1 – Un contexte propice à une redéfinition des politiques publiques en direction des parents et des familles ?
L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a rendu public, le 19 février 2013, un rapport intitulé « Evaluation de la politique de soutien à la parentalité »1. Il fait suite à deux rapports précédemment publiés, l’un par l’IGAS en avril 2004 et l’autre par la Délégation interministérielle à la famille en septembre 2009, et qui portaient sur l’évaluation des seuls Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) institués en mars 1999.
Le rapport de 2013 élargit le champ de l’évaluation à celui que recouvrent désormais le Comité national et les Comités départementaux de soutien à la parentalité mis en place respectivement en novembre 2010 et à partir de 2011. Ce champ assez hétérogène comporte, outre les REAAP, d’autres dispositifs à vocation généraliste (Points Information Familles et Lieux d’accueil enfants/parents), mais aussi des dispositifs plus « ciblés » sur des parents en situations difficiles (actions relevant de la Charte locale d’accompagnement à la scolarité, services de médiation familiale, espaces de rencontres parents/enfants en cas de séparations conjugales particulièrement conflictuelles).
Le contexte politique semble certes avoir changé depuis l’époque où la secrétaire d’Etat chargée de la Famille et de la Solidarité installait le Comité national de soutien à la parentalité en déclarant que l’objectif de celui-ci était « de mieux coordonner les actions d’aide à la parentalité et de prévention de la délinquance des mineurs »2 et en affirmant par ailleurs, le même jour : « Les REAAP sont fondamentaux, car ils ont en charge l’éducation des parents en s’adressant principalement à ceux qui méconnaissent les règles de vie dans notre pays »3. De fait, les auteurs du récent rapport de l’IGAS soulignent les tentatives menées, ces dernières années, pour faire converger voire fusionner les politiques dites de « soutien à la parentalité » et celles de « prévention de la délinquance » – et encore, pourrait-on ajouter, celles visant la prévention et la sanction de l’absentéisme scolaire ou de tant d’autres problèmes éducatifs complexes et multifactoriels. Les rapporteurs observent qu’il a fini par en résulter un « brouillage du référentiel initial des acteurs du soutien à la parentalité », occasionné par une confusion terminologique et de sens entre la mention récurrente des « responsabilités parentales » et la formulation d’objectifs d’action visant la « responsabilisation des parents ».
Le rapport 2013 de l’IGAS déduit prudemment de l’ensemble de ses observations l’existence d’une « construction progressive mais inachevée de la parentalité comme politique publique ». Il note aussi que celle-ci relève de plus en plus des financements de la Caisse nationale des allocations familiales ainsi que de ceux, facultatifs, des collectivités locales, et de moins en moins de ceux de l’Etat. Au fil de ses analyses, le rapport formule pour l’essentiel un ensemble de recommandations stratégiques visant le pilotage, la gouvernance, les financements, l’accessibilité et le décloisonnement des politiques de « soutien à la parentalité ». Mais il ne se prononce pas – ce n’est d’ailleurs pas son objet – sur le sens de la « politique publique » à mettre en place au titre de la « parentalité ».
Une lecture plus audacieuse de l’évaluation dressée par l’IGAS invite cependant à y saisir sans trop attendre l’occasion de redéfinir radicalement les fondements, les finalités, les logiques d’acteurs, les méthodes et les moyens d’une politique publique résolument progressiste et ambitieuse en direction des parents et, au-delà, des familles. Les points de vue ci-dessous proposés invitent, en ce sens :
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d’une part à mieux prendre en compte, d’une part, les réalités de la condition parentale plutôt que de réduire celle-ci à une « parentalité » qui n’en est qu’une composante subjective et imprécise ;
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d’autre part, et sur cette lancée, à mieux promouvoir les aspirations contemporaines à la démocratisation des relations éducatives au sein des familles (entre pères, mères, enfants, « beaux-parents », grands-parents, etc.) mais aussi, et pour commencer peut-être, entre les familles et les services, établissements et institutions à vocation éducative.
2 – Du « soutien à la parentalité » à la prise en compte de la condition parentale
Une décennie sépare la circulaire interministérielle de mars 1999 constitutive des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents et l’installation, en novembre 2010, du Comité national de soutien à la parentalité. Le glissement terminologique et sémantique de « l’accompagnement des parents » vers le « soutien à la parentalité » n’est pas anodin.
Le passage de l’« accompagnement » au « soutien » est déjà révélateur d’un important changement de représentations, en ce qu’il indique un changement de postures mutuelles entre parents et professionnels. Il inscrit ce « soutien » parmi d’autres postures asymétriques et inégalitaires souvent employées ou promues dans le jargon de ces derniers (la « guidance », le « suivi » ou, plus récemment, le « contrat » si souvent léonin qu’il s’entend, se pratique et se vit comme un contrôle, une supervision). Autant de façon de cheminer qui risquent de se figer dans le « face à face » ou d’aboutir au « dos-à-dos » parce qu’elles oublient de privilégier le « côte à côte » de l’accompagnement. Et qui font obstacle, en définitive, à l’instauration de dispositions mutuelles propices à des dynamiques et à des alliances coéducatives parce qu’elles leur substituent d’emblée des dispositifs univoques de services descendants, dédiés, générateurs de dettes sociales et symboliques sans contre-dons possibles, et dont la nature objectivement ou subjectivement contraignante se manifeste assez vite.
L’évolution de la terminologie en vigueur dans le discours public, aussi bien politique qu’administratif et professionnel, est caractérisée par un glissement supplémentaire : il est de moins en moins question « des parents » et de plus en plus de « la parentalité ». On note ici le passage du pluriel au singulier, de l’action collective à l’action individualisée, et donc de l’approche sociopolitique à l’approche psychologisante. On note aussi, et peut-être surtout, le passage des personnes réelles (les parents) à un concept idéologiquement déterminé et supposé résumer leurs attributs (la parentalité). La réduction sémantique et la focalisation opérationnelle ainsi opérées le sont sur « une » « parentalité » formelle, idéale, modélisée (quoique sans modèle explicite), bref quasi abstraite mais surtout évoquée, en pratique, quand il s’agit de prétendre la « soutenir ». L’attention est alors aussitôt centrée sur certaines catégories de parents identifiés ou désignés comme étant en difficulté à l’égard de cette norme insaisissable. L’approche politique qui en résulte justifie l’institutionnalisation d’un ensemble de dispositifs extensifs et relativement cohérents de contrôle social ciblés sur les seuls fonctionnements familiaux atypiques, inadéquats ou réputés tels.
Or, en pratique, ce sont les parents eux-mêmes, bien plus que leur « parentalité », qu’il conviendrait d’accompagner et le cas échéant de « soutenir », de façon tangible, respectueuse de leurs rôles, de leurs fonctions et de leurs responsabilités. Ainsi pourraient-ils mieux s’affirmer comme les co-créateurs et les co-acteurs des réponses aux questions qu’ils se posent, ne serait-ce qu’en tant que parents.
L’expérience et l’observation des réalités familiales contemporaines rendent en effet essentielle et souvent prioritaire la prise en compte de la « condition parentale » dans sa globalité, c’est-à-dire de l’ensemble des facteurs – objectifs et subjectifs, sociaux et personnels – qui déterminent les façons de devenir, d’être et de rester parents (mère, père, voire beau-père, belle-mère).
Mettre l’accent sur la « condition parentale » – comme on a pu historiquement le faire pour la « condition ouvrière », la « condition paysanne » ou la « condition féminine » – , plutôt que sur la seule « parentalité », permet en outre d’insister sur deux considérations d’ordre général :
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d’une part, la condition parentale est l’une des composantes fondamentales, même si elle l’est parmi bien d’autres, de la condition humaine ;
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d’autre part, l’affirmation classique selon laquelle « on ne saurait être parent tout seul » conduit à reconnaître ce qui la fonde, à savoir l’impact très concret – dans l’immédiat et, souvent, dans la durée – des conditions de vie individuelles, familiales, économiques, sociales, résidentielles, etc. sur le bien-être, le bien vivre et l’éducation des enfants.
S’ils acceptent d’ouvrir les yeux et les oreilles au-delà de leurs expériences intimes et de leurs approches subjectives, les professionnels en relation avec des parents ne peuvent que constater l’importance corrélative des facteurs liés aux revenus, à l’emploi ou à l’absence d’emploi, aux conditions et aux horaires de travail de ces parents, ainsi qu’au logement familial, à l’urbanisme, aux moyens de communication, à la présence, l’absence et l’accessibilité des équipements et services publics dédiés aux enfants et aux jeunes, etc.
C’est pourquoi la diversité et les inégalités qui caractérisent les cadres et les modalités d’existence au quotidien des parents, des enfants et des jeunes justifient d’accorder une attention première – et politique – aux moyens de faire évoluer avec eux la condition parentale dans une perspective de progrès et de développement sociaux. Il ne serait pas éthique, de la part des professionnels, de se refuser à une telle démarche et de ne pas nourrir les débats public en y versant les observations qu’ils collectent à ce sujet.
Il convient dès lors de procéder à l’inventaire exhaustif et non sélectif des différentes composantes de cette condition parentale, en s’intéressant non seulement aux contraintes et aux difficultés objectives des parents, mais aussi à leurs ressources, à leurs potentialités et à leurs aspirations, de façon à éclairer les décideurs politiques et administratifs sur les moyens de les accompagner et, le cas échéant, de les appuyer et de les « soutenir » dans leurs projets familiaux. Cette approche permet en effet, dans un premier temps, de relativiser les responsabilités individuelles des parents, de les déculpabiliser, d’identifier et de mobiliser leurs talents occultés et leurs réseaux sociaux, et de rechercher avec eux des modes de sortie de l’isolement et du fatalisme. Mais elle doit aussi mettre l’accent, dans un second temps, sur les orientations et les choix qui, en matière d’équipements et de services publics de proximité, de législation du travail, de logement, d’éducation scolaire et non scolaire, etc. vont encourager ou non, relayer ou non, les espoirs et les ambitions légitimement nourris par les parents pour leurs enfants.
La volonté d’agir sur les conditions de vie des parents, ainsi d’ailleurs que sur leurs cadres de vie, et plus encore la volonté de les inciter à prendre eux-mêmes du pouvoir sur ce qui les y inféode amènent en définitive à considérer la question de la « parentalité » – mais en réalité de la condition parentale – comme bien plus politique que psychologique ou éducative. Nombre de décideurs politiques, de fait, ne s’y sont pas trompés, même s’ils ont en souvent tiré des conclusions qui, en les dédouanant de ce qui aurait du en découler pour eux dans la sphère publique en termes de responsabilités, ont tendu à privatiser celles-ci en cherchant à les faire assumer par les seules familles. Les parents et les acteurs engagés auprès d’eux gagneraient à devenir et à rester conscients à leur tour de cette dimension politique afin de ne pas se laisser déposséder des enjeux qui en résultent au prix d’une culpabilisation souvent injuste et abusive.
Ces enjeux sont en effet considérables. Ils se déduisent de la promotion de la connaissance dont disposent les parents, en première ligne, sur leur condition parentale ainsi conçue. Ils stipulent qu’il importe de toujours les écouter avant d’agir, et dès lors d’agir avec eux et pas seulement pour eux, c’est-à-dire de les accompagner au sens propre du terme. On observera que, dans le cadre d’une éducation démocratique, il en va de même pour les enfants et les jeunes : nombre de décisions prises pour eux par les parents et/ou par les autres éducateurs devraient aujourd’hui l’être après avoir recueilli et pris en considération leurs opinions à ce sujet, eu égard toutefois à leur âge et à leur degré de discernement (cf. infra, § 3). En tout état de cause, les familles – parents et enfants – doivent aujourd’hui être reconnues comme détentrices d’une véritable expertise d’usage sur leur territoire de vie et donc comme sources de proposition sur le devenir de celui-ci.
La finalité la plus aboutie d’une démarche visant à écouter, appuyer et accompagner les parents vise au total la possibilité de l’inscrire, à l’échelle du territoire où elle se déploie, dans une perspective de développement social durable. En incitant les parents à se présenter et à s’assumer non seulement comme des acteurs de leur « parentalité », non seulement comme des acteurs de leur « condition parentale », mais aussi et plus largement comme des acteurs des modifications de leurs conditions et cadres de vie, on induit un changement radical de la représentation qu’ils peuvent se faire d’eux-mêmes et qu’ils peuvent faire valoir autour d’eux. L’enjeu consiste autrement dit à reconnaître leur légitimité et leur aptitude à partager un pouvoir de décision sur leur environnement, y compris institutionnel, et sur celui de leurs enfants.
Encore faut-il que les élus, les institutions et les professionnels concernés acceptent et fassent vivre le principe de ce partage. Au-delà des seuls REAAP, dont le périmètre d’influence et d’action reste aujourd’hui limité, c’est notamment aux associations familiales, aux associations de parents d’élèves, aux associations de proximité, aux syndicats, aux instances consultatives (conseils de crèches, quand ils existent, conseils d’école, conseils de quartier, conseils de la vie sociale, etc.) qu’il revient de promouvoir des occasions et des modalités de participation effective des parents – mais aussi, chaque fois que possible, des enfants et des jeunes – aux décisions qui les concernent.
3 – Un contexte juridique et sociologique propice à réactualiser le concept et les pratiques de la « démocratie familiale »
3.1 – Les évolutions du contexte juridique
La France a ratifié, le 8 octobre 1990, la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) adoptée le 20 novembre 1989 par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies. Elle s’est engagée de la sorte à vérifier ou à instituer la conformité de son droit interne aux normes juridiques supranationales de ce traité, et chaque fois que possible à les faire prévaloir dans les cas d’espèce.
Les droits reconnus par la CIDE à chaque enfant – défini comme toute personne de moins de 18 ans – se composent pour l’essentiel :
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non seulement d’un ensemble de droits économiques, sociaux et culturels (à la possession d’état, au regroupement familial, à des prestations de base, à la prévention, à la protection, à la santé, à l’éducation, aux loisirs …) ;
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mais aussi d’un ensemble de droits civils et politiques (à l’expression et à la prise en compte de celle-ci, à la participation aux décisions, au respect de la vie privée …), la mise en œuvre de ces derniers étant appréciée selon l’âge et le degré de discernement de son titulaire.
C’est en référence aux normes affirmées par la CIDE que la France a progressivement entrepris de redéfinir les finalités et les contenus du concept d’« autorité parentale » en le centrant désormais sur l’intérêt de l’enfant et non pas sur un intérêt général réduit à la préservation de l’ordre, de la santé, de la sécurité et de la tranquillité publics.
La définition juridique de l’autorité parentale au sein de la famille n’a en effet pas cessé d’évoluer depuis deux millénaires et le droit romain. La « puissance paternelle », qui donnait un pouvoir quasi absolu au père sur sa famille, a été peu à peu réduite par l’Etat, de part et d’autre notamment du seuil du 20ème siècle, pour n’être abolie que par la loi du 4 juin 1970. Elle a alors été remplacée par « l’autorité parentale » qui a précisé, pour commencer, que « l’autorité appartient aux père et mère » lorsque ceux-ci sont mariés. Des remaniements législatifs, le 22 juillet 1987 et le 8 janvier 1993, ont tenté d’adapter les modalités de sa répartition et de son exercice aux situations créées par l’accroissement du nombre d’enfants nés hors mariage et de séparations conjugales des parents.
La loi du 4 mars 2002, comportant différentes mesures en matière de politique familiale, a modifié en profondeur la rédaction de l’article 371-1 du Code civil relatif à l’autorité parentale. Cet article stipule désormais que : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect de sa personne ». Et il ajoute : « Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité ».
Que l’autorité parentale soit « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant » résulte de l’esprit même de la CIDE et notamment de l’application, dans le champ familial, de son article 3, relatif au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant comme « considération primordiale », et de son article 5, relatif au respect par les Etats des responsabilités, droits et devoirs des parents à cet égard.
C’est ainsi que tous les parents, qu’ils soient mariés ou non, se voient conjointement assigner des devoirs – et donc doter des droits en résultant – dans deux domaines traditionnels : la protection (sécurité, santé, moralité) et l’éducation de l’enfant, de façon à rendre possible son développement « dans le respect de sa personne ». Mais un domaine supplémentaire est défini, et cette innovation est considérable : celui de la formation familiale de l’enfant à une citoyenneté active et responsable par son association aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité.
Ces trois grands attributs sont énoncés en mairie aux couples qui se marient, et ils sont supposés ne pas être ignorés par les autres. Dans tous les cas, le troisième d’entre eux est de nature à susciter la perplexité des parents qui ne disposent pas toujours des moyens d’en cerner les enjeux et les déclinaisons concrètes, surtout s’ils n’en ont pas bénéficié eux-mêmes pendant leurs propres enfances.
Cette troisième et nouvelle disposition relative à l’autorité parentale n’en constitue pas moins le fondement juridique de l’introduction d’une dose significative de démocratie éducative dans l’espace familial. Peut-être, contrairement à ses habitudes en matière de droit de la famille, le législateur de mars 2002 a-t-il ici édicté la norme avant qu’elle ne soit largement expérimentée et diffusée dans les pratiques quotidiennes. Certes, dans nombre de familles, une nouvelle génération de parents avait déjà pris l’habitude de consulter les enfants, parfois à l’excès ou maladroitement ou de façon empirique, avant de prendre telle ou telle décision les concernant. Mais, dans nombre d’autres familles, plus traditionalistes, et notamment certaines familles de migration extra-européenne récente, le principe du « on ne parle pas à table » et celui de l’obéissance inconditionnelle et silencieuse aux parents et surtout aux pères continuaient à s’opposer aux enfants4, quitte à ce que ce ceux-ci se fassent bruyamment entendre sur d’autres scènes, notamment scolaires.
La nouvelle disposition introduite en mars 2002 dans le Code civil résulte en fait largement de la ratification de la CIDE par la France, et donc de sa nécessaire transposition dans son droit interne. L’article 12, alinéa 1, de la CIDE stipule en effet que : « Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ». Cet article s’applique certes au cadre familial mais aussi, bien entendu, à tous les lieux – écoles, centres de loisirs, services et établissements – fréquentés par les enfants, ainsi qu’aux lieux de prise de décisions judiciaires les concernant (audiences des juges des affaires familiales, des juges des tutelles, des juges des enfants).
Dans les familles comme dans toutes les institutions éducatives, sociales et judiciaires, l’article 12 de la CIDE constitue désormais une référence primordiale pour affirmer le droit de l’enfant de donner son avis afin de participer aux décisions qui le concernent. Constituant l’un des principes de base, bien que souvent occulté, de la CIDE, cet article conduit à une révision fondamentale des approches traditionnelles qui ne voient dans les enfants que les destinataires passifs de la protection des adultes.
Ainsi, en pratique, le fait que l’enfant puisse donner son avis et participer aux décisions qui le concernent n’est-il plus une possibilité laissée à la libre appréciation de l’administration ou à la discrétion d’un adulte, et notamment d’un parent, mais un droit fondamental que le législateur, les autorités administratives et les familles se doivent d’aménager en accord avec l’évolution des capacités de l’enfant. Ce droit implique aussi que tous les adultes écoutent ce que disent les enfants, qu’ils prennent au sérieux leurs opinions et leurs expériences, qu’ils les consultent systématiquement, partout où ils se trouvent, sur les décisions – des plus triviales aux plus fondamentales – qui les impliquent, et qu’ils apprennent à collaborer avec eux pour les mettre en œuvre et les évaluer.
A l’évidence, un tel droit remet en cause tant les représentations traditionnelles que les adultes ont des enfants que les principes sur lesquels repose leur action éducative, dans les sphères familiales et institutionnelles. Il est donc nécessaire que ces adultes prennent conscience et tirent les conséquences pratiques de l’évolution de la conception de l’enfant, de sa personne et de son intérêt, de la reconnaissance légitime de ses aptitudes et pas seulement de ses limites, et, partant, de sa place dans la famille, la crèche, l’école, le centre de loisirs, etc., bref dans la société.
Il est logique que, face à l’émergence de ces nouveaux droits accordés aux enfants, des craintes de perte d’autorité, sinon de pouvoir, se manifestent tant chez les parents que chez les éducateurs professionnels. Il importe d’y être attentif, et de ne pas faire obstacle à leur expression, mais sans oublier pour autant qu’il revient à terme aux adultes ainsi concernés de changer de regards, d’attitudes et de pratiques avec les enfants. Ils doivent désormais partager avec eux tout ou partie de l’information, de la consultation, de l’expression, de la concertation, de la prise de décision, de la mise en œuvre et du suivi de celle-ci, bref du pouvoir, sur « toute question [les] intéressant ».
Chacun est dès lors invité à explorer, expérimenter et concrétiser de nouvelles modalités de rapports entre les adultes et les enfants, ce qui ne peut se faire que progressivement et, autant que possible, collectivement. En France, l’Etat, pourtant chargé de la mise en oeuvre des droits d’expression et de participation des enfants, hésite manifestement d’abord à les faire connaître et, ensuite, à les faire pleinement respecter.
C’est pourquoi, en 2004, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a rappelé à l’Etat français qu’il « doit continuer à promouvoir le respect des opinions de l’enfant au sein de la famille, de l’école, dans les institutions, et à favoriser la participation des enfants pour toutes questions l’intéressant, conformément à l’article 12 de la Convention, en tant que droit dont l’enfant est informé et non à titre de simple possibilité ». Il a encouragé de même l’Etat et les pouvoirs publics « à donner aux parents, aux enseignants, aux fonctionnaires, aux membres du corps judiciaire, aux enfants eux-mêmes et à la société dans son ensemble des informations à caractère pédagogique sur cette question en vue de créer et d’entretenir un environnement dans lequel les enfants puissent librement exprimer leurs opinions, et où ces opinions soient dûment prises en considération. »
3.2 – Les évolutions du contexte sociologique
L’émancipation des femmes, progressivement conquise par les femmes elles-mêmes, se fait jour au cours du XXème siècle, tout du moins dans les pays riches, industrialisés et en voie d’urbanisation croissante. Elle précède et accompagne l’émancipation des enfants, dont les enjeux et la portée sont sensiblement différents et qui est construite par d’autres voies5. Ces évolutions contribuent à enrichir le champ de la « conversation conjugale » au sein des couples tout en l’ouvrant aux possibilités, aux promesses et aux aléas d’un « dialogue familial »6 qui devient peu à peu intergénérationnel. Hommes et femmes, parents entre eux, parents et enfants renforcent et complexifient leurs liens pour mieux s’en prévaloir mais aussi pour mieux s’en libérer.
Un double processus de fond s’observe simultanément : celui de la remise en cause plus ou moins radicale des impasses archaïques de la domination masculine et de l’autorité paternelle, et celui de la diversification des formes et des structures familiales. Il permet la lente émergence, à la fin du XXème siècle et au début du XXIème siècle, on l’a vu, du principe de l’autorité parentale conjointe s’appliquant de droit et en toutes circonstances de composition ou de recomposition de la conjugalité des parents.
La marche vers l’égalisation des statuts et la levée des verrous symboliques ouvrent de nombreuses et nouvelles portes au cœur de l’espace familial. L’avènement du projet de « réalisation de soi » , propre à la montée en charge de l’individualisme dans l’ensemble de la société, autorise et invite chacun à affirmer sa subjectivité au cœur d’un « nous » familial composé sur des bases désormais plus affectives qu’instituées, notamment au sein du couple7.
L’émergence et la promotion de l’enfant sujet, doté de droits classiques et spécifiques à la protection mais aussi de nouveaux droits citoyens à l’expression et à la participation, complètent cette reconfiguration du paysage familial. Elles laissent percevoir les potentialités ou valident déjà les réalités du fonctionnement « démocratique » auquel peut prétendre le groupe familial. Et elles centrent de plus en plus celui-ci sinon sur la personne de l’enfant du moins sur la notion de son « intérêt » (parfois confondue, dans un contexte polarisé par les propensions consuméristes, avec la satisfaction immédiate de ses pulsions et de ses besoins).
Si l’« individualisme relationnel » a ainsi pu fleurir au sein des familles, c’est au prix de révéler au fur et à mesure les fragilisations qu’il y a introduites. Et ceci d’autant plus qu’il trouve son principal ancrage non plus dans l’institutionnalisation des liens entre leurs membres, mais dans l’affectivité et les sentiments dont ils se réclament, au prix de l’instabilité qui en découle. Le couple conjugal est le plus exposé aux effets de ces évolutions : le moindre conflit y surgissant peut se dramatiser en prémices ou en menace de rupture. Mais l’éventuelle survenue de celle-ci ne fera pas exploser pour autant le couple parental, désormais préservé à peu près en l’état par le principe de l’autorité parentale conjointe et tenu de ce fait, en théorie et en droit, à la solidarité ou à la subsidiarité.
Ainsi, en situation de conflit ou de crise et, par extension, face aux moindres tensions familiales, la relation parent-enfant fait-elle désormais figure de môle de stabilité face aux tempêtes affectives. Fortement instituée et encadrée par la loi, elle risque, craint et connaît en effet bien moins la rupture que la relation entre les parents qui l’est, quant à elle, de moins en moins.
Les enfants sont souvent les premiers à percevoir ce déplacement des équilibres structurants sinon en leur faveur, du moins en leur direction. Ils sont parfois tentés d’en jouer, sur un mode opportuniste, pour faire aboutir telle ou telle revendication de l’instant. On les voit néanmoins plus souvent intéressés, sur le fond et la durée, à ce que le dialogue, la délibération et la participation à la prise des décisions qui les concernent, directement ou indirectement, soient érigés au rang de principes permanents de régulation des aléas, petits et grands, de la vie quotidienne. Ils ont entendu dire que les adultes pouvaient et devaient les entendre. Ils sont prêts à les prendre au mot et à les écouter à leur tour si nul ne confond « écouter » avec « obéir ».
En phase avec leur temps, les enfants et les jeunes sont globalement demandeurs d’échanges et de règles d’échanges pouvant leur ouvrir de réelles perspectives de négociation. Il s’agit non seulement de renoncer aux rapports de force plus ou moins récurrents caractéristiques des modèles éducatifs traditionnels, mais aussi de créer à leur place les conditions de l’argumentation, les possibilités de la persuasion et la recherche de consentements libres, éclairés et mutuels.
La plupart des parents souhaitent également définir, expérimenter et consolider de nouveaux modes de gestion interne des tensions familiales, quels qu’en soient les motifs, la forme et l’intensité. Ils voudraient être en mesure d’emprunter les voies du consensus dans le plus grand nombre de prises de décision relatives à la vie du groupe familial (y compris élargi aux grands-parents, aux beaux-parents, etc.) et à celle de chacun de ses membres.
C’est pourquoi il semble intéressant, au vu de ces aspirations convergentes, de revisiter le concept de « démocratie familiale » et, plus encore, ses attendus et ses pratiques. Les évolutions culturelles et politiques qui se sont manifestées en sa faveur à partir des années 1960 jusqu’aux années 1990 en ont validé l’usage – ou les apparences de l’usage – dans certaines couches de la société8. Depuis lors, les références au fonctionnement démocratique des familles ont été paradoxalement réactivées par les mises en causes idéologiques qui, depuis une dizaine d’années, les ont peu à peu caricaturées pour mieux les dénoncer9. Ainsi les discours biaisés puis frontaux tenus, au motif de la « démission des parents », sous l’égide du « soutien à la parentalité » ont-ils fourni l’armature de certains dispositifs d’un contrôle social de moins en moins déguisé à l’encontre des familles10.
Pourtant, qu’on l’admette ou non, qu’on s’en satisfasse ou non, le fonctionnement des familles contemporaines s’appuie de plus en plus sur des procédures, informelles et parfois formalisées, de densification voire de complexification des relations entre leurs membres. Ce mouvement concerne toutes les familles, y compris les plus « modestes », y compris les plus acculturées par leur migration récente. Il s’agit là de tendances sincères même si elles sont maladroites, profondes même si elles sont diffuses, intimes même si elles tendent aussi à se faire publiquement reconnaître comme alternatives à un autoritarisme qui fait de plus en plus souvent la preuve de son inefficacité et, même, de ses aspects les plus contreproductifs.
De plus en plus de familles commencent en effet à réaliser que, en matière d’éducation, la véritable autorité consiste bien plus à savoir autoriser qu’à savoir interdire, et à devoir dire « non », bien sûr, mais dans la perspective essentielle de pouvoir dire « oui » à l’enfant qui découvre, examine et apprend à comprendre le monde qui l’accueille. La gestion familiale de l’accès des enfants à internet, par exemple, est clairement traversée par cette prise de conscience et en réactualise au quotidien les conséquences pratiques.
Certes, au sein des familles, les individus continuent à assumer des fonctions traditionnelles et des rôles sociaux plus ou moins figés. Ils le font en référence à des statuts générationnels et sexués qui constituent des repères rémanents, anthropologiques, quasi historiques. Mais ces fonctions, ces rôles et ces statuts s’avèrent insuffisants parce que inopérants dans nombre de circonstances de la vie des familles, et inadaptés à leurs usages et à leurs nouvelles aspirations. La plupart des mères travaillent, la plupart des pères aiment et savent s’occuper des bébés, la plupart des enfants consultent internet pour s’instruire et programmer leurs loisirs, le four à micro-ondes modifie la scénographie des repas familiaux, des adolescents s’autorisent à dire qu’ils souhaitent une révision de l’ordonnance du juge aux affaires familiales, etc. Dès lors, de nouvelles organisations deviennent sans cesse possibles. Ouvertes, conçues ou à concevoir ensemble, possiblement génératrices de divergences ou de conflits, elles acceptent de relever le défi de l’instabilité, des transactions, des transitions.
L’enjeu, pour la famille, est au total celui d’une « mise en parole du quotidien »11, dont la structuration s’efforcera d’accompagner l’évolution des liens, des représentations des liens, mais aussi celle des positions subjectives de chacun dans le respect de celles des autres. En situation de consultation pédo-psychiatrique ambulatoire de service public, l’auteur de ces lignes est ainsi parfois amené à suggérer ou à accompagner l’installation par des parents de « conseils de famille » (ou d’autres instances équivalentes). Ceux-ci, souvent très appréciés par leurs enfants, permettent à tous les membres de la famille de délibérer, en un lieu et un temps déterminés et selon des modalités acceptées de tous, des décisions à prendre ou des conflits domestiques qui se sont manifestés comme tels dans les jours précédents, ainsi que de l’évaluation (de processus et de résultats) des décisions prises lors du précédent conseil de famille. Force est de constater que, le plus souvent, de telles organisations améliorent considérablement la communication intrafamiliale ainsi que, en large partie, nombre des problèmes relationnels et éducatifs ayant amené la famille à consulter.
S’intéresser, aux plans théoriques et éthiques en même temps que méthodologiques et pratiques, à la façon dont les enfants et les jeunes peuvent devenir les protagonistes actifs des enjeux privés et de société liés à leur participation aux processus de décision permet d’en relever, au passage, la dimension éducative d’intérêt général. Leur introduction progressive à l’expérience de la participation démocratique aux décisions qui les concernent est en effet une façon de les guider dans la découverte et la connaissance de leurs environnements, familiaux et sociaux. Elle leur confère peu à peu une maîtrise éclairée de leurs contributions aux processus de changement familial et social et aux évolutions de ces environnements.
4 – De nouveaux enjeux et de nouvelles ambitions pour les REAAP
4.1 – L’appui à la « démocratie familiale » : un pari à relever pour mieux concilier les droits et les obligations de chacun
Donner la parole aux enfants pour qu’ils puissent formuler leurs avis sur la vie collective de leurs classes, de leur école, de leur restaurant scolaire, de leur centre de loisir, des associations qui les accueillent pendant leurs temps libres etc. ainsi que sur l’organisation des apprentissages et des activités proposées, les associer aux décisions avec les enseignants et les autres éducateurs en organisant des conseils et des assemblées générales, les faire participer à l’élaboration des règles de vie et à leur application : ce sont là autant de pratiques qui ont été mises au point dans le cadre des pédagogies actives et coopératives et qui en font partie intégrante depuis près d’un siècle. A ceux qui considéraient les enfants comme des êtres incapables de donner un avis pertinent, de prendre des décisions réfléchies et d’exercer des responsabilités, Célestin Freinet affirmait, comme de nombreux grands pédagogues du début du 20ème siècle : « Nous disons, nous, que l’enfant et l’homme sont capables d’organiser eux-mêmes leur vie et leur travail pour l’avantage maximum de tous »12.
Il est évidemment arrivé, ici ou là, que des enfants vivant ces expériences démocratiques dans leur communauté scolaire et « périscolaire » – mais aussi, parfois, dans leurs centres de loisirs, leurs clubs sportifs, leurs ludothèques, leurs centres de vacances, etc. – proposent au sein de leurs familles la mise en place des mêmes pratiques et des mêmes principes. A l’inverse et dans la mesure où, à l’initiative des parents, l’éducation intrafamiliale intègre progressivement et de plus en plus souvent, on l’a dit, des modalités démocratiques d’organisation de la vie quotidienne, il arrive que les enfants s’attendent à ce qu’il en aille de même à l’école ou dans les autres espaces éducatifs qu’ils fréquentent.
Le fait est que les enfants sont particulièrement sensibles à la cohérence éducative des adultes qui leurs sont chers et qui peuplent et animent avec eux les espaces, familiaux ou institutionnels, où ils évoluent au fil de la journée, de la semaine et de l’année. Et qu’ils éprouvent à leurs dépens, sous la forme par exemple d’épuisants conflits de loyauté, l’incohérence éducative dont ces mêmes adultes peuvent faire preuve si les uns suscitent, encouragent et valorisent leur expression alors que les autres la brident, la redoutent et la disqualifient.
Le fait est surtout, on l’a dit aussi, que l’enfant est désormais reconnu, tout du moins par la CIDE et par les lois qui en procèdent, comme une personne titulaire d’un droit de participation qu’il doit pouvoir exercer en fonction de son développement et de l’évolution de ses capacités13, et ceci avec l’appui de ses parents, puis avec celui de ses autres éducateurs. Il est néanmoins manifeste qu’aujourd’hui, en France comme ailleurs, la reconnaissance et l’exercice concrets de ce droit sont loin d’être généralisés à l’échelle de chacune des familles, de chacun des services de proximité, de chacune des organisations institutionnelles et même de chacune des instances politiques où ils pourraient et devraient théoriquement l’être. Il en va de la démocratie éducative comme de la démocratie participative en général, ou encore, dans un autre registre, de la prise en compte des impératifs écologiques dans la vie quotidienne : elles nécessitent l’engagement dans une logique et une démarche politique de transition, volontariste et assumée, qui passe par l’adoption d’une vision et d’une méthode communes, puis par leur expérimentation et enfin par leur diffusion.
Dans l’univers familial, l’exercice du droit de participation de l’enfant implique ainsi que, de façon formelle ou informelle, soient mis en place des occasions, des temps et des espaces où, avec les autres membres de la famille, il puisse exprimer son point de vue dans une ambiance de confiance, de respect, de liberté et d’écoute. Il s’agit donc de reconnaître, au sein de la famille, les droits et libertés de chacun de ses membres, de mettre en place des procédures démocratiques de concertation, de négociation, de gestion des points de vue différents, de prise et de suivi des décisions, bref d’évoluer vers une réelle « démocratie familiale ». On observera de nouveau que celle-ci concerne non seulement les relations entre adultes et enfants, mais aussi entre hommes et femmes, c’est-à-dire entre pères, mères, garçons, filles. Dans certaines familles fonctionnant autour d’une dominante patriarcale ou matriarcale, c’est parfois à ce niveau que résident les principaux blocages. Au sein des familles dites recomposées, et même si le droit fournit encore peu de repères à ce sujet, la démocratie familiale peut aussi solliciter les dénommés « beaux-pères », « belles-mères », « demi-frères », demi-sœurs », etc. En certaines circonstances, les familles appréciant ou coutumières du fait de délibérer au-delà de la seule échelle nucléaire pourront souhaiter de même ouvrir l’expérience délibérative aux grands-parents, aux oncles et tantes, aux cousins et cousines. Mais, dans tous les cas de figure, il s’agira pour les adultes en présence de savoir prendre au sérieux les opinions et les propositions des enfants et, que celles-ci soient totalement ou partiellement retenues ou non, de leur expliquer pourquoi avant de les faire participer aux décisions prises en commun et à leur mise en œuvre.
La participation des enfants à la vie et aux décisions familiales nécessite souvent, à l’évidence, une information préalable des parents et des autres adultes sur l’évolution des droits et libertés des enfants, sur les nouvelles approches possibles de l’autorité et sur les expériences déjà réalisées dans d’autres institutions éducatives. La transformation du système familial implique de bien connaître les principes à mettre en oeuvre et d’avancer prudemment car le passage d’une organisation fondée sur l’autoritarisme et l’obéissance à un système démocratique participatif ne peut se faire sans tâtonnements.
Pour de nombreux parents comme pour de nombreux professionnels qui n’ont connu, ni les uns ni les autres, ce mode de participation, cette nouvelle situation remet en cause leurs représentations traditionnelles des enfants et les principes sur lesquels repose leur action éducative. Ils ont du mal à admettre le point de vue de l’enfant dans les décisions qui concernent tant sa vie personnelle que la vie familiale et la vie institutionnelle. Ils ne savent pas comment mettre en pratique l’écoute, le dialogue, la consultation, la concertation, la négociation. Ils craignent de perdre leur autorité, ou du moins la conception autoritariste qu’ils en ont.
Il est donc nécessaire de :
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les sensibiliser à l’évolution de la conception de l’enfant, de ses droits, de sa place dans la société, la famille, l’école… ;
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leur présenter la CIDE et les modalités de son application ;
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les rassurer : l’exercice des droits et des libertés n’est pas la reconnaissance d’une toute puissance de l’enfant car l’exercice d’une liberté, au sein d’une famille ou d’une collectivité, implique des obligations et des limites, et le rappel des règles lorsqu’elles sont transgressées ;
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leur montrer, par des témoignages de pratiques, qu’il est possible de faire participer les enfants à un processus décisionnel démocratique sans pour autant que l’adulte soit confronté à des situations qu’il n’est plus capable de maîtriser ;
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les accompagner, s’ils le désirent, dans le changement progressif qu’ils vont mettre en oeuvre, en créant de petits groupes de professionnels ou de parents où chacun pourra présenter ses tentatives, ses réussites et ses difficultés.
C’est pourquoi, s’agissant des parents, une formule est souvent apparue comme de nature à correspondre assez bien à de tels besoins, quand elle a été testée ça et là : c’est celle de l’atelier réunissant un petit groupe de parents – voire de parents et d’enfants – où chacun peut faire part de ses tentatives, de ses avancées, de ses difficultés et où peuvent s’échanger librement les interrogations, les réflexions, les analyses qui en résultent. D’autres façons de procéder et d’échanger peuvent bien entendu être envisagées (par exemple au moyen de séminaires, ou encore en s’appuyant sur les ressources de listes de discussion par internet), l’essentiel étant que les méthodes mobilisées permettent aux parents de découvrir l’intérêt de la démarche de tâtonnement expérimental, mais aussi le plaisir qu’ils peuvent prendre et partager en instaurant et en faisant vivre des pratiques démocratiques au quotidien de la vie familiale.
Une infrastructure légère, réactive, en phase avec son environnement social et familial, et offrant des garanties de confidentialité, peut apporter des contributions utiles aux recherches menées de la sorte par les parents et les enfants, et alimentées par le partage de leurs expériences concrètes. Elle peut le faire par exemple en assurant :
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l’organisation de tels groupes et ateliers, à des niveaux de proximité et selon des logiques de cooptation adéquats ;
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leur animation au moyen de techniques et de moyens permettant notamment de favoriser l’expression de parents timides, peu habitués à la prise de parole, ou encore mal à l’aise avec la langue française (par exemple : théâtre forum, débat initié par un film visionné en commun, recours à des interprètes, etc.) ;
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la valorisation et la diffusion, contrôlées et guidées par les parents, des observations, des réflexions et des recommandations produites par ces ateliers.
A rebours des tendances qui, on l’a vu, ont font courir à leurs rôles et à la présentation de leurs finalités le risque d’être singulièrement pervertis, les REAAP pourraient trouver un nouveau souffle en impulsant et en se plaçant au service de telles initiatives, dans la mesure où elles visent utilement l’écoute, l’appui et l’accompagnement des parents dans la découverte de la difficile mais sans doute inéluctable pratique de la démocratie au quotidien de la vie familiale14.
Les REAAP pourraient ainsi placer le capital acquis par plus de dix ans de mobilisation des énergies disponibles – qu’elles soient parentales, associatives, professionnelles, politiques – au service d’objectifs plus stimulants et moins ambigus que ceux que l’Etat a parfois et récemment voulu leur assigner15. Entre autres missions d’intérêt général, ils pourraient devenir, si les parents et les partenaires des territoires où ils sont constitués le souhaitent, autant de bases locales d’appui, de promotion et de diffusion des initiatives menées ici et là au titre des diverses approches contemporaines de la « démocratie familiale » et d’évaluation de leurs impacts. Ils pourraient dès lors valoriser au plan national ces axes parentaux de recherche-action, de façon à ce que l’Etat el la CNAF s’en inspirent, par exemple dans le cadre des orientations de leurs prochaines Conventions d’objectifs et de gestion.
4.2 – Condition parentale et territoire : de la coéducation démocratique à la démocratie coéducative
Les recherches pratiques et les réflexions consacrées au respect des droits des enfants et notamment à la mise en œuvre concrète de la démocratie éducative sur un territoire donné peuvent être tout d’abord partagées entre des parents motivés par ces objectifs, mais aussi, dès que possible, entre des parents et des professionnels des services publics et associatifs en relation avec eux, ainsi qu’avec des élus locaux. De telles démarches présentent plusieurs avantages :
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les parents apparaissent non plus comme les principales sources de tels ou tels problèmes éducatifs ou de société, mais comme les artisans et les acteurs de réponses de fond auxquels ils peuvent contribuer pour les résoudre, y compris dans des contextes difficiles ;
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les parents, les professionnels et les élus qui échangent à ce sujet observent alors qu’ils sont confrontés à des complexités et à des enjeux sinon similaires du moins comparables et convergents, ce qui les rend susceptibles de se solidariser autour de convictions communes ;
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ils peuvent en outre constater qu’ils ne sont pas toujours enclins ou préparés, pour autant, à recueillir les points de vue des enfants et des jeunes avant d’exercer leurs pouvoirs respectifs de décision à leur égard, au sein de la famille comme au sein des institutions.
La participation de professionnels, notamment de proximité, aux recherches et aux réflexions des parents en matière de droits et d’intérêt des enfants et de démocratie éducative ne doit donc pas être écartée a priori, surtout si ceux-ci la sollicitent. Mais elle doit rester suffisamment humble et distanciée, et le cas échéant temporisée et médiatisée, pour ne pas risquer de censurer l’expression, le « droit au tâtonnement » et la créativité de chacun. Elle peut en revanche, le moment venu et dans des conditions aménagées, faciliter le repérage de questions, d’hésitations et de constats communs aux familles et aux professionnels, que ceux-ci relèvent d’établissements scolaires ou de structures municipales et paramunicipales – lieux d’accueil de la petite enfance, ludothèques, bibliothèques, accueils périscolaires, centres de loisirs et de vacances, centres sociaux, structures culturelles et sportives, conseils municipaux d’enfants et/ou de jeunes, etc.
Les adultes en situation éducative pourront ainsi échanger utilement sur leurs façons respectives de concevoir le droit de participation et l’exercice des libertés reconnus aux enfants, leurs limites, les obligations de chacun, la gestion des infractions et des conflits, l’adoption d’un registre de sanctions édicté avec les enfants dans le respect de la personne et de la dignité de chacun, etc. Plus fondamentalement encore, ils pourront réfléchir et agir ensemble pour éviter que le droit de participation des enfants ne s’enlise dans une tendance à le réduire à une participation formelle aux seules modalités ou instances de participation plutôt qu’à l’ouvrir à une participation réelle à la décision et à la construction des activités et des projets qui les concernent.
Ceci posé, les perspectives coéducatives de ces approches centrées sur l’intérêt, la personne et la parole de l’enfant sont porteuses de conséquences éthiques, politiques et institutionnelles considérables. Les pratiques éducatives à caractère démocratique ne sauraient en effet se cantonner au huis clos de la famille, ou à l’entre soi d’un noyau de familles éclairées et mobilisées. Les enfants, on l’a dit, se trouveraient déroutés voire malmenés si, une fois sortis de chez eux, ils n’en retrouvaient pas les principes à l’œuvre dans les institutions qu’ils fréquentent régulièrement. C’est pourquoi il importe que les parents engagés dans l’exploration, l’évaluation et la diffusion des dimensions familiales de leurs expériences et de leurs réflexions puissent les faire valoir au-delà des sphères de leur vie privée et de leurs périmètres d’action.
Dans les villages, les quartiers ou les villes, dans les institutions et les associations qui concourent à l’éducation des enfants, bref dans le proche environnement des familles, il existe aujourd’hui des occasions propices à la promotion, au partage, à la concrétisation et à la consolidation de valeurs démocratiques au sein d’alliances coéducatives nouvelles.
Les communes qui, en nombre croissant depuis une dizaine dannées, élaborent, étendent ou approfondissent leurs Projets éducatifs locaux (PEL)16 avec l’ensemble des acteurs de l’éducation du territoire municipal, peuvent intégrer de telles valeurs et en donner la preuve tangible en associant les parents, les enfants et les jeunes à la conception et à la mise en œuvre de ces projets.
L’exemple des PEL mérite qu’on s’y arrête dans la mesure où le gouvernement s’apprête à en suggérer la généralisation – sous l’intitulé de Projets éducatifs de territoire – même s’il envisage dans un premier temps d’en réduire le périmètre d’application aux seuls enfants dont l’âge correspond à celui de la scolarité primaire (soit d’environ 2 ans à environ 12 ans). Il s’agira là d’une des composantes de la loi dite de « refondation de l’école », dont on sait qu’elle a été initiée par un vaste débat sur les rythmes de vie – et pas seulement scolaires – des enfants. L’un des enseignements de ce débat est qu’il a mis en évidence le fort potentiel de mobilisation, de participation et de proposition de parents de toutes conditions, chaque fois tout du moins qu’ils ont été invités à se manifester pour faire état de leurs propres points de vue à la fois sur le bien être des enfants et sur la nécessaire prise en compte de leur condition parentale.
Le PEL consiste à impulser, à l’échelle d’un territoire donné – en général une commune ou une communauté de communes – , une dynamique collective permettant d’améliorer de manière durable les conditions et les contenus de l’éducation des enfants et des jeunes dans leurs différents temps et espaces de vie. Le PEL est inséparable de l’idée d’action concertée entre l’ensemble des acteurs (parents, élus locaux, professionnels des collectivités locales, de l’Education nationale et des autres services de l’Etat, associations, institutions diverses) qui participent de manière directe ou indirecte à l’éducation des enfants sur le territoire considéré.
Il s’agit de se doter d’un cadre commun permettant de renforcer la cohérence des initiatives prises et à prendre sur ce territoire :
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tout d’abord en approfondissant et en étendant la réflexion sur les valeurs éducatives à partager entre les différents acteurs, sur le sens des actions qu’ils mènent séparément et de celles qu’ils pourraient mener ensemble, sur les évolutions attendues des pratiques des uns et des autres et des relations établies entre eux ;
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puis en initiant une démarche de concertation, d’analyse et de construction collective de projet afin de garantir la pertinence, l’accessibilité et la continuité des actions et des dispositifs en place et, le cas échéant, d’en proposer de nouveaux ;
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en renforçant enfin la qualité du pilotage et de l’évaluation des actions existantes ou mises en oeuvre à l’échelle du territoire et des communes ou des quartiers qui le composent.
Le PEL désigne, en pratique, à la fois un mouvement conjugué et les différents résultats de celui-ci. La démarche engagée consiste à organiser des rencontres et des concertations constructives :
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« horizontalement », entre l’ensemble des acteurs locaux du champ éducatif, au sens le plus large du terme, et à le faire quels que soient leurs compétences et leurs niveaux d’intervention – donc, en théorie, sans exclure les familles, c’est-à-dire les parents, ainsi que les enfants et les jeunes eux-mêmes ;
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mais aussi, « verticalement », entre les acteurs de proximité (par exemple au niveau d’un quartier) et ceux qui, à un niveau plus central, organisent les cadres communs au territoire concerné par le PEL (la commune ou l’intercommunalité)
Les principales étapes de la démarche du PEL et les principaux résultats escomptés au bénéfice de tous les acteurs impliqués visent à les rendre aptes, ensemble et progressivement :
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à mieux se connaître et mieux se reconnaître dans leurs places et rôles spécifiques ;
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à tenter de construire une vision commune pour guider l’action éducative locale et pour mettre à son service la complémentarité de leurs contributions respectives ;
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à ne pas céder pour autant à la tentation de créer une coalition indifférenciée des adultes ni à celle de procéder à une sorte d’encerclement éducatif des enfants ; ou encore, dans un autre registre, à la tentation de promouvoir une approche consumériste des ressources éducatives ;
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à se mobiliser au contraire autour d’objectifs volontaristes et d’initiatives favorables à la continuité des temps éducatifs, à la cohérence des espaces éducatifs et à l’amélioration des cadres et conditions de vie, d’apprentissage, de socialisation et d’émancipation des enfants et des jeunes ;
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à identifier à cet effet les moyens, les ressources et les actions déjà en place, à en évaluer la pertinence, l’efficacité et la coordination, à renforcer ou organiser l’information et l’accessibilité les concernant ;
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à définir enfin ce qu’il convient de créer ou de développer pour réduire les carences ou les dysfonctionnements et, si possible, pour pallier les manques identifiés.
La démarche du PEL se traduit alors par la discussion et l’adoption d’un document :
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qui s’appuie sur les étapes précédentes et qui présente les constats qu’elles ont permis de dresser, les enjeux repérés et les axes mobilisateurs des propositions susceptibles d’être concrétisées ;
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qui définit, sur ces bases, les thèmes, les objectifs, les engagements et les programmations de processus et de moyens – humains, matériels et financiers – d’un certain nombre d’actions, voire de services et d’équipements, correspondant à ces propositions ;
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qui prévoit les modalités concrètes et aussi participatives que possible de conception, de mise en œuvre et d’évaluation des décisions prises à ce sujet.
Le PEL apparaît donc comme un support privilégié, ou du moins potentiel, de la démocratie coéducative en action. On repère assez bien, en effet, et à plusieurs étapes de la démarche initiée, la nécessité de solliciter et de disposer de l’expertise éclairée et éclairante des acteurs éducatifs que représentent, entre autres, les parents, les enfants et les jeunes. La réussite d’un PEL est d’ailleurs subordonnée au fait que les réponses de service public et associatives, loin de ne constituer qu’une « offre » de services, soient d’emblée co-conçues – et si possible co-construites – avec les parents et les enfants dans une démarche citoyenne, co-éducative et de développement social ; et surtout qu’elles soient perfectionnées, dans la durée, en lien actif avec eux.
Il convient certes de promouvoir au préalable un processus ouvert de projet permettant de structurer les relations entre les partenaires politiques, institutionnels et associatifs, et de le faire en vue de la définition et de l’explicitation collectives des objectifs poursuivis, de la formulation d’engagements réciproques, de l’adoption de modalités partagées de suivi et d’évaluation des actions. Mais il convient tout autant que les réponses et les actions proposées avec et pour les familles privilégient, au fil de ce processus, une participation effective de leur part non seulement aux phases de leur co-conception et de leur co-construction, mais aussi à celle, plus longue et plus exigeante, de leur co-évaluation.
Pour que cette participation soit vraiment effective, et non pas sélective ou ponctuelle, il faut qu’elle soit directement ou indirectement celle de parents – mères et pères – de toutes conditions, réunis selon des modalités et grâce à des choix – de jours, d’heures, de lieux, de vocabulaire employé, etc. – favorisant vraiment leur présence et leur implication ou tout du moins celles de leurs représentants, ce qui suppose de veiller aussi à ce que ceux-ci soient suffisamment représentatifs. Cette représentativité, qui ne saurait prétendre à l’exhaustivité ni à l’inverse se limiter à celle des représentants de parents d’élèves, peut être recherchée au moyen du tirage au sort en population générale, ou encore en sollicitant des parents dont les aptitudes non seulement à apporter leurs contributions personnelles, mais aussi à exposer celles d’autres parents avec lesquels ils sont en relation, auront été reconnues.
Aussi un rôle nouveau des REAAP devrait-il ici consister à identifier – et le cas échéant à former – des parents pour qu’ils puissent assumer, au sein de leurs communes, ce rôle difficile, mais essentiel et éminent, de porte-parole des différents aspects qu’y revêt la condition parentale.
La condition parentale doit en effet être prise en compte en tant que composante spécifique – et donc en tant que champ d’action considéré comme tel – de la plupart des politiques publiques de proximité, mais également de nombre de politiques nationales structurantes (à travers par exemple les orientations prises en matière de prestations familiales, de logement social et de contrôle des loyers, d’aménagements du droit de travail respectueux des contraintes spécifiquement parentales, etc.). C’est pourquoi, aux côtés des associations familiales et des associations de parents d’élèves, les parents engagés dans les dynamiques des REAAP ont un rôle à jouer pour faire reconnaître cette spécificité de la – ou plutôt des – condition(s) parentale(s) en présence à chaque échelle territoriale.
5 – Conclusion : les parents ne sont pas seuls, et ils ne sont pas seulement des parents
A rebours des tendances régressives et répressives qui ont tenté de s’imposer en matière d’exercice autoritariste de l’autorité parentale et de soutien directif voire coercitif de la parentalité, on a voulu promouvoir ici une autre approche, celle de la prise en compte dynamique de la condition parentale. Celle-ci relève d’une dimension politique et publique et n’est pas confinée à la seule vie privée. Elle laisse entendre qu’il s’agit moins d’être, individuellement, un «meilleur parent» que d’être parent dans de meilleures conditions, certes personnelles et familiales, mais aussi collectives.
Il s’agit autrement dit certes de s’attacher aux réalités et aux aspirations des familles, mais aussi de donner du souffle, du sens et du sang neuf aux fonctions et aux rôles des parents. Et, plus précisément, de veiller à instaurer ou à restaurer le pouvoir et la capacité de projet de ces parents, ainsi que d’autres adultes à leurs côtés, quand les uns et les autres souhaitent s’engager en tant que citoyens dans de nouveaux modèles, plus résolument démocratiques, d’animation des relations familiales, éducatives et sociales. Le rôle incitateur, facilitateur, mobilisateur et fédérateur des élus locaux s’avère ici souvent déterminant.
Il s’agit, autrement dit encore, d’enclencher, bien plus qu’un cercle vertueux, une réaction en chaîne dont les étapes et les enjeux peuvent être décrits et envisagés comme suit :
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prendre collectivement du pouvoir sur son cadre et ses conditions de vie contribue au mieux être ;
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or le mieux être produit des effets sur la façon d’être non seulement parent, mais aussi habitant et citoyen : il permet en effet de rencontrer d’autres parents et, au-delà, des adultes qui le ne le sont pas, ou plus, ou pas encore, ou pas seulement – bref, des personnes décidées à penser avec eux aux enfants, c’est-à-dire à l’avenir de la société, en prêtant attention au présent commun et à l’avenir possible sans se laisser fasciner par la seule nostalgie du passé ;
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la condition parentale devient dès lors un sujet politique, quand bien même on avait voulu la réduire, en l’individualisant à l’excès, à l’espace privé de la parentalité ;
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considérée comme telle, la réflexion partagée sur ce qui détermine la condition parentale fournit l’occasion d’expérimenter et de propager la démocratie dans l’éducation et dans la vie sociale et locale, en même temps que de prendre collectivement du pouvoir sur les cadres et les conditions de vie des habitants et des familles, ce qui contribue à leur mieux être, etc.
Les parents ne sont donc pas seulement des parents, mais aussi des habitants, des travailleurs, des citoyens, des électeurs, etc. aptes à participer utilement et activement, y compris avec les enfants et les jeunes, aux prises de décisions et aux projets locaux qui les concernent vraiment. Au sein, par exemple, des instances consultatives légales, réglementaires ou facultatives (conseils de quartier, enquêtes publiques diverses, conseils de crèches, conseils d’écoles ou d’établissements, conseils de la vie sociale, conseils d’administration d’associations de quartier, etc.), les parents ont aussi des points de vue d’habitants, de citoyens, etc. à faire valoir. Simultanément, ils ne devraient pas être les seuls participants de ces instances à mettre l’accent sur la place des enfants et des jeunes ou sur les perspectives éducatives dans les décisions et les projets examinés.
Il importe donc de promouvoir, en même temps que la condition parentale, des politiques publiques qui permettent de mieux prendre en compte non seulement les besoins exprimés par les parents en tant que parents, notamment en matière d’éducation, mais encore les aspirations, les valeurs, les propositions et les visions d’intérêt général qu’ils formulent à ce sujet. Des moyens à développer et des méthodes à consolider doivent donc favoriser leurs possibilités de co-concevoir des projets correspondant à ces prises en compte et de solliciter, mobiliser et fédérer à leurs côtés les professionnels et les élus susceptibles de les éclairer et de les appuyer dans la mise en œuvre participative de ces projets.
Mais il importe tout autant de veiller à ce que l’importance accordée à la place des parents ne soit pas portée par les seuls parents mobilisés, par les associations familiales, par les associations de parents d’élèves, etc. En tant que fonction sociale, la « parentalité » ne saurait relever de la responsabilité des seuls parents. Et ce que les REAAP donnent à percevoir de la condition parentale doit pouvoir enrichir la pertinence et nourrir l’ambition des futurs Projets éducatifs territoriaux tout autant que, par exemple, des projets d’aménagement urbain, des Contrats urbains de cohésion sociale, des Agendas 21 locaux, etc.
Si chacun s’accorde aujourd’hui à observer que l’éducation – formelle, non formelle et informelle – est un pilier essentiel du développement humain et du développement économique, il faut admettre aussi que la démarche coéducative – les principes qui la guident comme les objectifs qu’elle vise – est désormais partie prenante des dynamiques de développement social. Elle les inscrit dans la profondeur et la durée, tout en permettant à chacun, parent ou non, d’exercer une citoyenneté d’intérêt général et valorisante pour tous. Et en invitant les enfants et les jeunes à faire sans attendre leurs premières expériences pratiques en la matière, en grandeur réelle, c’est-à-dire à leur échelle, d’abord familiale puis, peu à peu, institutionnelle aussi.
1 Evaluation de la politique de soutien à la parentalité – IGAS – Bénédicte Jacquay-Vasquez, Patricia Sitruck, Michel Raymond – Février 2013 – Consultable sur http://www.igas.gouv.fr/?p=301
2 Communiqué de presse du 3 novembre 2010 du Secrétariat d’Etat chargée de la Famille et de la Solidarité.
3 Audition de la secrétaire d’Etat chargée de la Famille et de la Solidarité, le 3 novembre 2010, par le groupe de travail chargé de l’élaboration du rapport du secrétaire d’Etat à la Justice sur « La Prévention de la Délinquance des Jeunes »
4 On sait que ces normes de communication intrafamiliale prévalent encore largement, aussi, dans des pays comme le Japon.
5 En particulier par l’adoption, en 1989, de la Convention internationale des droits de l’enfant par l’Assemblée générale des Nations Unies (cf. supra).
6 Gérard Neyrand, « Le dialogue familial – Un idéal précaire », 2009, Erés.
7 François de Singly, « Libres ensemble. L’individualisme dans la vie commune », 2000, Nathan.
8 Michel Fize, « La démocratie familiale – Evolutions des relations parents-adolescents », 1990, Presses de la Renaissance.
9 Ainsi pouvait-on lire, dans le rapport sur « La Prévention de la Délinquance des Jeunes » remis le 3 novembre 2010 au président de la République par le secrétaire d’Etat à la Justice, le passage suivant : « Souvent remaniée depuis son adoption (lois du 22 juillet 1987, du 8 janvier 1993, du 4 mars 2002) notamment pour faire face à l’éclatement et à la recomposition du noyau familial, l’autorité parentale est, en outre, souvent contestée par ses détenteurs ou par les mineurs sur lesquels elle s’exerce. A telle enseigne que son exercice pour les parents se conçoit tantôt dans la culpabilité, tantôt dans la négociation, contenue en germe dans le dernier alinéa de l’article 371-1 du Code civil qui dispose que « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ». Parce qu’elle s’est progressivement construite en réponse aux évolutions de la famille, l’autorité parentale reflète aussi les fragilités et, par là même, les difficultés à se faire respecter des adultes comme des enfants. On peut ainsi en conclure que la création d’une prétendue démocratie familiale, créatrice de confusion entre les droits et devoirs des parents et des enfants, reste mal assimilée par le corps social. Confusion qui s’exacerbe sous la pression de l’éclatement de la famille et la désacralisation des parents et de l’école. (…) Résulte de cette autorité parentale déstabilisée, tant en droit que dans les faits, un phénomène inquiétant de solitude d’un certain nombre de jeunes insécurisés par la faiblesse de la structure familiale. La délégitimation des familles conduit également à une délégitimation plus globale de l’autorité et par voie de conséquence de l’école, avec pour effet une déscolarisation précoce ».
10 Frédéric Jésu, « Face au retournement réactionnaire du « soutien à la parentalité » contre les parents en difficulté, promouvoir la « démocratie familiale » dans une perspective de démocratie coéducative ». Actes du Premier forum des initiatives parentales en Charente organisé le 7 mai 2011, par l’Association des Collectifs Enfants, Parents, Professionnels de Charente (ACEPP 16) sur le thème : « Quelles parentalités aujourd’hui ? L’éducation de nos enfants en question »
11 Gérard Neyrand, op. cit.
12 Freinet C., « L’Ecole au service de l’idéal démocratique », L’Educateur prolétarien, 18, 15 juin 1939.
13 Lansdown G., « Les capacités évolutives de l’enfant », Centre de recherche Innocenti, UNICEF, 2005.
14 Il peut en aller de même des Universités Populaires de Parents, initiées au plan national et mises en œuvre localement par l’Association des Collectifs Enfants-Parents-Professionnels (ACEPP), qui disposeraient là d’un domaine particulièrement stimulant de développement de leurs démarches de recherche-action participatives.
15 Cf. Frédéric Jésu, op. cit.
16 A distinguer des Projets de réussite éducative, qui ne concernent que des quartiers ou des villes relevant de la « Politique de la ville ».