Pour Joseph Haeringer, sociologue et administrateur d’une association d’action sociale, la modernisation des associations ne peut être réduite à une logique de rationalisation de leur organisation. Elle passe aussi par la reformulation du projet institutionnel.
Durant cette décennie, l’Etat manifeste sa volonté d’assurer à tous les usagers des services sociaux les conditions de prise en charge répondant à des critères de qualité dans un contexte de maîtrise de l’évolution des moyens budgétaires. Ainsi en est-il de trois mesures particulièrement significatives qui touchent directement les associations d’action sociale: les groupements de coopération qui doivent assurer une meilleure coordination des actions sur un territoire répondent à un objectif de mutualisation/concertation des ressources; sur le plan budgétaire, les contrats prospectifs d’objectifs et de moyens (CPOM) visent à maîtriser l’évolution des ressources en fonction d’objectifs pluriannuels; le référentiel national des prestations du dispositif « accueil, hébergement, insertion » édité par la direction générale de l’action sociale, et fuit d’une concertation avec les associations, rejoint cette intention d’offrir en chaque point du territoire des services répondant aux besoins des ayants droit.
Pour légitime qu’elle soit, cette intention ne se concrétise guère dans la pratique de l’administration publique à l’égard des associations: le référentiel national devient un standard de prestations obligatoires laissant peu de marges pour des réponses innovantes; au groupement de coopération qui respecterait les identités associatives se substitue, par la fusion voire l’absorption, la constitution de concentrations de services sous la bannière de l’association la plus résistante: le contrat prospectif d’objectifs et de moyens ressemble davantage à une contrainte imposée alors qu’on attendait une réelle négociation des moyens en fonction d’objectifs. C’est dire combien cette intention louable est défigurée par une logique gestionnaire évaluée à l’aune de ratios et de critères financiers. La logique de ka généralité a pris le pas sur la logique de la proximité, de la prise en compte du singulier, bref de ce qui tisse la solidarité au quotidien.
A-t-on évalué ces pertes en lignes sous couvert d’une économie d’échelle? Un exemple: là où trois associations réunissaient chacune une dizaine d’administrateurs engagés auprès des professionnels, la nouvelle association, fusion des trois précédentes, ne retrouve qu’une quinzaine d’entre eux. Cherchez l’erreur! L’engagement se vit dans la proximité avec les destinataires de l’action et non dans la distance gestionnaire.
A-t-on mesuré ce que cette logique de concentration et de standardisation fait perdre en termes d' »utilité sociale » lorsqu’elle fragilise et fait disparaitre ainsi nombre d’associations?
Retenons quelques interrogations parmi d’autres: quelle richesse a été créée ou économisée, en termes de bénéfices collectifs? EN quoi y a t-il eu développement d’initiatives visant le développement local? En quoi le lien social de proximité, la pratique de démocratie participative ont-ils été développés? L’innovation sociale et solidaire a-t-elle été développées? La gouvernance, comme régulation de toutes les parties prenantes de l’action collective, a-t-elle été améliorée?
Renouveler le pacte d’engagement
On le voit, la question n’est pas d’opposer la logique gestionnaire à celle de l’engagement associatifn mais d’introduire dans la première les préoccupations de la seconde et d’évaluer l’économie non seulement sous l’angle monétaire, mais à travers la pluralité des ressources mobilisées par l’action collective. La réponse des associations n’est donc ni de se soumettre aux injonctions de l’administration publique pour sauvegarder des emplois, ni davantage de rentrer en résistance, tel le village gaulois de nos bandes dessinées, mais de construire des outils qui rendent compte des dimensions sociétales de leur action.
Dans ce contexte, les associations d’action sociale sont mises à l’épreuve de manifester leur capacité à mettre en œuvre des méthodes et des outils gestionnaires qui répondent à une double finalité, organisationnelle par une gestion plus efficiente de leurs ressources mais aussi institutionnelle par une redéfinition de leur projet et de leurs principes d’action.
L’enjeu de cette situation de crise est la reformulation du pacte d’engagement dans les associations d’action sociale qui se sont développées dans l’emprise d’un Etat social opulent et généreux. Il ne s’agit pas de repeindre la maison, ni même de ma réagencer différemment, mais de définir le principe d’un faire ensemble, c’est-Ã -dire de trouver les formes et les termes d’un accord entre toutes les parties prenantes (bénévoles, professionnels et usagers) pour définir un « bien commun », et lui donner au sein d’un processus démocratique, une légitimité qui lui confère l’autorité nécessaire au bon fonctionnement de l’ensemble.
Quels en seraient les termes? Les récentes journées organisées par la FNARS sur le thème: « Le travail social sert-il encore à quelque chose? » ont permis, notamment, de débattre sur la place du travail social dans la gouvernance associative.
Rappelons quelques points susceptibles de fonder un accord de coopération entre l’association représentée par ses administrateurs et ses bénévoles, et le travail social mis en œuvre par la diversité de ses professionnels.