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"Ce dossier d’Éducation et Sociétés porte sur la production incessante de données pour suivre la qualité et la performance de l’éducation en Europe et sur leur interprétation en termes de gouvernance de l’éducation et d’européanisation. Les auteurs examinent dans quelle mesure ces données et le souci de l’assurance qualité et de l’évaluation qu’elles traduisent peuvent être considérés comme une forme de fabrication, voire de gouvernance de l’éducation européenne. Ce texte s’appuie sur une recherche collaborative analysant la façon dont les données de performance ont changé la gouvernance et le contrôle de l’éducation. Intitulée “La fabrication de la qualité dans l’enseignement européen”, elle a rassemblé des chercheurs d’Angleterre, du Danemark, de Finlande, d’Écosse et de Suède pendant trois ans (2006-2009). Financée par les agences nationales de recherche des pays respectifs (l’université Umea pour la Suède) elle a été coordonnée par la Fondation européenne pour la science.
2 Il s’agit de dépasser ici la simple présentation de données sur l’assurance qualité et ses effets. Au cœur de ce dossier figurent l’européanisation et les changements de gouvernance à l’origine du mouvement pour la création d’un espace politique européen de l’éducation. Le débat porte sur la façon dont les stratégies nationales encouragent ou non un processus d’européanisation plus large et fabriquent ainsi un espace politique européen de l’éducation gouverné par les données. L’idée d’une européanisation de l’éducation et de la formation est l’objet d’un intérêt plus vif de la sphère politique et universitaire : au moment où un champ politique de l’éducation voit le jour (Lingard & Ozga 2007), l’orientation donnée à l’Europe par les politiques éducatives, les discours et les pratiques fait l’objet d’une plus grande attention (Dale & Robertson 2007, Fairclough & Wodak 2008), notamment quant à la mesure de la performance et à l’amélioration de la qualité. Bien que la recherche dans les domaines de la gouvernance et de la régulation se développe rapidement, soit ambitieuse et de grande envergure, elle n’aborde guère le champ politique de l’éducation et son fonctionnement spécifique comme moyen de gouvernance et de régulation (Walters et al. 2005). Cette situation s’explique en partie par le fait que les disciplines dominantes dans les études européennes –sciences politiques et droit– s’inscrivent dans des cadres qui ne saisissent pas l’importance de l’éducation et par le nationalisme méthodologique de la recherche en éducation au point que, même si l’européanisation est leur objet, elles l’envisagent plus du point de vue national que comme processus interactif susceptible de refléter et de modifier simultanément l’échelon national et européen. Pour toutes ces raisons, les instruments et processus plus informels de politique publique, tels que l’assurance qualité, sont moins visibles dans la recherche en éducation et en sciences politiques sur l’européanisation.
3 L’approche retenue ici met en avant le travail de gouvernance réalisé au travers de technologies politiques, souples ou rigoureuses. Elle offre une forme d’analyse interdisciplinaire qui soutient une mise en perspective critique et éclairante de la façon dont le problème de la gouvernance est traité dans l’éducation et l’apprentissage. Alors que l’éducation est considérée comme une question de subsidiarité au sein de l’Union européenne et relève donc largement de la responsabilité des gouvernements nationaux, nos travaux montrent une évolution spectaculaire au moment où elle devient un élément clé de l’économie de la connaissance portée par l’Europe. Dès lors, on assiste au passage de l’éducation sous des formes ordonnées et institutionnalisées à la formation, phénomène plus souple et international, lui-même soumis en permanence à un suivi et à des mesures à des fins d’harmonisation et de normalisation en fonction des données. L’enquête empirique de ces perspectives passe par l’examen attentif du travail d’audit, d’inspection, d’évaluation et de régulation de la performance des systèmes et des individus, devenu la norme dans la majeure partie de l’Europe et au-delà, exigeant toujours plus de données des systèmes nationaux. La profusion de données et leur utilisation à des fins de comparaison internationale et d’audit des performances sont désormais monnaie courante ; des budgets considérables sont consacrés à la production de données supplémentaires et à leur amélioration. Cette explosion ne s’est pas produite uniquement parce que les nouvelles technologies permettent le flux et le traitement de grandes bases de données mais constitue plutôt une évolution politique majeure qui exige une recherche systématique. Ce recueil d’articles reflète donc l’intérêt pour l’européanisation, la gouvernance et leur interdépendance, comme l’illustre l’utilisation à tous les échelons des données dans les systèmes d’assurance qualité. Sont traités les liens entre les exigences transnationales et leurs traductions nationales, les négociations entre les échelons, l’émergence de réseaux qui remettent en cause les formes d’organisation verticale dans la gouvernance de l’éducation et le développement simultané des comparaisons de performance et des pratiques locales renforcées. De ce point de vue, l’essor de l’évaluation comme forme de gouvernance est très important pour comprendre la politique éducative et la progression d’une société de la connaissance comme objectif clé de l’Union européenne ; il reflète aussi des changements significatifs de gouvernance de l’éducation en Europe (Lawn & Lingard 2002, Novoa & Lawn 2002). L’innovation porte ici sur l’analyse de l’impact des données et le lien “évaluation-performance” (Clarke 2009) dans la gouvernance de l’espace européen de l’éducation. À l’opposé de la plupart de la littérature qui interprète les évolutions de la mesure et de la gestion de la performance selon le sens commun (comme vecteurs d’une meilleure prise de décisions et de pratiques pédagogiques mieux informées), les articles remettent en cause l’hypothèse selon laquelle les régimes d’assurance qualité et d’évaluation doivent, par nature et malgré leurs coûts significatifs en temps et en argent, contribuer à l’amélioration du système et des individus (Dahler-Larsen 2004, Segerholm 2001)."