L’autonomie des établissements apparait comme un recours ultime pour contourner les blocages des réformes. S’en tenir là revient à ignorer qu’un changement des pratiques éducatives repose sur d’autres facteurs de réussite moins spectaculaires.
Les études internationales nous ont appris que la réussite des systèmes éducatifs repose avant tout sur l’efficacité des changements au plus près des situations d’enseignement et d’apprentissage. Beaucoup de responsables éducatifs ont compris que les grandes cathédrales législatives ou les modifications de structures n’embrayent pas forcément sur la réalité de la classe. On ne manque pas d’exemples de réformes qui, au contraire, crispent les acteurs et finalement bloquent les changements qu’elles voulaient favoriser. Devant ce constat, certains décideurs cherchent toujours dans telle ou telle modification des règles du jeu éducatif la mesure magique qui permettra de décoincer le système. C’est ainsi que l’idée d’une décentralisation radicale du système refait régulièrement surface pour court-circuiter certains groupes d’intérêts. Il s’agirait d’accorder une large autonomie aux établissements scolaires pour libérer les initiatives locales, loin des corporatismes qui engluent la vie du système éducatif.
On comprend pourquoi l’idée est séduisante. Il n’en reste pas moins que les recherches montrent que l’autonomie locale n’est pas la recette miracle du changement. Cette dernière peut déboucher sur la mise en concurrence ou l’isolement des établissements, ce qui ne favorise pas plus les améliorations pédagogiques que les injonctions à l’innovation sans contenu.
Changer pour mieux faire apprendre
On ne change pas pour changer : ce qui met les acteurs éducatifs en mouvement, c’est d’abord qu’ils identifient les progrès que peut leur apporter une nouvelle façon de faire apprendre.
Autrement dit, toute réforme, même partielle et locale, doit être ressentie comme une réponse à un besoin d’amélioration du métier éducatif [1]. Le projet de changement doit par conséquent être perçu comme une opportunité de faire mieux ce qui est au cœur de son métier, que l’on soit enseignant, chef d’établissement, inspecteur, coordinateur pédagogique, conseiller d’éducation, etc. Ainsi, démontrer de façon concrète qu’une réforme permet de traiter, au moins en partie, les difficultés d’apprentissage des élèves, est sans doute la meilleure raison pour que les praticiens s’approprient cette réforme. C’est d’ailleurs l’une des conclusions de la conférence de consensus sur le redoublement organisée en janvier dernier par le Cnesco et l’IFÉ. Néanmoins, cette rencontre entre des besoins identifiés et un projet n’est pas suffisante si certaines conditions ne sont pas remplies.
Ainsi, on constate, dans la plupart des configurations de changements pédagogiques qui ont réussi, la présence de plusieurs facteurs simultanés, parmi lesquels : des principes de réforme qui correspondent aux valeurs des praticiens, pour que ces derniers acceptent de s’engager dans le travail d’ajustement au contexte local ; l’existence de ressources et d’acteurs de référence de nature à outiller les changements de pratiques ; des moments de formation qui manifestent pour chacun l’entrée dans un processus de changement ; un travail collaboratif intense dans les équipes (passant souvent par la mise en réseau de plusieurs établissements) ; l’engagement d’un ou plusieurs responsables d’établissements pour faire vivre un leadeurship distribué (répartition des rôles de proposition et d’animation entre plusieurs personnes ressources).
En d’autres mots, on trouve des facteurs qui ressortent du domaine des idées, d’autres du domaine des acteurs, d’autres du domaine des structures, d’autres encore du domaine des processus. Que chacune des conditions ne ressorte pas des mêmes domaines de responsabilité ou que des acteurs différents soient responsables de telle ou telle action fait toute la complexité du pilotage d’un changement.
On pourrait dès lors conclure qu’on ne peut réussir à changer par une action venant « ?d’en haut? » (ce qui est maintenant assez bien compris) ni par une action venant « ?d’en bas? », faute de niveaux intermédiaires pour outiller et soutenir les démarches d’ajustement. Dans ce cadre, l’autonomie des établissements pour le changement pédagogique ne peut se concevoir qu’insérée dans un réseau dense et dynamique de collaborations.
Olivier Rey
Chargé d’étude et de recherche, service Veille et analyses de l’IFÉ (ENS de Lyon)
[1] On peut en l’occurrence se demander si l’essentiel du travail de communication au sens fort du terme (et non d’information du haut vers le bas) ne devrait pas résider dans cette identification conjointe, entre décideurs et praticiens, de ce qui fait le noyau dur des métiers éducatifs.
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