Familles et centres sociaux dans un environnement social et sociétal en mutation
Les réalités familiales contemporaines sont multiples et complexes. On les dit souvent problématiques, mais ces réalités reflètent surtout les formidables capacités d’adaptation – et parfois d’anticipation – que développent les familles pour faire face aux mutations de leur environnement et, pour commencer, à celles de leurs territoires de vie, qu’ils soient urbains, péri-urbains ou ruraux. On les voit aussi rechercher les moyens d’aménager leurs propres mutations : on ne peut d’ailleurs plus parler aujourd’hui de « la » famille, mais bien plutôt des familles, compte tenu de la diversité de leurs formes et de leurs fonctionnements.
S’agissant des enfants, les parents sont alors bien vite placés en première ligne de l’ajustement aux mutations sociales et sociétales.
Il leur faut concilier leur vie familiale, leur vie professionnelle et leur vie sociale. Ils mobilisent à cet effet des ressources (d’accueil des jeunes enfants, d’accueils périscolaires, de loisirs éducatifs, de soutien scolaire, etc.) qui s’avèrent inégalement présentes et accessibles selon les moyens dont disposent les collectivités locales et selon les choix politiques effectués par leurs élus. Il est à noter que ces ressources sont parfois présentes voire rassemblées au sein des centres sociaux.
Dans la sphère privée de la vie familiale, les parents doivent créer et développer, entre eux et avec leurs enfants, des modalités relationnelles souvent plus ouvertes, plus égalitaires, bref plus « démocratiques » que celles qu’ils ont connues pendant leurs propres enfances. Et ceci dans un environnement socio-économique et culturel qui privilégie l’urgence de la consommation et de la satisfaction immédiate sur la patience requise par la consultation et la négociation. Ici de nouveau, les centres sociaux peuvent apporter assez concrètement leur concours, en contribuant à identifier, analyser et accompagner cette tendance à la démocratisation des relations éducatives entre parents et enfants, entre professionnels et enfants, entre familles et institutions.
Les parents doivent enfin, depuis une bonne dizaine d’années, répondre à des interpellations politiques croissantes et pressantes, et le faire au titre de leurs responsabilités soudain réaffirmées, de leur autorité supposée en berne (mais qu’entend-on par « autorité » ?) et de leur « parentalité » considérée comme défaillante ou en souffrance, et donc à « soutenir » comme telle. Les parents se voient ainsi enjoints de prévenir ou de résoudre seuls, ou presque, des problèmes de société complexes que l’ensemble des élus et des professionnels échouent pourtant à maîtriser (surpoids et obésité, « échec » scolaire, absentéisme scolaire, délinquance des jeunes, pour ne citer que les plus médiatiquement pointés). Ici encore, les centres sociaux jouent un rôle non seulement en confortant les parents dans leurs attributs et leurs fonctions, au moyen notamment d’actions collectives et pas seulement de réponses individuelles et psychologisantes. Mais aussi en les aidant à prendre du recul sur les responsabilités dont on les charge, à analyser politiquement, dans un contexte d’allez retour entre le local et le global, les contradictions dans lesquelles ils sont placés (par exemple, développement du travail du dimanche ou des horaires fractionnés, et injonction à mieux surveiller ses enfants).
Les « compétences » des parents sont dès lors placées sous les feux de la rampe. Parent n’est pourtant pas un métier, mais une expérience qui ne se forme qu’à travers celle qui a été vécue et transmise auprès de ses propres parents et qui s’enrichit par la suite de la pratique auprès de ses propres enfants et, le cas échéant, du contact avec différents professionnels dont les interventions et les conseils ne sont la plupart du temps que ponctuels et/ou circonstanciels.
L’évaluation des dites « compétences parentales » tend cependant à se focaliser sur ce qui fait problème. Elle néglige au passage le grand nombre de solutions que les parents sont amenés à apporter au quotidien, et ceci dans un cadre de vie et au regard de conditions de vie dont les contraintes bien réelles sont souvent sous-estimées par les observateurs et les contempteurs de la « parentalité ». De ce point de vue, il conviendrait plus souvent de mieux connaître, pour mieux la promouvoir, ce qu’il en est aujourd’hui de la condition parentale, dans tous ses aspects concrets, objectifs et collectifs. Bref d’accompagner les parents dans leurs aspirations, et pas seulement d’envisager de « soutenir leur parentalité » en ne s’attachant qu’aux aspects personnels, subjectifs voire psychologiques de celle-ci.
« Soutien à la parentalité » versus « promotion de la condition parentale » : quel paradigme pour élaborer et faire vivre un « projet familles » sur un territoire de développement social ?
Une décennie sépare la circulaire interministérielle de mars 1999 constitutive des « Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents » (REAAP) et l’installation, en novembre 2010, du « Comité national de soutien à la parentalité ». Ce passage de « l’accompagnement des parents » au « soutien à la parentalité » n’est pas anodin.
Le passage de l’« accompagnement » au « soutien » est déjà révélateur d’un important changement de représentations, car incitateur d’un changement de postures mutuelles entre parents et professionnels. Il inscrit ce « soutien » parmi d’autres postures asymétriques et inégalitaires souvent employées ou promues dans le jargon de ces derniers (« guidance », « suivi » ou, plus récemment, « contrat » si souvent léonin qu’il s’entend, se pratique et se vit comme un contrôle, une supervision). Autant de postures qui finissent par privilégier le « face à face » ou le « dos-à-dos » sur le « côte à côte » de l’accompagnement. Et qui font obstacle, en définitive, à l’instauration de dispositions mutuelles propices à des dynamiques et à des alliances coéducatives en leur substituant d’emblée des dispositifs univoques de services descendants, dédiés, générateurs de dettes sociales et symboliques sans contre-dons possibles, et dont la nature objectivement ou subjectivement contraignante se manifeste assez vite.
L’évolution de la terminologie en vigueur dans le discours public, aussi bien politique qu’administratif et professionnel, indique un glissement supplémentaire : il est de moins en moins question « des parents » et de plus en plus de « la parentalité ». On note ici le passage du pluriel au singulier, de l’action collective à l’action individualisée, et donc de l’approche politique à l’approche psychologisante. On note aussi, et peut-être surtout, le passage des personnes réelles (les parents) à un concept idéologiquement déterminé et supposé résumer leurs attributs (la parentalité). La réduction sémantique et la focalisation opérationnelle ainsi opérées le sont sur « une » « parentalité » formelle, idéale, modélisée (quoique sans modèle explicite), bref quasi abstraite mais surtout évoquée, en pratique, quand il s’agit de prétendre la « soutenir ». L’attention est alors aussitôt centrée sur certaines catégories de parents identifiés ou désignés comme étant en difficulté à l’égard de cette norme insaisissable. L’approche politique qui en résulte justifie l’institutionnalisation d’un ensemble de dispositifs extensifs et relativement cohérents de contrôle social ciblés sur les seuls fonctionnements familiaux atypiques, inadéquats ou réputés tels.
Or, en pratique, ce sont les parents eux-mêmes, bien plus que leur « parentalité », qu’il conviendrait d’accompagner et le cas échéant de « soutenir », de façon tangible, respectueuse de leurs rôles et de leurs responsabilités, afin qu’ils puissent devenir les co-créateurs des réponses aux questions qu’ils se posent, ne serait-ce qu’en tant que parents.
L’expérience et l’observation des réalités familiales contemporaines rendent en effet essentielle et souvent prioritaire la prise en compte de la « condition parentale » dans sa globalité, c’est-à-dire de l’ensemble des facteurs, objectifs et subjectifs, sociaux et personnels, qui déterminent les façons de devenir, d’être et de rester parents (mère, père, voire beau-père, belle-mère).
Mettre l’accent, plutôt que sur la « parentalité », sur la « condition parentale » – comme on a pu le faire à propos de la « condition ouvrière », de la « condition paysanne » ou de la « condition féminine » – permet d’insister sur deux considérations d’ordre général :
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d’une part, la condition parentale est l’une des composantes fondamentales, même si elle l’est parmi bien d’autres, de la condition humaine ;
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d’autre part, l’affirmation classique selon laquelle « on ne saurait être parent tout seul » conduit à reconnaître ce qui la fonde, à savoir l’impact très concret – dans l’immédiat et, souvent, dans la durée – des conditions de vie individuelles, familiales, économiques, sociales, résidentielles, etc. sur le bien-être, le bien vivre et l’éducation des enfants.
S’ils acceptent d’ouvrir les yeux et les oreilles au-delà de leurs expériences intimes et de leurs approches subjectives, les professionnels en relation avec des parents ne peuvent que constater l’importance corrélative des facteurs liés aux revenus, à l’emploi ou à l’absence d’emploi, aux conditions et aux horaires de travail de ces parents, au logement familial, à l’urbanisme, aux moyens de communication, à la présence, l’absence et l’accessibilité des équipements et services publics dédiés aux enfants et aux jeunes, etc.
C’est pourquoi la diversité et les inégalités qui caractérisent les cadres et les modalités d’existence au quotidien des parents, des enfants et des jeunes justifient d’accorder une attention première – et politique – aux moyens de faire évoluer avec eux la condition parentale dans une perspective de progrès et de développement sociaux. Il ne serait pas éthique, de la part des professionnels, de se refuser à une telle démarche et de ne pas nourrir le débat public en y versant les observations qu’ils collectent à ce sujet.
Il convient dès lors de procéder à l’inventaire exhaustif et non sélectif des différentes composantes de cette condition parentale, en s’intéressant non seulement aux contraintes et aux difficultés objectives des parents, mais aussi à leurs ressources, à leurs potentialités et à leurs aspirations, de façon à éclairer les décideurs politiques et administratifs sur les moyens de les accompagner et, le cas échéant, de les appuyer et de les « soutenir » dans leurs projets. Cette approche permet en effet, dans un premier temps, de relativiser les responsabilités individuelles des parents, de les déculpabiliser, d’identifier et de mobiliser leurs talents occultés et leurs réseaux sociaux, et de rechercher avec eux des modes de sortie de l’isolement et du fatalisme. Mais elle doit aussi mettre l’accent, dans un second temps, sur les orientations et les choix qui, en matière d’équipements et de services publics de proximité, de législation du travail, de logement, d’éducation scolaire et non scolaire, etc. vont encourager ou non, relayer ou non, les espoirs et les ambitions des parents.
La volonté d’agir sur les conditions de vie des parents, ainsi d’ailleurs que sur leurs cadres de vie, et plus encore la volonté de les inciter à prendre eux même du pouvoir sur ce qui les y inféode amènent en définitive à considérer la question de la « parentalité » – mais en réalité de la condition parentale – comme bien plus politique que psychologique ou éducative. Nombre de décideurs politiques, de fait, ne s’y sont pas trompés, même s’ils ont en souvent tiré des conclusions qui, en les dédouanant de ce qui aurait du en découler pour eux dans la sphère publique en termes de responsabilités, ont tendu à privatiser celles-ci en cherchant à les faire assumer par les seules familles. Les parents et les acteurs engagés auprès d’eux gagneraient à devenir et à rester conscients à leur tour de cette dimension politique afin de ne pas se laisser déposséder des enjeux qui en résultent.
Ces enjeux sont en effet considérables. Ils se déduisent de la promotion de la connaissance dont disposent les parents, en première ligne, sur leur condition parentale ainsi conçue. Ils stipulent qu’il importe de sans cesse les écouter avant d’agir, et dès lors d’agir avec eux et pas seulement pour eux, c’est-à-dire de les accompagner au sens propre du terme. On observera que, dans le cadre d’une éducation démocratique, il en va de même pour les enfants et les jeunes : nombre de décisions prises pour eux par les parents et/ou par les autres éducateurs devraient aujourd’hui l’être après avoir recueilli et pris en considération leurs opinions à ce sujet, eu égard toutefois à leur âge et à leur degré de discernement. En tout état de cause, les familles – parents et enfants – doivent aujourd’hui être reconnues comme détentrices d’une véritable expertise d’expérience et d’usage sur leur territoire de vie et donc comme sources de proposition sur le devenir de celui-ci.
La finalité la plus aboutie d’une démarche visant à écouter, appuyer et accompagner les parents vise au total la possibilité de l’inscrire, à l’échelle du territoire où elle se déploie, dans une perspective de développement social durable. Inciter les parents à devenir et à s’assumer comme acteurs non seulement de leur « parentalité », non seulement de leur « condition parentale », mais aussi et plus largement des modifications de leurs conditions et cadres de vie, induit un changement radical de la représentation qu’ils peuvent se faire d’eux-mêmes et qu’ils peuvent faire valoir autour d’eux. L’enjeu consiste dès lors à ce qu’ils puissent faire reconnaître leur légitimité et leur aptitude à partager un pouvoir de décision sur leur environnement, y compris institutionnel, et sur celui de leurs enfants.
Encore faut-il que les élus, les institutions et les professionnels concernés acceptent et fassent vivre le principe de ce partage. Au-delà des seuls REAAP, dont le périmètre d’influence et d’action reste aujourd’hui limité, c’est notamment aux associations de proximité, aux centres sociaux et socio-culturels, aux Maisons des parents quand il en existe, aux syndicats, aux instances consultatives (conseils de crèches, quand ils ont été mis en place, conseils d’école, conseils de quartier, conseils de la vie sociale, etc.) qu’il revient de promouvoir des occasions et des modalités de participation effective et démocratique des parents – mais aussi, chaque fois que possible, des enfants et des jeunes – aux décisions qui les concernent.
Les plus significatives de ces occasions se sont présentées, depuis près de 15 ans, dans les villes et les intercommunalités qui ont entrepris d’initier des démarches, souvent ambitieuses, de Projet éducatif local (PEL). Ces PEL se consacrent en général à une approche globale de l’éducation, visant à rechercher, accroître et garantir la continuité et la cohérence des temps, des espaces, des contenus éducatifs proposés aux enfants de 0 à 18 ans et, par conséquent, la complémentarité co-éducative des acteurs qui s’y consacrent. C’est pourquoi ils représentent aujourd’hui, au niveau local, une des formes, pluri-institutionnelles et potentiellement citoyennes, les plus abouties de la coéducation en construction et en action.
Plus récemment, l’adoption, le 8 juillet 2013, de la loi « d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école » a fourni l’occasion d’inscrire l’existence du Projet Educatif Territorial (PEdT) dans le Code de l’éducation (article L555-1). Une circulaire, co-signée le 20 mars 2013 par le ministre de l’Education nationale et la ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Education populaire et de la Vie associative, en avait déjà présenté les finalités et le processus d’élaboration. Un décret d’application daté du 2 août 2013 en a précisé ensuite certaines conditions de mise en œuvre. A plus d’un égard, les PEdT sont loin d’afficher la même ambition que celle visée par les PEL (quant aux finalités du projet, aux âges des enfants, aux activités et aux acteurs concernés, aux modalités de pilotage …). Ils fournissent cependant une occasion exceptionnelle de généraliser le principe du recours à la participation active et démocratique des parents – mais aussi, selon des modalités appropriées, des enfants et des jeunes – à leur élaboration, à leur mise en œuvre et à leur évaluation.
Les centres sociaux et culturels ont ici un rôle important à tenir, au sein de leur commune d’implantation et avec d’autres structures et instances de proximité, notamment avec le REAAP de leur département, pour veiller à ce que la sollicitation des parents amenés à participer à un processus de PEL ou de PEdT ne se résume et ne se cantonne pas aux seuls représentants élus de parents d’« élèves ». Sans écarter ceux-ci, bien au contraire, il importe aussi, au plus près du territoire de vie et donc d’éducation, de faire émerger, de conforter et, s’il y a lieu de former et d’accompagner, des « parents/habitants militants » susceptibles d’intervenir dans les débats et décisions publics en ayant en ligne de mire non seulement l’intérêt particulier de leurs propres enfants, mais aussi l’intérêt général de tous les autres enfants.
L’actualité de la coéducation
Les approches que l’on vient d’évoquer permettent de repenser et de refonder, au bénéfice de tous – enfants, jeunes, parents, professionnels, élus locaux – ce qu’il peut en être aujourd’hui du vieux mais toujours fertile concept de « coéducation ». Celle-ci se définit classiquement, en effet, comme « l’éducation donnée ou reçue en commun ». Une définition qui présente le double avantage d’insister sur le caractère interactif et transmissif de l’éducation et sur le fait que celle-ci est de nature à concerner une communauté humaine, et pas seulement une série d’individus. La référence à la coéducation donne à percevoir qu’un collectif d’adultes s’implique dans l’éducation d’un collectif d’enfants, dans l’esprit du fameux proverbe africain selon lequel « il faut tout un village pour élever un enfant », mais en ajoutant : « tout un village », certes, mais plus souvent, aujourd’hui, « tout un quartier » ; et « un enfant » mais aussi et surtout, solidairement, « tous les enfants de ce village ou de ce quartier ».
Ce sont en effet tous les adultes concernés par la présence ou la proximité d’enfants qui devraient promouvoir et mettre en œuvre, au quotidien et en tous lieux, une éducation ambitieuse, respectueuse et guidée par trois objectifs :
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protéger, mais sans enfermer ;
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instruire par l’initiation au plaisir partagé de la découverte et de l’apprentissage, plutôt qu’aux seuls moyens de la contrainte et de la logique de compétition ;
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élever et non pas dresser les enfants, c’est-à-dire savoir se mettre à leur hauteur pour mieux accompagner leur croissance et l’exercice progressif de leur citoyenneté.
Réussir à la fois à protéger et à émanciper les enfants consiste, à tous les âges, à leur tenir la main en même temps qu’à la leur lâcher. Cette contrainte paradoxale s’adresse en premier lieu aux parents mais aussi à tous les autres éducateurs, professionnels ou non. Atteindre cet objectif complexe et délicat ne s’improvise pas. Une telle mission ne saurait donc être confiée à la responsabilité des seuls parents, ni à celle de telle ou telle institution ou catégorie de professionnels, mais à un ensemble d’acteurs. Le projet coéducatif consiste bien au contraire à créer les conditions d’une nouvelle alliance, d’un accompagnement mutuel, entre parents et professionnels.
Du fait même de sa complexité, en effet, l’injonction que résume l’expression « tenir la main/lâcher la main » devrait être de nature, aujourd’hui plus que jamais, à rapprocher et à solidariser les uns et les autres. C’est pourquoi la coéducation fait le pari que la coopération des éducateurs que sont les parents et les professionnels est rendue possible et stimulée par leur volonté de se placer dans une relation de côte à côte – plutôt que de face à face ou de dos à dos – ce dont les parents sont généralement les premiers demandeurs.
Dans ces conditions, la démarche coéducative s’avère mobilisatrice et fédératrice : elle se consacre, en pratique, à la mobilisation permanente des énergies disponibles autour des enfants ; et elle vise à fédérer les forces et les potentialités mais aussi les particularités voire les faiblesses et les difficultés de l’ensemble des acteurs de l’éducation. Elle le fait sur la durée, en s’intéressant fort logiquement à la continuité des âges de l’enfance et de l’adolescence. Et elle le fait en s’efforçant aussi de relier l’ensemble des temps et des espaces éducatifs entre eux. Elle vise, autrement dit, la complémentarité et la mise en cohérence de toutes les interventions éducatives envisageables. C’est pourquoi le PEL et le PEdT en représentent aujourd’hui des formes particulièrement significatives dont il convient de se saisir sans hésiter et sans attendre.
Mais la coéducation concerne aussi, pour commencer pourrait-on dire, les deux parents eux-mêmes, au titre du principe de l’autorité parentale conjointe telle qu’elle figure désormais, depuis 2002, dans la loi (article 371.1 du Code civil). Elle peut aussi concerner les enfants entre eux, qui peuvent être considérés comme des coéducateurs les uns pour les autres, comme on le voit dans le cadre des pédagogies coopératives et comme certains centres sociaux s’attachent à le faire vivre à travers, entre autres, les activités partagées, les centres de loisirs et les actions d’accompagnement à la scolarité qu’ils conçoivent et animent en leur sein et en lien avec leurs proches environnements.
Dans tous les cas, la coéducation est une source d’apaisement et d’ouverture pour les enfants.
L’option de la coéducation entre parents et professionnels (notamment de l’Éducation nationale) est en effet de nature à prémunir les enfants du risque récurrent de devenir les enjeux et les supports des tensions voire des rivalités qui, dans les circonstances habituelles, caractérisent souvent leurs relations. Les enfants s’en trouvent d’autant moins exposés aux conflits de loyauté de toutes natures qui peuvent s’avérer, sinon déstructurants, du moins consommateurs d’énergie psychique – et parfois générateurs d’échecs scolaires et d’inadaptations diverses. Cet enjeu est plus crucial encore en cas d’action et d’aide éducatives contraintes.
Le parti pris de la coéducation parentale présente des avantages équivalents, dans la sphère familiale, notamment lorsque les parents sont en cours de séparation ou séparés, mais aussi au sein de la famille élargie (grands-parents, oncles, tantes, etc.…) ou encore de la famille recomposée (étendue aux beaux-parents). Chacun sait que la mise en œuvre d’un tel parti pris ne va pas de soi ni ne se décrète. Mais peut-on imaginer, du point de vue des enfants, l’existence d’options plus souhaitables ou, du moins, moins rationnelles ?
Les professionnels devraient être attentifs, par ailleurs, au fait que nombre de parents disposent autour d’eux d’un réseau social informel, et potentiellement coéducatif, qui inclut des amis, des collègues de travail, des voisins, des commerçants, des bénévoles – c’est-à-dire des personnes de « bonne volonté » – et des militants associatifs, etc. … et bien entendu d’autres parents. Bref, tous ceux qui se sentent concernés, avec eux, auprès d’eux, comme eux, par l’idée de restaurer ou de tisser des liens sociaux de proximité qui comptent pour les enfants, pour leur bien-être, leur sécurité, leur scolarité, leurs loisirs, leur santé, leur épanouissement, leur émancipation, la construction au jour le jour de leur avenir et donc, à terme, de celui de la société. Il importe que les professionnels reconnaissent l’existence et l’importance de tels réseaux spontanés de soutien et d’entraides et que, bien loin de les disqualifier, ils s’interrogent sur les moyens de les consolider et, pourquoi pas, tout en restant à leur place de professionnels, de les rejoindre au titre de la nouvelle alliance ci-dessus évoquée.
Il ne faut pas oublier, enfin, le rôle des élus locaux pour impulser et fédérer, aux côtés d’autres partenaires institutionnels (services de l’Etat, Caisses d’allocations familiales, associations), des entreprises relevant de la coéducation sur les territoires qu’ils administrent. Il leur revient en tout premier lieu de réussir à mettre chaque ville à la hauteur des enfants mais aussi des familles, et d’associer les uns et les autres à la définition de son devenir. Il leur revient aussi de faire des choix budgétaires et politiques privilégiant les équipements scolaires, culturels, sportifs et de loisirs sur les dispositifs hostiles ou méfiants à l’égard des enfants et des jeunes. Mais il leur revient plus encore, aujourd’hui, on l’ a dit, de promouvoir des dynamiques de projet éducatif local et global afin d’encourager puis de co-animer la mise en réseau des ressources éducatives – qu’elles soient parentales, publiques ou associatives – disponibles sur le territoire de la commune ou de l’inter-communalité.
Pour peu qu’elle s’ouvre à l’expertise dont disposent les parents sur leur condition parentale, et qu’elle donne aussi aux enfants et aux jeunes l’occasion de s’exprimer sur des décisions qui les concernent, la table ronde des coéducateurs réunie pour concevoir, mettre en œuvre et évaluer conjointement un tel projet éducatif à l’échelle de leurs territoires de vie et d’action contribuera utilement, et sur la durée, à coordonner l’ensemble des acteurs, des temps et des espaces éducatifs.
Pour autant, la coéducation n’est pas un objectif en soi. Elle ne doit pas devenir non plus la version réactualisée mais instrumentalisée d’une forme de coalition éducative, dotée d’atours trompeurs et séduisants, qui viendrait se mettre au service d’une approche sécuritaire des questions que pose aujourd’hui la crise des modèles et des finalités de l’éducation, notamment familiale.
La coéducation n’est, bien au contraire, rien d’autre qu’une méthode exigeante, stimulante et authentiquement démocratique, enracinée dans une éthique des pratiques. C’est une façon d’être et d’agir ensemble dont les parents et les acteurs institutionnels et politiques de l’éducation décident de se doter pour fournir aux enfants la preuve visible et concrète qu’il leur est possible de s’installer autour de la table où leur présent se parle et où leur avenir se dessine, et de les inviter, le moment venu, à y prendre place.
Au moyen mais au-delà, aussi, de leurs « projets familles » et de leurs « projets d’animation globale », nombre de centres sociaux et socio-culturels font vivre leurs projets sociaux autour de telles perspectives, éthiques et méthodologiques. Il convient donc de mettre ces perspectives en lumière et en débat pour mieux en mesurer les enjeux et les potentialités, au triple carrefour de la condition parentale, de la coéducation et du développement social durable.