PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

La notion de compétence est une innovation officiellement introduite à la faveur du socle commun. Pour beaucoup d’acteurs éducatifs, elle a permis de faire bouger les pratiques dans un système sclérosé. Pour d’autres, la compétence est un repoussoir qui cristallise toutes leurs craintes : notion compliquée à mettre en œuvre et à évaluer, qui dilue les disciplines. Olivier Rey * fait le point.

Il faut reconnaître que, depuis 2006, les hésitations de certains ministères à mettre en œuvre le socle commun n’ont pas simplifié l’appropriation de cette démarche. Il apparaît pourtant aujourd’hui que l’abandon de cette notion, quel qu’en soit le prétexte, serait le signe d’une résignation à un modèle éducatif que la plupart des analyses considèrent à la fois inefficace et inéquitable.

S’assurer que tous les objectifs de l’éducation sont poursuivis

La première vertu des compétences réside dans leur utilisation comme vecteur de modification des contenus d’enseignement. On s’accorde en effet pour considérer que l’éducation, quel que soit le système national, poursuit à des degrés variables trois objectifs majeurs : transmettre les connaissances issues de la recherche ; cultiver les capacités cognitives des élèves ; faciliter l’acquisition de savoirs utiles pour la vie.

Le premier objectif est bien assimilé car il correspond à la façon traditionnelle dont s’est organisée la transmission des connaissances à travers les disciplines scolaires. Le deuxième objectif est parfois implicite mais, depuis Piaget, on identifie bien en quoi le développement cognitif mérite une attention particulière car il est intrinsèquement lié à l’appropriation et la maîtrise des savoirs. Le troisième objectif peut sembler évident mais ses contours trop généraux amènent souvent à l’oublier. Réduire en effet la dimension sociale et culturelle de l’éducation à l’éducation civique ou la sensibilisation artistique revient à aborder la question par la vision la plus étroite. Une autre ambition consiste à comprendre comment l’école peut apporter à chaque jeune la compréhension des ressorts majeurs de la vie en société et la maîtrise de comportements essentiels pour agir dans le monde actuel.

La compétence renvoie justement à la combinaison complexe de connaissances, de capacités, d’habiletés, de valeurs, d’attitudes et de motivations, ensemble d’éléments qui permet une action humaine efficace. À ce titre, l’un des intérêts de la notion consiste à mettre simultanément l’accent sur les trois objectifs de l’éducation, en associant aussi bien les aspects cognitifs que non cognitifs. La compétence permet donc de maintenir une vigilance constante sur la nature des savoirs transmis, pour prévenir le fait que ces derniers deviennent des savoirs « morts », ânonnés de façon routinière. Comment, en effet, qualifier des savoirs qui ne seraient utilisés qu’en contexte scolaire, que les élèves ne manipuleraient que pour répondre à des exercices de restitution ou de répétition formelle lors des examens?? Utiliser les compétences en éducation revient en fait à travailler la question du transfert des savoirs, défi récurrent à toute situation d’enseignement et de formation.

Dans le cadre du socle commun, cela permet de poser avec encore plus d’acuité l’enjeu de la scolarité commune : qu’est-ce que nos élèves maîtrisent vraiment à l’issue du parcours que la nation a jugé nécessaire de rendre obligatoire pour tous ?

La culture au fronton du socle : pour quelle signification ?

On peut, dès lors, s’interroger sur ce qu’a voulu signifier le législateur, en rajoutant le mot « culture » au socle commun de connaissances et de compétences, dans la loi de 2013. Il ne s’agit probablement pas de la culture au sens anthropologique du terme : l’école n’est pas le lieu premier de la socialisation même si elle y concourt. La spécificité de l’école est plutôt à rechercher dans ce qu’on appelle parfois la « culture scolaire » ou le « regard instruit » sur le monde, c’est-à-dire une forme de découpage de la réalité étayé par des savoirs. Le rajout du mot « culture » visait plus vraisemblablement à rassurer tous ceux qui redoutent une acception utilitariste des compétences.

L’approche par compétences étant en effet apparue d’abord dans le monde de la formation professionnelle : il n’en fallait pas plus pour qu’on la soupçonne de faire prévaloir une dimension d’employabilité sur les savoirs plus spéculatifs. L’école peut-elle pourtant se désintéresser du sort des jeunes qui postuleront dans des entreprises?? Jusqu’à nouvel ordre, en effet, seule une minorité d’entre eux finira dans les métiers de l’enseignement et de la recherche, même si le système semble être pour eux !

Le mot « culture » a aussi été entendu comme une manière de préserver la capacité de « critique » de l’école sur la société. On peut se demander si la « culture » que l’on dresse comme dernière barrière pour endiguer les « compétences » ne risque pas de promouvoir la vision patrimoniale d’une culture entendue comme collection de grandes œuvres académiques. Est-on certain que cette vision de la culture est à même de garantir un regard critique vivant, ferment de créativité et d’innovation, pour de futurs citoyens impliqués dans l’action plutôt que retirés sur l’Aventin académique ?

Aider les élèves à maîtriser leurs apprentissages

Le deuxième grand intérêt de la notion de compétences est de servir de vecteur d’évolution des pratiques pédagogiques. En soulignant l’enjeu stratégique de certaines compétences partagées entre les différentes disciplines (expression écrite et orale, travail en groupe, sélection et restitution de l’information…), elle montre l’intérêt de les travailler de façon spécifique. Cet ensemble de compétences partagées est en effet à l’œuvre dans chaque discipline, mais demeure trop souvent cachée ou en tâche de fond. Certains élèves, surtout ceux qui sont issus des catégories sociales dominantes, ont souvent eu d’autres occasions de travailler ces compétences partagées, celles-là même qui contribuent à définir le « métier d’élève » le plus adapté à la réussite. D’autres, en revanche, souffrent dès le début de la scolarité de handicaps qu’ils n’arrivent pas à rattraper et qui sont peu identifiables dans le curriculum officiel.

En mettant l’accent sur l’engagement des élèves dans l’apprentissage, l’approche par compétences amène au contraire à travailler sur des tâches complexes, à se focaliser sur la compréhension des situations (cadrage et identification des problèmes), à privilégier l’explicitation et la réflexivité.

Repenser l’évaluation

Pour les parents, les compétences du socle sont restées peu ou mal connues : il faut reconnaître que l’institution n’a rien fait pour populariser le socle commun ! Ces compétences ont parfois été confondues avec les compétences élémentaires qu’on vise quand on dit par exemple qu’un élève est « compétent » en calcul mental. Pour beaucoup d’acteurs de l’éducation, les compétences ont été introduites par le livret personnel de compétences, mis en place de façon hâtive et maladroite. On s’est rendu compte rapidement qu’on ne pouvait laisser coexister une logique d’évaluation traditionnelle, telle que le brevet des collèges, avec une évaluation des compétences.

La première obéit à une logique de contrôle des acquis, où l’on va interroger l’élève sur des échantillons de connaissances à restituer. La deuxième nécessite au préalable des étapes d’évaluation formative où l’on va apprendre à résoudre des énigmes ou à répondre à des questions inédites en proposant parfois des stratégies différentes de résolution pour un même problème. Une grande part de la réussite aux tâches complexes réside dans la capacité à identifier les données pertinentes pour répondre au défi proposé, puis à les mobiliser de façon efficiente. L’évaluation implique ici qu’une lacune dans un domaine est rapidement bloquante, contrairement aux examens traditionnels qui autorisent la compensation entre matières.

Si la tâche demandée comporte par exemple une visite commentée d’une cathédrale à des visiteurs américains, on voit mal comment une excellence en histoire pourrait compenser d’importantes lacunes en anglais, et vice-versa !

Évaluer les compétences, c’est en fin de compte mettre au centre du système une évaluation qui serve à apprendre : on voit par conséquent que parler des compétences ramène toujours sur les débats stratégiques du système éducatif…

                                                                                                                                                                                                                           Olivier Rey

*Olivier Rey est responsable de l’unité Veille & Analyses de l’Institut français de l’Éducation (IFÉ) – ENS de Lyon.

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