In L’Express – le 9 janvier 2014 :
Accéder au site source de notre article.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/education/prepas-un-modele-malthusien-elitiste-infantilisant-pour-forestier_1312505.html#34fq7cxloVYPvuDD.99
[…] Dans une interview à L’Express, le recteur Christian Forestier, ex-membre du Haut Conseil de l’Education, porte un regard sévère et lucide sur notre système éducatif, des prépas aux syndicats. "Gouverner c’est choisir", rappelle-t-il.
Quelle analyse faites-vous de la mobilisation des professeurs de classes préparatoires contre la réforme de leur statut ? Et le ministre a-t-il d’autre choix que de reculer ?
La réaction des professeurs de classe préparatoire a été sans surprise, c’est à dire dans l’ensemble corporatiste, à quelques exceptions toutefois. Mais ce qui est plus regrettable c’est la réaction classique de nos élites, qui en sont issues, et le refus implicite d’ouvrir le débat sur ce que l’on veut faire du système prépas plus écoles. Pourtant la contestation de cette filière française ne date pas de cette année. Dès les années cinquante, des hommes comme le directeur général des enseignements supérieurs Gaston Berger, et le recteur Jean Capelle critiquaient sévèrement un dispositif jugé trop malthusien, trop élitiste socialement et surtout fondé sur une pédagogie trop infantilisante: ils avaient raison.
Ces deux hommes sont à l’origine de la création des INSA (institut national des sciences appliquées) qui avaient pour objectif de répondre à ces trois critiques, toujours d’actualité. Si les INSA ont bien vu le jour, le système des prépas lui a bien survécu et les INSA n’ont pas su préserver suffisamment leur ouverture sociale. Il est peut être temps de rouvrir le dossier. Rassurons les paranos, personne ne songe sérieusement à rayer d’un trait de plume ni les classes préparatoires, ni les écoles, mais il est par contre urgent de faire évoluer le dispositif et notamment de poursuivre le rapprochement commencé entre le monde de la recherche universitaire et celui des écoles.
La dernière loi oblige les lycées à classes préparatoires à passer convention avec une université de leur académie, c’est une très bonne mesure mais il faut bien comprendre que la coopération entre les deux mondes restera fortement handicapée par les importances différences de statuts des enseignants. Il n’est pas exagéré de dire que la situation de certains professeurs de classes préparatoires, notamment dans les filières scientifiques et économiques, pose problème, en terme de rémunération, principale mais surtout complémentaire, tant vis à vis de leurs collègues du premier et second degrés que vis à vis de leurs collègues universitaires. On peut développer cette dernière affirmation si nécessaire; en attendant on pourrait donner priorité aux classes qui accueillent les bacheliers technologiques, voire professionnels, ne confier des colles qu’à des étudiants, et surtout ne rémunérer que les heures d’enseignement effectivement faites, et aligner le taux des heures supplémentaires en prépa et à l’université à défaut d’uniformiser les services des enseignants qui ne font pas de recherche.
Vous avez participé à la grande concertation qui a préfiguré la loi Peillon sur l’école. Quel bilan tirez-vous de ces 18 premiers mois de la "refondation"?
On ne répètera jamais assez que le temps de l’école n’est pas le temps du politique. Tirer aujourd’hui un bilan de la réforme Peillon n’a pas grand sens; au risque de décevoir beaucoup de monde je dirai que nous saurons au plus tôt dans le PISA 2021 si la réforme a permis une réelle inversion de tendance; d’ici là il est à craindre que les évaluations internationales de 2015 et 2018 continuent à montrer l’excessif déterminisme social de notre école. Tout va se jouer sur la priorité qui est donnée à l’école primaire et surtout à la qualité de la formation des maîtres dans les nouvelles ESPE.
La réforme des rythmes scolaires était-elle prioritaire? Vincent Peillon n’a-t-il pas gâché beaucoup d’énergie avec cette mesure?
S’il est une réforme qui s’imposait et dont on pouvait penser qu’elle rassemblerait tous ceux qui souhaitent un meilleur fonctionnement de notre école, notamment pour les plus fragiles, c’est bien le retour à cinq journées de classe, comme partout ailleurs dans le monde. Les concertations qui avaient été menées pouvaient laisser penser qu’il y avait, au moins sur ce point, un très large consensus, fruit d’ailleurs du simple bon sens. C’était sans compter sans l’irresponsabilité de quelques politiciens de l’opposition, pas tous heureusement, et sans le corporatisme de quelques enseignants. De ce point de vue ce qui c’est passé à Paris n’est pas glorieux pour la profession et l’absence de courage de certains syndicats ne l’est pas davantage. Cela étant, les neuf demies journées s’imposeront bien évidemment et il restera à ouvrir le vrai dossier des rythmes scolaires, celui qui concerne l’organisation de l’année entière. Cela promet encore de beaux moments d’hypocrisie… Je répète que cette réforme a un coût, mais gouverner c’est choisir et cela vaut pour les collectivités locales. On peut comprendre les réelles difficultés financières dans les très petites communes, un fond a été mis en place pour leur venir en aide, mais dans la majorité des cas on est devant d’autres choix qui ont été fait, et qui bien évidemment ne sont pas faciles à assumer. Faut il une nouvelle fois conseiller d’essayer l’ignorance à ceux qui trouvent que l’instruction coûte cher?
Vous avez occupé les plus hautes responsabilités au sein de l’Education nationale. La situation de l’école française est de plus en plus inégalitaire, comme le prouve le récent rapport Pisa, comment en sortir?
Il est exact de dire que ce qui caractérise aujourd’hui notre système scolaire, en négatif, c’est son caractère profondément inégalitaire, très éloigné de nos valeurs. Le drame c’est que nous avons "le meilleur système du monde… pour la moitié des élèves", les enfants des milieux aisés et même des classes moyennes, mais que ceux qui sont lourdement pénalisés sont les enfants de pauvres. L’échec scolaire lourd, qui concerne un enfant sur cinq, ne concerne que des milieux qui n’ont pas la parole; le débat sur les rythmes scolaires illustre parfaitement ceci. Nos enfants peuvent réussir avec une semaine de quatre jours, et s’ils rencontrent des difficultés, le marché de l’angoisse scolaire est là pour y remédier, sans d’ailleurs apporter la preuve de son efficacité. Mais qui pense aux autres, aux enfants des plus démunis? Nous ne redresserons pas cette situation sans prendre conscience de cela, sans une réelle volonté de prendre en charge la réussite de ceux qui n’ont que l’école pour progresser, cela passe par une remise en cause de situations acquises. On a autant besoin de volonté politique et d’engagement de la communauté éducative que de réformes structurelles. Faisons de la lutte contre l’échec scolaire lourd une grande cause nationale, c’est au moins aussi nécessaire que la sécurité routière.
Comment, selon vous, sortir de la confrontation syndicats/ministère à l’Education nationale? Et quel dialogue instaurer avec le Snes pour parvenir à une réforme, en profondeur, de l’école?
Il faut d’abord rappeler qu’il existe des syndicats vraiment réformateurs qui prennent autant en compte la réussite des élèves que les intérêts de leurs mandants. Il faut aussi se souvenir qu’il existe des mouvements pédagogiques qui font un travail remarquable et à qui on ne donne pas suffisamment la parole
S’agissant de certains syndicats, il est inutile de chercher à les associer à un quelconque projet éducatif, figés qu’ils sont dans leur corporatisme, mais bien évidemment reste, c’est le sens de votre question, l’attitude à avoir vis à vis de la principale fédération, la FSU.
Depuis plus de vingt ans tous les ministres sont confrontés à ce problème, en négligeant trop me semble t-il ceux qui sont ouvertement du côté du mouvement. Il faut d’abord ne pas être dupe du double langage souvent pratiqué, ouvert en privé, fermé en public, et surtout savoir que cette fédération, majoritaire, n’est pas aussi unifiée qu’on le croit. Jusqu’à la période récente il existait des différences intéressantes et visibles entre le monde du premier degré et celui du secondaire, il serait dommage que cela disparaisse. Il faut aussi savoir qu’en allant sur le terrain on rencontre souvent des enseignants de base, syndiqués, ayant une véritable volonté de changement. Enfin quand on a compris que le Snes défend toujours, systématiquement, tout ce qui est acquis, même lorsqu’il s’y était opposé au départ, par exemple les travaux personnels encadrés, on comprend l’utilité d’une plus grande détermination puisque toute bonne réforme imposée sera ensuite défendue.