PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In UQAM – Université du Québec à Montréal – le 24 février 2014 :

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Dans un essai paru récemment, le vice-recteur Marc Turgeon s’interroge sur les défis culturels de l’école.

 

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Qu’est-ce qu’une génération doit à la suivante ? Cette question est au cœur de l’ouvrage intitulé Le déclin de la culture scolaire, paru récemment chez Del Busso éditeur. Son auteur, le vice-recteur à la Vie universitaire Marc Turgeon, tente d’y répondre en s’inspirant de penseurs comme John Stuart Mill, Nietzsche, Hannah Arendt, Edgar Morin et Margaret Mead… et en puisant dans son expérience. Celui qui a enseigné la philosophie au collégial ainsi qu’à de futurs enseignants a aussi participé à l’élaboration de programmes universitaires en éducation, il a fait partie de comités ministériels qui se sont penché sur la réforme des programmes d’étude et il a été doyen de la Faculté des sciences de l’éducation de 1999 à 2009

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Le vice-recteur Marc Turgeon. Photo: Nathalie St-Pierre

«Le processus de réforme des programmes d’enseignement au Québec, amorcé au milieu des années 90, a été ponctué par de nombreux débats sur les savoirs essentiels que l’école doit transmettre en vue de former de bons esprits et de bons citoyens, rappelle Marc Turgeon. Dans tous ces débats, un enjeu revenait constamment, celui du rapport de l’école à la culture.»

Dans son essai, le vice-recteur invite à réfléchir sur les enjeux éducatifs et humains que porte l’idéal de la culture scolaire et interroge le lien entre culture et maîtrise des savoirs.

Le défi culturel de l’école

Instruire, socialiser et qualifier ne devraient pas être la mission de l’école mais une de ses missions, affirme Marc Turgeon. «Parallèlement à ces activités spécifiques, dit-il, l’école publique devrait viser la réalisation du droit de chacun de développer librement son intelligence et ses aptitudes. Ainsi, l’obsession quotidienne de l’enseignant ne serait pas de faire progresser les élèves ni de passer sa matière, mais de soutenir les volontés et de protéger les intelligences. Il est là le défi culturel de l’école, non dans les contenus d’enseignement, mais dans l’expérience de vie commune qu’elle propose.»

Le vice-recteur cite l’exemple de l’école secondaire alternative Le Vitrail, dans le quartier montréalais Hochelaga-Maisonneuve. «À l’origine, le projet était de créer un centre multifonctionnel pour les jeunes, un milieu de vie où, à côté des apprentissages formels, les élèves pourraient participer à des activités culturelles, scientifiques et sportives, à des ateliers de création et de discussion. On voulait créer des espaces de liberté dans l’aménagement du temps et dans l’organisation de la vie de l’école, non seulement entre 8h 30 et 15h 30, mais aussi le soir et le week-end. En d’autres termes, faire en sorte que la scolarisation ne prenne pas toute la place, donner plus de latitude à l’école dans l’organisation de l’enseignement et l’exploration de projets pour qu’elle devienne un lieu qui stimule la volonté et enrichisse la capacité d’apprendre.»

L’obsession de la réussite

Marc Turgeon ne remet pas en cause le fait que l’obtention de bonnes notes et d’un diplôme donne la chance de devenir un citoyen actif sur le marché du travail. Il reproche toutefois à l’école d’être trop centrée sur la notion de réussite. «L’obsession de la réussite repose sur une approche méritocratique de l’éducation, soutient-il. Il faut, bien sûr, reconnaître le succès et éviter de rabaisser les plus forts au niveau des plus faibles. Mais l’école devrait aussi permettre à chacun d’aller le plus loin possible sans être pénalisé parce qu’il ne va pas aussi loin et aussi vite que les meilleurs et sans empêcher ces derniers de progresser. L’école, c’est comme une piscine. Celle-ci peut servir à la tenue de compétitions, tout en permettant aux apprentis nageurs qui ne maîtrisent pas la technique de profiter de ses joies.»

Selon le vice-recteur, le décrochage au secondaire était un phénomène prévisible. «Quand on privilégie l’approche méritocratique, on fabrique l’échec. Tout le monde ne réussit pas de la même manière et au même niveau.» Combien d’adolescents décrochent ou sortent de l’école avec un sentiment d’amertume et d’incompétence ?, demande Marc Turgeon. «Si l’école est le creuset de la démocratie, comme on le prétend, elle devrait permettre aux élèves en difficulté de vivre une expérience significative sur les plans humain et social. Ces élèves doivent sentir qu’ils ont une place à l’école, indépendamment de leurs résultats. Cela n’empêche pas, par ailleurs, de développer toutes les stratégies possibles pour favoriser la réussite scolaire.»

Des parcours atypiques

Il n’y a pas d’âge pour être étudiant. Le vice-recteur croit qu’il faut faciliter la poursuite de tous les parcours menant à un diplôme secondaire, collégial ou universitaire, que celui-ci soit général, professionnel ou technique, car l’atypique constitue désormais la norme.

«Notre culture scolaire considère que le parcours sans faute menant à un diplôme universitaire en 16 ans constitue la voie royale», note Marc Turgeon. Pourtant, dès la fin du primaire, 10 à 15 % des enfants sont en situation de retard, une proportion qui s’élève à 45 % au secondaire. Au début des années 2000, un tiers des jeunes âgés entre 16 et 19 ans suivaient une formation professionnelle et technique, un autre tiers recevait une formation générale dans le cadre de l’éducation aux adultes, du cégep ou de l’université et un dernier tiers était en dehors du système pour diverses raisons. «Les gens du monde de l’éducation aux adultes demandent depuis longtemps plus de souplesse dans les modes de formation et dans l’offre des services éducatifs. Nous devons prendre acte de la diversification des cheminements et en tenir compte dans les apprentissages et dans l’organisation des études, à tous les niveaux de l’enseignement.»

Savoir ou penser ?

On confond souvent le savoir et la pensée, comme si connaître impliquait la capacité de penser et comme si la pensée n’était que le fait de gens instruits ou savants. Or, la faculté de penser, d’analyser, d’exercer son jugement est à la portée de tous. Encore faut-il que l’école la favorise et la développe.

«La pensée ne s’accorde pas à l’autorité, mais à la liberté. Elle ne découle pas d’un enseignement, mais d’un questionnement, souligne le vice-recteur. J’ai connu des enseignants qui accueillaient les interrogations et les doutes des élèves sur toutes sortes de questions, même celles qui n’étaient pas prévues au programme. D’autres, trop préoccupés par la matière à transmettre, n’avaient pas de temps pour cela. La première liberté que l’on doit inculquer est celle de poser des questions. Il n’y a pas de création intellectuelle, artistique ou scientifique sans tâtonnements et erreurs.»

Un projet éducatif citoyen

Le but premier de l’enseignement universitaire est d’assurer une éducation générale. Or, peu de programmes transmettent une culture générale. «Dès le secondaire, nous préparons les jeunes à la spécialisation universitaire, observe Marc Turgeon. En se refermant sur des formations de plus en plus spécialisées, l’université ne développe pas un projet intellectuel et éducatif intégré, visant la formation générale et le développement d’esprits capables de s’approprier les connaissances de façon synthétique. L’institution universitaire doit redéfinir sa contribution à un projet éducatif citoyen et se demander si elle donne l’exemple de ce qu’est un enseignement démocratique dans un espace de liberté.»

Par Claude Gauvreau

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