limiter le redoublement à des cas exceptionnels. Mais quelles sont les solutions ? Eclairage avec Olivier Rey de l’Institut français de l’éducation (IFÉ) à l’ENS de Lyon.
Redouble-t-on plus en France qu’ailleurs ?
La France fait effectivement partie des pays où l’on redouble beaucoup. Selon la dernière enquête PISA, 28 % des jeunes âgés de 15 ans ont déjà redoublé une fois lors de leur scolarité. En 2009, la France était le pays de l’OCDE où l’on redoublait le plus ! Aujourd’hui, elle n’arrive qu’en 5e position après l’Espagne, le Luxembourg, le Portugal et la Belgique. A contrario, au Royaume-Uni, au Danemark ou en Suède moins de 5 % des élèves redoublent…
Comment expliquez-vous ces différences ?
C’est une question de culture. En France, l’excellence passe trop souvent par le tri. Quand des établissements scolaires sont en situation de concurrence, une politique de sélection dure est un moyen d’envoyer un signal sur ses exigences. Pour certains enseignants, le redoublement est aussi utilisé pour réguler le travail et les comportements des élèves. C’est la politique de la carotte et du bâton. Par ailleurs, les classes avec de fortes différences de niveaux entre élèves font peur, car elles sont plus difficiles à gérer que les classes homogènes. Enfin, nous avons en France une représentation du savoir en escalier : impossible de passer à la notion suivante si on n’a pas acquis la précédente.
Quelles sont les classes les plus « critiques » ?
En primaire, c’est le CP ou le CE1 et dans le secondaire, la 3e et la seconde. Pour les premiers, les redoublements se font souvent à la demande des enseignants, qui craignent que les élèves ne maîtrisant pas les savoirs fondamentaux accumulent du retard. Pour les seconds, c’est davantage lié à l’appréciation des parents, et à des stratégies d’orientation. Mais il est sûr que le redoublement ne touche pas tout le monde de la même façon. En lycée professionnel par exemple, le nombre d’élèves redoublant s’élève à 60 % !
La loi du 8 juillet 2013 de refondation de l’Ecole fait pourtant du redoublement une procédure exceptionnelle…
C’est exact. Mais les textes ne sont pas très contraignants. Quelles sont les circonstances « exceptionnelles » qui pourraient justifier un redoublement ? Aucun critère n’est spécifié. La décision est donc laissée à une appréciation générale. Malgré tout, les résultats sont là : depuis 30 ans, la tendance est à une forte diminution du redoublement. Il y a 20 ans, un élève sur deux « repiquait » !
Le redoublement est-il efficace ?
S’il est vrai qu’à court terme, les élèves semblent obtenir de meilleurs résultats, ce n’est pas le cas à moyen et à long terme. Toutes les études le montrent. Le redoublement envoie au contraire un signal défavorable qui peut poursuivre les élèves jusqu’à l’entrée dans le monde du travail. Il les démotive et les stigmatise. Il ne peut être bénéfique que dans de rares cas (maladies, problèmes personnels graves, manque de maturité). Plus globalement, refaire une année d’enseignement à un coût. Le CNESCO, qui prépare actuellement avec l’IFÉ une conférence de consensus sur le redoublement fin janvier 2015, l’estime à 1,6 milliard par an. Soit l’équivalent de 6 000 postes d’enseignants. Cela fait réfléchir…
Quelles sont les autres alternatives ?
Une alternative peut résider dans le fait d’appréhender l’élève de la manière la plus individualisée possible, afin d’identifier ses problèmes. A-t-il des difficultés à organiser son travail ? A gérer le passage de la famille à l’école ? Certaines notions le bloquent-il ?
On a du mal à faire cela. Pourtant, ce n’est qu’à partir de ce diagnostic qu’on peut trouver une solution adaptée à chacun. Plusieurs pistes existent, d’autres pays les utilisent. L’apprentissage coopératif ou par les pairs par exemple. Cela consiste à faire travailler les élèves de manière collective : les plus à l’aise aidant les autres. On peut aussi imaginer des possibilités de rattrapage pendant les grandes vacances, avec les systèmes d’école ouverte, voire l’organisation d’épreuves supplémentaires en fin d’année. Ou encore des procédures de promotion conditionnelle, c’est-à-dire que l’élève passe en classe supérieure mais avec l’obligation de rattraper pendant l’année ses déficits dans certaines matières.
On peut aussi fonctionner avec des classes multi-âges, dans lesquelles l’enseignant partage son temps entre des élèves de différents niveaux et dans lesquelles il s’adapte au rythme de chacun. Reste enfin à travailler sur la relation aux parents. L’enseignant doit leur donner les outils pour aider leur enfant. Enseignants et parents doivent être unis dans la bataille contre l’échec scolaire.
Stéphanie Cayrol