In Educavox – le 13 juin 2013 :
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Vincent Peillon et Michel Serres dialoguent dans Libération du 10 juin. L’un et l’autre disent des choses intéressantes, pertinentes, en phase avec l’évolution du monde et des savoirs de l’humanité. L’un et l’autre sont d’accord sur le fait que le passage au numérique, comme le passage de l’oral à l’écrit et de l’écrit à l’imprimé dans l’histoire des civilisations, impose un nouveau regard sur l’éducation, sur les apprentissages scolaires, sur la place de l’école dans la société.
Dans ses tribunes lors de la campagne des élections présidentielles où il fustigeait les discours des « vieux » complètement décalés par rapport aux réalités, et l’absence de vision du futur, dans son livre d’espoir et de conviction, « Petite poucette », Michel Serres explique avec le brio et la profondeur qu’on lui connaît, qu’une « culture est en train de muter, ainsi qu’un humanisme ». Il explique qu’avec le numérique, « la pédagogie est de nouveau en jeu ». « Quand je rentre dans mon amphi, dit-il, je me pose la question : quelle est la probabilité pour que mes étudiants aient déjà tapé sur Wikipédia le sujet de mon cours ? C’est ce que j’appelle la présomption de compétence dans mon livre. Avant, j’entrais avec la quasi certitude que mes étudiants ne savaient rien de la discipline que j’allais leur enseigner : il y avait présomption d’incompétence ».
Vincent Peillon affirme pour sa part que « le professeur se recentre sur le cœur de son métier : développer l’analyse, le jugement, la réflexion, utiliser des pédagogies plus actives, plus coopératives et d’autres modes d’évaluation ».
Le dialogue est intéressant, mais on contourne les problèmes. On parle… Mais on ne voit pas clairement les solutions. D’autant plus que le ministre, ancien prof, parle sans cesse de « cours »… « Le prof aura une masse de ressources pour ses cours… Venez voir un cours de géographie bien fait… L’apprentissage (le cours) devient plus vivant, plus actif et aussi plus joyeux. Il peut toucher les enfants rétifs… etc ». Le numérique aide le prof à mieux faire cours, mais il fait toujours cours. C’est passé dans ses gènes. Il ne peut pas ne pas faire cours. On pourrait penser qu’il a à organiser les apprentissages en prenant en compte d’abord les savoirs et les représentations des élèves, qu’il a à mettre les élèves en situation de construire leurs savoirs, leurs compétences et leurs outils mentaux. Mais non ! Un prof, ça fait cours. Et de toutes manières, personne ne lui apprend le cœur du métier. Les universités et les didacticiens veillent au grain. On continuera à leur apprendre à faire cours : une heure, une classe, un prof, une discipline, une progression du simple au complexe pour tous…
Ce qui m’a étonné dans ce dialogue, c’est que Michel Serres ne soit pas allé au bout de sa logique… Si on l’écoute, il faut rompre avec le « faire cours » même court. Il faut une mutation, il faut le courage des ruptures nécessaires. Nous n’en sommes pas là. Et à force de tourner autour du pot, le fameux cœur du métier restera un mot parmi tant d’autres, rangé au fond d’un tiroir avec les finalités, les valeurs, les objectifs généraux…
Ah, mais oui, j’allais l’oublier : on a dit que l’on refondait l’école ! Donc, tout va bien.
Pierre Frackowiak
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