Les mobilités représentent un enjeu majeur pour la qualité de vie des citadins, la cohésion sociale des territoires, l’attractivité économique et culturelle des villes. A partir de recherches sur les nouveaux rythmes urbains et sur les relations entre urbanisme et transports, nous proposerons quelques arguments en faveur d’une prospective de la mobilité pour une ville accessible et hospitalière. Pour introduire ce débat, nous préciserons les principales caractéristiques de la démarche qui sous-tend notre démonstration: la prospective du présent.
1. Prospective du présent et gouvernance urbaine
1.1 Une crise de l’action publique
Alors que la société civile démontre chaque jour sa vitalité, les institutions peinent à se réformer. Deux constats en témoignent (Rapport Bailly 1998).
D’une part, la décision publique est en crise. Trop sectoriels et séquentiels, les processus de décision existants ne permettent plus de faire face aux enjeux politiques et économiques d’une société en mouvement. En d’autres termes, les conséquences de la globalisation, de l’intégration européenne, de la décentralisation régionale, mais aussi le développement d’une société de l’information mettent en cause les territoires de compétence, les circuits et les niveaux de décision, ainsi que les justifications sur lesquels repose la décision publique. De plus, l’affaiblissement des corps intermédiaires (partis politiques, syndicats, administrations) fait que les évolutions rapides des comportements sociaux ne sont pas assez pris en considération dans les décisions des pouvoirs publics.
D’autre part, le déficit de débat public est de plus en plus fortement vécu par les citadins comme inacceptable. Trop souvent éludé ou organisé sous des formes contrôlées par des experts, le débat public ne permet pas de déboucher sur des décisions appropriées et mises en œuvre.
œDès lors, le temps n’est plus à une prospective, située en amont de la décision, reposant sur la seule extrapolation de tendances lourdes, mais plutôt à une démarche capable de faire évoluer les termes mêmes dans lesquels les questions sont débattues, de détecter les signaux faibles, d’élaborer des futurs souhaitables et d’animer des processus de changement auxquels contribuent le plus largement possible les acteurs. Forger la culture partagée qui va rendre possible l’action collective innovante, voici un nouveau rôle pour la prospective (Heurgon et Landrieu 2003).
1.2 La prospective du présent
Face aux incertitudes liées à ce nouveau contexte sociétal, la prospective du présent s’efforce de réduire les hiatus entre les initiatives des citoyens et les fonctionnements institutionnels. Sur la base de diagnostics partagés et de questions bien formulées, il s’agit moins de s’adapter à un contexte évolutif que d’inventer de nouvelles synthèses, de nouvelles configurations prospectives.
Le processus de réflexivité généralisée dans lequel baigne la société contemporaine est lié aux capacités d’appropriation et de transformation de connaissances dont disposent les habitants (Audet et Bouchikhi 1993). L’élaboration de ces œsavoirs communs se fait dans des conditions d’ouverture et de pluralisme des savoirs-experts grâce auxquelles chacun peut devenir un œexpert dans un nombre limité de champs (Mesny 1996). Les habitants ne sont donc pas seulement des acteurs, ils sont aussi des agents compétents qui produisent leurs propres représentations pour contester les décisions établies ou suggérer de nouvelles pistes d’action.
La prospective du présent s’inscrit dans cette lignée. Elle propose une démarche:
– continue et interactive
Plutôt qu’une étude en amont de la décision, elle accompagne l’ensemble du processus de décision afin de stimuler l’intelligence collective des acteurs. Mettant en réseau les différents acteurs concernés, et non seulement les experts constitués, elle participe d’un nouveau mode de gouvernance en associant institutions publiques, acteurs sociaux et organisations privées pour initier des choix collectifs de nature à favoriser une adhésion active des habitants.
– d’intelligence collective
Elle développe la capacité à formuler des diagnostics partagés, à co-construire des futurs souhaitables, à percevoir des initiatives locales ou des transformations déjà à l’œuvre dans la société, mais non encore perçues (notamment par les décideurs et les médias), et qui constituent des œgermes de futur, déjà là , pour qui sait les observer.
Ces initiatives fournissent un levier de changement puisque, déjà inscrites dans le corps social, il suffit d’encourager leur développement dès lors qu’elles participent d’un futur souhaitable que les acteurs vont s’efforcer de rendre possible.
– de production de connaissances utiles pour l’action réfléchie
Loin de prétendre constituer une nouvelle discipline, l’enjeu est plutôt de construire des connaissances pour l’action dans le cadre d’une pédagogie de la découverte et d’un apprentissage du changement. Cette démarche suppose une lecture fine du présent dans un monde complexe, au cœur d’un champ de tensions, visant à dépasser des oppositions binaires qui structurent les pensées d’experts (notamment entre public et privé, individuel et collectif, mondial et local) pour renouveler les concepts et formuler les œbonnes questions afin d’ouvrir le champ des possibles.
Fondée sur les initiatives locales, la démarche de prospective du présent porte autant sur le diagnostic partagé que sur l’action co-produite. Elle confronte les expertises et cherche à imaginer de nouveaux dispositifs de débat public. Ainsi, le processus devient aussi important que le résultat.
Introduite dans le cadre du rapport Bailly au Conseil Economique et Social (Rapport Bailly, 1998), sur la base d’expériences conduites notamment à la RATP, la prospective du présent a été approfondie dans le cadre de cinq colloques de Cerisy portant sur œProspective d’un siècle à l’autre et d’une collection d’ouvrages publiés aux éditions de l’Aube sous la responsabilité d’Edith Heurgon et de Josée Landrieu (cf. bibliographie).
1.3 Un champ fructueux pour la prospective du présent: les relations entre mobilité et ville
Les discours d’experts sont pessimistes sur le devenir des transports urbains au regard de la croissance continue des mobilités (Orfeuil et Massot 2001; Rapport Ries 2003). Les projections à vingt ans sont empreintes de catastrophisme. Mais l’on peut se demander si la manière de poser les questions ne contient pas, en elle-même, les réponses apportées? Des solutions techniques existent, mais les comportements individualistes conduisent les experts à ne pas croire à une alternative à l’automobile. De plus, la crise des financements paraît insoluble, renforcée par les risques engendrés par des lois de décentralisation qui imposent une déconcentration des moyens de l’Etat en faveur des collectivités territoriales.
Ce type de discours est récurrent. Il intervient dès que les transports urbains connaissent des difficultés. Mais ne faut-il pas plutôt référer les questions posées au regard des enjeux urbains, élargir leur champ et s’interroger sur les échelles? Des débats contradictoires ne devraient-ils pas porter sur les problèmes de gouvernance urbaine, notamment sur les possibilités et limites de la réduction, ou non, du trafic, sur la nécessité de posséder, ou non, un véhicule en ville, sur les compromis à opérer en matière de règles d’usage de l’espace public?
2. Prospective de la mobilité
Dans la société contemporaine, œles mobilités prennent une importance croissante et revêtent une valeur sociale, économique et culturelle déterminante . Le mouvement sous toutes ses formes se généralise, mais avec des conséquences ambivalentes.
2.1 Nouveaux rythmes urbains et mobilité
Une société en mutation: mobilité – contrainte et mobilité – liberté
La transformation des rythmes quotidiens et des âges de la vie traduit un mouvement global de la société vers plus d’autonomie. Les âges de la vie évoluent d’une conception ternaire (enfance, période active, vieillesse) vers une pluralité d’âges et d’expériences qui relativise l’idée même de génération. Avec les évolutions du travail dans une économie de services (intensification et diversification des temps travaillés), la croissance du temps libre et la dissémination des nouvelles technologies, les temps sociaux se fragmentent et diversifient les occasions de mobilité.
La construction de projets personnels de vie, conciliant vie professionnelle, personnelle, familiale et sociale engendre des différenciations fortes des régimes temporels selon les situations sociales, le sexe, les générations et les territoires. Elles se traduisent, au plan individuel, par une rationalisation du temps, Ã la fois plus dense et plus éclaté, et, au plan relationnel, par une exigence de disponibilité quasi permanente qui influe sur les comportements de mobilité.
Une culture de mobilité quasi généralisée
Dans un contexte de déplacements moins routiniers, plus complexes, moins prévisibles, la qualité de la vie dépend de plus en plus de la maîtrise de compétences de mobilité sociale et physique et, plus largement, de l’acquisition d’une culture de mobilité.
Ainsi, la mobilité devient une préoccupation constante:
– des populations, résidentes ou temporaires, qui veulent maîtriser leurs espaces – temps (travail, domestique, famille, loisirs, sociaux et civiques) et leur propre gestion du temps ,
– des opérateurs de transports, pour qui elle conditionne toute intervention sur les espaces, les temps urbains et l’accessibilité Ã la ville,
– des acteurs économiques, pour qui elle devient un paramètre décisif d’implantation en fonction des circuits d’échanges, de production et de distribution, mais aussi des possibilités d’accès pour les employés,
– des collectivités locales pour qui elle signifie attractivité des territoires.
Apparue d’abord dans les villes, cette culture de mobilité tend à se diffuser sur l’ensemble du territoire. Elle engendre des pratiques de mobilité qui agissent sur les formes urbaines et sur les localisations résidentielles par un effet d’étalement temporel (toutes les heures de la journée et de la nuit) qui peut renforcer l’étalement urbain (distance au centre).
Des tensions croissantes entre mobiles et immobiles
La différenciation croissante des régimes temporels engendre des tensions fortes qui provoquent des perceptions variées entre des populations qui disposent d’un fort œcapital mobilité et celles qui subissent les déplacements comme une contrainte. En outre surgissent, parfois, des conflits dans l’usage des espaces – temps urbains, selon les lieux et les moments.
L’aspiration croissante des personnes à l’autonomie peut menacer la cohésion sociale et territoriale. Ainsi, l’explosion des mobilités subies, liées à l’éclatement des temps quotidiens, peut accentuer le risque de dilution du lien social avec, pour conséquence, un renforcement d’inégalités et d’exclusions, voire la constitution de nouvelles ségrégations.
Quelques signaux œfaibles
Comme les temps du travail, de la famille et de la religion ne synchronisent plus guère la société, de nouvelles formes de re-synchronisations s’inventent pour permettre de vivre ensemble dans la cité. Ces nouveaux rythmes collectifs définissent notamment une ville événementielle dont les fêtes, les manifestations sportives et culturelles constituent des occurrences particulières qui engendrent des flux de mobilité importants.
L’exemple des Championnats du Monde d’Athlétisme de Paris 2003 a mis en évidence le rôle majeur joué par les mobilités pour resynchroniser des agendas individuels. En d’autres termes, la ville événementielle influence fortement les pratiques de mobilité et les rythmes de vie.
Face à ces transformations des pratiques de mobilité, les réglementations et les modes de régulation actuels perdent de leur efficacité. Il conviendrait de construire localement des projets temporels partagés qui fassent appel à de nouvelles formes de concertation. Cela demande de définir de nouveaux rôles pour des collectivités territoriales garantes d’un dialogue sociétal territorialisé (Rapport Bailly 2002; Rapport Bailly-Heurgon 2001).
2.2 Mobilités, accessibilités et territorialités
Mobilité et mobilités
La mobilité s’accroît et se diversifie dans l’espace (étalement urbain) et dans le temps (étalement temporel). Les motifs de déplacement se transforment (travail, études, loisirs, achats, relations, engagements associatifs) et s’enchaînent au sein de programmes d’activités complexes, moins réguliers, plus occasionnels et multimodaux.
Bref, œla mobilité est partout: dans un continuum du quotidien au biographique, de l’éphémère au définitif, du local au mondial (Lévy, 2003) , mais aussi du réel au virtuel. Elle engage le mouvement de la société, le rapport à l’autre et au monde.
La compétence, le capital de mobilité, la disposition à la mobilité dépendent des individus. Pour les uns, il s’agit d’un mode de vie contemporain qui rime avec libération et dignité alors que, pour d’autres, la mobilité est vécue comme une contrainte à l’origine d’appréhension, de stress et d’enclavement. Chaque personne a son propre système de lieux et de mobilité .
Face à une variété de conceptions, le terme de mobilité devient polysémique et sa définition même devient un enjeu de pouvoir. Il s’agit à la fois de développement de compétences de navigation urbaine et d’exigence de responsabilité, d’écomobilité (Kaufmann, Jemelin et Guidez 2001). En d’autres termes, une analyse des droits et devoirs liés à la mobilité est peut-être à concevoir.
Mobilités, accessibilités et territorialités
A travers les mobilités sont mises en jeu les accessibilités de tous aux activités urbaines et les rapports aux territoires vécus (ou territorialités):
– les mobilités font référence à des métriques, à la maîtrise des vitesses, des lieux et des codes sociaux du déplacement. Elles jouent sur une dualité entre diversité des pratiques et interactivité, liée aux usages potentiels de la ville qui motivent le déplacement;
– les accessibilités s’expriment en termes de réalités sociales et non seulement de kilomètres parcourus. La dualité porte ici sur une relation entre attractivité et disponibilité perçue des lieux et des activités;
– les territorialités renvoient à des recompositions des systèmes propres de lieux et d’activités en fonction desquelles les pratiques sociales et spatiales sont vécues et structurées (Debarbieux et Vanier 2002). La dualité entre continuité et intelligibilité territoriales vise à mettre en regard territoires et programmes d’activités.
Face à l’absence de maîtrise de cette complexité par certaines populations, l’immobilité subie devient, dans une société de mobilité, une cause d’exclusion première.
De même, pour des populations fragilisées que caractérisent des œmobilités insulaires il peut être utile de développer certaines pédagogies de la mobilité, notamment sous la forme d’ateliers de mobilité . Il s’agit de favoriser l’apprentissage ou le ré-apprentissage du territoire et des déplacements en vue d’accéder à la ville et à ses services. Ces développements ont mis en évidence l’importance de la contextualisation de la mobilité qui permet de visualiser les relations entre les lieux.
2.3 La métamorphose du système d’acteurs
Choix de mobilités et choix politiques
Le territoire est le lieu de concrétisation d’enjeux et de conflits de société. Avec les nouveaux rythmes urbains, les enjeux se jouent sur les usages de la ville qui imposent:
– de concilier mobilité, cohésion sociale, qualité de vie et écologie urbaine;
– d’accroître l’attractivité des lieux pour les entreprises et les touristes, ou lors d’événements;
– d’assurer la mixité temporelle entre les activités de la ville qui travaille, qui dort et qui s’amuse;
– de valoriser les espaces publics;
– de favoriser à la fois l’ancrage territorial et l’accès aux réseaux mondiaux.
De plus, l’apparition de nouveaux usages de l’espace urbain transforme les échelles de déplacement, notamment les échelles de proximité qui tendent à s’élargir, du quartier à l’agglomération. En outre, si les pressions pour un fonctionnement en continu de la ville (symbolisé par l’image de la ville ouverte 24h/24 et 7j/7) s’accroissent pour certaines catégories, elles ne sont pas une demande de l’ensemble de la population.
La question des vitesses dans la ville se pose dans la mesure où mouvement, lieux et temps ont partie liée. En d’autres termes, traiter les vitesses de la ville revient à traiter des structures sociales plus que des km/h à partir d’une question simple en apparence: œque fait-on ou que peut-on faire en x heures ou minutes?.
Recomposition des systèmes d’acteurs
Face à des décisions qui engagent des choix politiques majeurs, les acteurs urbains tentent de s’adapter, individuellement et collectivement, à cette nouvelle donne
– La transformation des usagers en clients et citoyens
Ils revendiquent de prendre davantage en considération les logiques d’usage et de mieux intégrer transport, urbanisme, logement, emploi, services et activités.
– Les entreprises deviennent acteurs de la mobilité, œarchitectes des déplacements
Pour les acteurs économiques, l’accessibilité, la qualité des déplacements et la performance économique et sociale dépendent aussi des relations avec les opérateurs de transport, notamment au travers de Plan de Déplacement d’Entreprise (PDE).
– Les missions et les métiers des entreprises de transports publics évoluent
Pour devenir attractifs au regard de la voiture particulière, les opérateurs font le constat que l’organisation des systèmes de transport n’est pas adaptée à des pointes de trafic étalées dans le temps, à des heures creuses qui se raréfient et à de nouvelles demandes de mobilité, dont la satisfaction suppose de redéfinir le modèle économique qui sous-tend le secteur des transports et qui survalorise l’impact des infrastructures.
– Les Autorités Organisatrices des Transports (AOT) se découvrent manager des mobilités
Le rôle des AOT évolue. Elles doivent non seulement aménager l’espace (infrastructures), mais aussi apprendre à gérer les espaces – temps urbains (services) et à intégrer les déplacements dans le cadre d’un développement durable.
3. Une ville accessible et hospitalière
3.1 La ville et l’extension de l’urbain
L’urbain est partout. Le niveau d’urbanité se lit à travers les gradients de densité et de diversité que les mobilités contribuent à structurer. La concentration spatiale des activités et des services présente des avantages spécifiques en termes d’urbanité et d’accessibilité à la ville.
Un œbon niveau d’urbanité associe densité, diversité et solidarité à des échelles suffisantes, correspondant à des bassins de vie ou à des aires urbaines:
– il intègre la mobilité sous toutes ses formes et la contextualise selon des lieux et des temps attractifs;
– il présente des espaces publics adaptés à des flux et usages différenciés;
– il organise des espaces de circulation appropriables par les populations de tous âges;
– il propose des équipements et des services qui intègrent les conditions de leur accessibilité.
Ce modèle urbain d’une ville active, agréable à vivre et conviviale, accessible et plurielle constitue un œfutur souhaitable à co-construire avec l’ensemble des acteurs, une œutopie réaliste permettant de sortir du dilemme entre l’âge d’or de la ville historique et le laisser-faire de la ville émergente.
En d’autres termes, la ville souhaitable doit relever des défis d’attractivité territoriale et de création d’emploi, de réponse aux aspirations des citadins et, enfin, de cohésion sociale. Il est à noter que les politiques de transport peuvent contribuer à la construction d’une ville accessible et hospitalière en termes de compétitivité, de développement durable et de lutte contre les inégalités et les exclusions.
3.2 La co-évolution de la ville et des transports
L’histoire des transports franciliens (Larroque, Margairaz et Zembri 2002) met en exergue des périodes où la volonté politique d’articuler transports et urbanisme a permis de réguler les mobilités et de rendre la ville accessible pour tous.
Au XXème siècle, les transports publics ont été conçus comme acteurs de l’aménagement et créateurs de richesses pour la collectivité lors de la construction du métro au début du siècle et avec le schéma directeur de Paul Delouvrier dans les années 60 (avec les villes nouvelles et le RER). A contrario, le démantèlement des 1000 km de lignes de tramways dans les années 30 et l’explosion du péri-urbain, faute de transports publics adaptés, dans les années 80, illustrent l’absence de prise en considération d’objectifs sociaux, économiques et environnementaux.
Les travaux récents sur les rythmes urbains renforcent l’exigence de co-évolution de la ville et des transports pour tenir compte des intensités d’usage des lieux par des populations résidentes et temporaires. Les œtemporaires recouvrent les œcommuteurs, les utilisateurs de la ville et de ses services et les hommes d’affaires. Leurs usages des lieux, périodiques et réguliers, jouent un rôle de plus ne plus important dans le fonctionnement de la ville et des transports. En d’autres termes, les populations temporaires introduisent un facteur de complexité non négligeable dans la compréhension des comportements de mobilité et des solutions de transport à imaginer.
3.3 Intégrer les dimensions spatiales et les facteurs temporels
Pour maîtriser les effets conjugués de l’étalement urbain et de l’étalement temporel, il convient d’introduire dans les politiques d’aménagement, d’équipement, d’urbanisme, de logement et des transports, la perspective des nouveaux rythmes urbains afin de prendre en compte l’évolution des modes de vie et des comportements de mobilité.
Ainsi, en contrepoint à la œville des 24h, la ville accessible et hospitalière propose à chacun d’accéder aux équipements urbains dans de bonnes conditions de délai, de qualité et de coût. Pour cela, l’offre de transport et de services, ainsi que les demandes de mobilités et d’aménités doivent être co-construites en associant tous les acteurs concernés: entreprises, salariés et acteurs de la cité (élus et société civile) à travers un dialogue sociétal que des dispositifs comme les œbureaux des temps contribuent à animer (Rapport Bailly 2002).
Une hiérarchisation spatio-temporelle de la ville résulte de cet élargissement de perspective qui combine désormais la problématique d’aménagement de l’espace (développer des infrastructures de capacité) et les conséquences des transformations des rythmes urbains (création d’équipements et gestion continue des services). Cette hiérarchisation se traduit par l’articulation de diverses structures spatiotemporelles qui correspondent à des organisations spécifiques des transports:
– L’échelle des aires urbaines et le temps long des armatures urbaines
Cette armature est composée des infrastructures et des réseaux qui structurent un territoire polycentrique afin de résister aux pressions de l’étalement urbain et d’éviter les ségrégations. Pour les transports, cela signifie des réseaux en site propre (RER, Métro, Grand Tram) assurant des liaisons rapides entre pôles régionaux et l’accès aux réseaux nationaux et internationaux.
– L’échelle des bassins de vie et le moyen-terme des équipements
Ces équipements et services à la mobilité assurent un maillage du territoire vécu et organisent des centralités tenant compte des accessibilités. Ils peuvent être multi-services (privés et publics), polyvalents (combinant commerces et loisirs, marchands ou non) ou événementiels. Pour les transports, le projet Mobilien, réseau principal de surface en Ile-de-France, a pour ambition de mieux structurer et irriguer les bassins de vie par un réseau de lignes et de pôles qui offre un service de haute qualité.
– Les échelles de proximité et le temps réel de la gestion urbaine
Définis au travers de démarches de développement local, il s’agit d’équipements et services de proximité qui ont pour vocation de s’adapter rapidement à l’évolution des demandes des citadins. Pour les transports, les agences de mobilité s’attachent à offrir des solutions de dessertes pour des demandes faibles et/ou en horaires atypiques.
Ainsi, face à des mobilités fragmentées, la conception du transport évolue du transport de masse vers des services à la mobilité. L’innovation est plus que jamais à l’ordre du jour pour mieux œservir la mobilité des individus, la faciliter (accessibilité) et l’enrichir d’opportunités (aménités, nouveaux services).
Ces innovations portent sur tous les domaines: dessertes (amplitude, hiérarchisation, horaires atypiques, diversification selon les clientèles et les périodes), espaces de transport et pôles urbains, produits tarifaires, information. L’enjeu majeur est d’intégrer ces innovations dans une approche globale des déplacements, selon des échelles territoriales pertinentes au regard des pratiques de mobilité et de leur management.
4. Nouveaux enjeux, nouvelles approches
4.1 De nouveaux outils?
La sensibilisation des divers acteurs aux enjeux des changements en cours suppose de leur fournir des informations suffisamment pertinentes pour les éclairer et suffisamment fiables pour fonder des argumentaires décisionnels. Les outils de connaissance existants ne le permettent que partiellement. Des efforts sont donc nécessaires pour développer de nouvelles approches qui favorisent les apprentissages partagés et alimentent les processus de concertation et de dialogue sociétal.
Toutefois, pour prendre la mesure de l’ampleur des évolutions des rythmes urbains et des mobilités, il convient d’appréhender et de représenter en dynamique, notamment:
– les pratiques de mobilité selon l’intensité des flux, les types de parcours (directs ou zigzagants);
– l’ensemble des déplacements (modes de transport, échelles territoriales, motifs);
– les systèmes d’activités et les chaînages de déplacements qui les caractérisent;
– les régimes d’occupation des lieux selon les périodes temporelles (heures, jour, mois, saisons, année)
– les profils des populations selon leur régime de présence dans les lieux (résidents ou temporaires);
Ces éléments conduisent à adapter les modèles de trafic, et à développer de nouvelles représentations cartographiques. A titre d’exemple, les cartes chronotopiques du Politechnico de Milan mettent en évidence l’attractivité temporelle de œlieux habités et les cartes isochrones représentent les temps d’accès à un lieu donné .
La mise en place de systèmes de veille sur les évolutions permettra d’améliorer la capacité d’adaptation des collectivités territoriales et des opérateurs de transport. De plus, des dispositifs de régulation publique devront être mis en place pour encadrer les arbitrages d’espaces-temps des citadins-citoyens et limiter les conflits d’usages dans l’espace-temps public.
4.2 Un nouveau modèle d’économie de la mobilité urbaine?
Dans les sociétés modernes, les relations entre développement économique et mobilités sont cruciales. Les règles du jeu économiques (flexibilité, productivité, dérégulation, concurrence) ont changé notamment avec œles combinaisons entre les critères sociaux et économiques dont les marges évoluent continuellement en fonction des cultures, des moments et des situations locales (Landrieu 2000).
Ces mutations mettent en évidence la nécessité de définir un modèle économique qui évalue l’ensemble des valeurs ajoutées d’une ville accessible et hospitalière au sein de laquelle les mobilités fluidifient les échanges. Cela suppose, d’abord, de passer d’une économie des transports à une économie de la mobilité urbaine capable d’articuler offres de transport et demandes diversifiées de mobilité. Cela suppose, ensuite, de passer d’une logique économique sectorielle (les transports) à la conception d’une fonction urbaine intégrée (transport, logement, espace public) et territorialisée, au sein de laquelle la gestion des réseaux et le management de la mobilité prennent toute leur place.
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