Pour Daniel Keller, grand maître du Grand Orient de France, « au moment où la laïcité semble apparaître comme un ultime recours pour toutes celles et tous ceux qui souhaitent rebâtir la République », il convient de rappeler précisément ce qu’elle est. Et ce qu’elle n’est pas. « La laïcité, écrit-il par exemple, n’a pas pour vocation d’apporter une meilleure connaissance du fait religieux, que ce soit dans le cadre des “livrets de la laïcité”, des programmes scolaires ou à travers la création d’établissements privés de théologie musulmane. »
>>> Tribune parue dans Marianne daté du 23 janvier
A un moment où la laïcité semble apparaître comme un ultime recours pour toutes celles et tous ceux qui souhaitent rebâtir la République, l’avis émis par l’Observatoire de la laïcité le 14 janvier montre les écueils qu’il conviendra d’éviter si l’on ambitionne pour la République autre chose que sa transformation en une mosaïque pluriconfessionnelle. Il appartient à l’Etat de garantir à chaque religion le droit de pratiquer son culte en toute quiétude, tout comme l’enseignement de l’histoire doit permettre à tout élève de connaître l’histoire des religions. De même, il n’est pas contestable que la présence d’aumôniers musulmans dans les prisons puisse constituer un réel soutien pour les détenus qui ont embrassé cette religion. Mais ces mesures ne sauraient relever de la promotion de la laïcité, contrairement aux suggestions faites par l’observatoire. C’est même tout le contraire. La laïcité n’a pas pour vocation d’apporter une meilleure connaissance du fait religieux, que ce soit dans le cadre des « livrets de la laïcité », des programmes scolaires ou à travers la création d’établissements privés de théologie musulmane.
Le moment est venu de rappeler ce qu’est la laïcité, à savoir un principe d’organisation de la société fondé sur la séparation des églises et de l’Etat, de telle sorte que dans l’espace public les confessions restent silencieuses. S’il en est ainsi, ce n’est pas parce que la laïcité serait une antireligion, c’est simplement parce que l’espace public est le terrain à l’intérieur duquel les individus doivent faire l’expérience de leur qualité de citoyen. Et cet exercice exige que l’on se départe des assignations de toute nature qui pèsent sur nous.
La laïcité est donc avant tout le creuset de l’éducation à la citoyenneté. Elle est un contenant plus qu’un contenu et elle crée les conditions grâce auxquelles tout individu devrait être en mesure de participer à la communauté des citoyens qui incarne la République. Le vivre-ensemble ne repose ni sur une loi préalable ni sur l’imposition d’un dogme, il est le produit d’une invention collective parce que le vivre-ensemble républicain est toujours un vivre-ensemble en devenir.
L’émancipation que propose la laïcité ne saurait être une émancipation abstraiteC’est à l’école que doit s’opérer la construction première de la citoyenneté. Elle commence par l’apprentissage de la civilité sans laquelle il n’est que négation de l’autre. Civilité des enfants entre eux, civilité envers les adultes qui les encadrent. Cela se poursuit par le réapprentissage de la notion de respect. Le respect n’est pas soumission, il est une marque de reconnaissance envers celui qui est chargé de transmettre un savoir. L’école doit aussi permettre de mettre en pratique les notions de solidarité et d’entraide. Le but reste de favoriser une connaissance réciproque qui fasse reculer les facteurs d’incompréhension, d’éveiller le sens de l’empathie. Celle-ci est la première marche de la fraternité sur laquelle repose la République.
L’école est aussi le lieu où chacun doit accéder à la liberté, c’est-à-dire avant tout la liberté de l’esprit. Cela passe par un enseignement qui mette en perspective le chemin qu’ouvre l’exercice de la liberté de conscience : il doit favoriser l’éclosion de l’esprit critique, l’aptitude à mettre à distance ses propres opinions et préjugés. Mais l’enseignement doit aussi favoriser une réflexion sur toutes les entraves et inégalités qui fragilisent le pacte citoyen, à savoir les discriminations, les inégalités entre les hommes et les femmes.
Réaliser une telle ambition repose sur quelques prérequis nécessaires : la maîtrise du langage et de l’écriture chez l’élève demeure le fondement indispensable à l’exercice d’une raison éclairée. Expression du caractère libérateur du savoir, cette maîtrise est nécessaire à toute construction d’une sociabilité fondée sur le dialogue. Elle trouvera des prolongements dans la suite du parcours scolaire, dans le cadre de la compréhension de ce qu’est la démocratie, de ce que sont les grandes lois qui en constituent les piliers, de l’engagement de celles et ceux qui se sont battus pour la République et, de ce point de vue, l’entrée au Panthéon de Jean Zay, Pierre Brossolette, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz offre une opportunité, sans parler de la mise en place d’un service civique pour tous, destiné à mettre la jeunesse en situation de responsabilité.
Cette politique ne produira d’effet que si la formation des enseignants sensibilise ces derniers aux enjeux de la laïcité. Il est également indispensable que les politiques urbaines, sociales et économiques nécessaires à la reconquête des territoires perdus de la République soient mises en œuvre. Car l’émancipation que propose la laïcité ne saurait être une émancipation abstraite.
En conclusion, la laïcité, c’est avant tout la volonté de faire triompher l’esprit républicain.
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