La fronde générale (ou presque) qui règne actuellement au sein de l’éducation nationale à propos de la réforme du collège et des nouveaux programmes semble en étonner certains (ici).
Mais comment attendre autre chose dans un contexte dégradé dans lequel le ministère cherche à réformer à moyens constants? Le discours «faisons mieux avec la même chose (ou même moins)» a fini de lasser les acteurs de terrain. De ce point de vue, et c’est lourd de conséquences pour un gouvernement mettant à la fois l’école et la justice en tête de gondole de ses politiques, l’éducation prioritaire ne fait pas exception.
Souvenons-nous, la refondation des ZEP avait déjà soulevé maintes protestations fin 2014 (voir ici et là). Certaines ne sont d’ailleurs toujours pas éteintes (10% des établissements sont sortis de l’éducation prioritaire et certains y ont beaucoup perdu comme ici à Boulogne au collège Renoir). Mais à l’époque, seuls 1/5 des établissements du pays étaient concernés. Aujourd’hui, c’est l’ensemble des écoles et collèges qui sont visés par une double réforme (réforme des collèges et des programmes). Celle des collèges est en cohérence avec la logique de redéploiement; elle est même son aboutissement.
Tout réformateur, finit toujours par se heurter (au risque de se briser?) à une question très simple : en quoi ma réforme, plus que les précédentes, va-t-elle permettre d’améliorer à la fois les conditions d’étude des élèves et d’enseignement des professeurs? Or, en l’état, la réforme du collège ne laisse entrevoir ni l’un ni l’autre. Les EPI (« enseignements pratiques interdisciplinaires ») font même planer le danger inverse (voir ici l’article « La réforme du collège défend l’interdisciplinarité et c’est une aberration » de Louise Tourret ). L’interdisciplinarité n’est pas la panacée et surtout elle ne garantit pas la concertation.
En éducation prioritaire « renforcée » (REP+), le principe d’une concertation, point d’orgue de la refondation, a fait son chemin et tracé celui à suivre pour tous les autres établissements (même si parfois, la volonté de quelques chefs d’établissements de tout contrôler ou d’équipes de ne rien se voir imposer, ont fait naitre des tensions certaines). La mesure a eu le mérite d’une certaine cohérence. L’institution souhaitait encourager le travail concerté entre enseignants, elle finance la mesure, les choses se mettent en place. Le problème est que les moyens supplémentaires permettant cette cohérence ont été pris à tous les autres établissements, prioritaires compris. Souvent même, les moyens pour se concerter entre enseignants ont été auto-financés et donc pris sur moyens propres au détriment de ceux destinés habituellement aux enseignements et en particulier aux dispositifs d’aides aux élèves les plus en difficultés.
Dans le cas de la réforme du collège actuelle, on invente donc des EPI qui doivent permettre d’encourager les équipes à travailler en concertation autour de projets mais sans mettre en adéquation les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement. Préparer des séquences à deux demande du temps et de la formation, beaucoup plus que lorsqu’on prépare un cours traditionnel. Mais rien n’est prévu pour financer et donc reconnaître la réalité de ce travail supplémentaire. Surtout, les heures consacrées à ces IDD bis (itinéraires de découvertes mis en place en 2002) sont ponctionnées sur certaines matières (à ce sujet et pour les sciences physiques, il est instructif de lire le billet de @sacrecharlemagn).
« Mieux apprendre, pour mieux réussir » ne restera donc qu’un slogan vide si l’on ne se donne pas les moyens de le rendre efficient. Sans cela, les grandes ambitions et toutes les plus belles initiatives pédagogiques du monde resteront lettre morte. Pour le vérifier, il suffit de plonger dans les revendications des établissements actuellement mobilisés en Seine-Saint-Denis et ainsi constater l’écart entre la communication du ministère et la réalité vécue sur les terrains sensibles.
Ainsi, au collège Lavoisier de Pantin, les personnels se battent, comme chaque année, pour obtenir…. un 2e poste pérenne de conseiller d’éducation. En effet, depuis 2007, les effectifs du collège ont augmenté de 40% sans que cette demande légitime (la direction académique l’a elle même reconnu) ne débouche sur la création d’un vrai poste de CPE. L’équipe ne demande pourtant rien d’exceptionnel, juste des moyens en rapport avec les besoins et une équité de traitement, compte tenu de la situation des établissements voisins.
Les personnels ont prévu de se retrouver devant la direction académique du 93 demain pour obtenir enfin gain de cause.
Lorsque les personnels perdent de nombreux jours de salaires et que les parents bloquent l’établissement de leurs propres enfants pour obtenir un simple poste de CPE, on comprend que les grandes annonces de la ministre passent de plus en plus difficilement.
A proximité de Pantin, nous trouvons à Bobigny une autre situation très éclairante et décrite par un texte commun (voir ici). La refondation de l’éducation prioritaire y avait soulevé de grands espoirs car c’est l’ensemble des établissements de la commune qui ont été classés en REP. Mais cette reconnaissance ne s’est pas concrétisée par des moyens supplémentaires à destination des élèves. De plus, les établissements de la ville souffrent du non remplacement des enseignants (comme presque partout dans le 93 voir ici à St Denis) et voient affluer avec une ampleur inédite «des vacataires recrutés à Pôle emploi et catapultés face aux élèves sans aucune préparation au métier d’enseignant… ». Et de faire remarquer que « ce type de situations n’existe pas – nous en sommes convaincus – dans les établissements des beaux quartiers parisiens. Comment ne pas ressentir la banalisation chez nous, en Seine-Saint-Denis, de cette pratique comme une forme de mépris social pour nos familles ? »
C’est donc l’ensemble de la communauté éducative de la ville qui a décidé d’organiser une journée « écoles désertes » mardi 5 mai prochain. La direction académique de Seine Saint-Denis qui se trouve justement à Bobigny sera à nouveau le lieu d’un rassemblement dès 10h.
Que nous disent ces mobilisations des politiques actuellement à l’œuvre? Elles témoignent d’abord d’une exaspération, pas simplement des personnels mais aussi, phénomène nouveau par son ampleur, des parents d’élèves (voir ici l’article de Marie Piquemal pour Libération : « non à l’école low-cost, parents en grève »). Or, lorsque les demandes sont motivées et que les établissements sont bloqués, les directions académiques finissent, comme un aveu, par lâcher des heures d’enseignement supplémentaires. Ainsi, au collège des Aiguerelles (voir ici), à Montpellier, ce sont finalement 17 heures qui ont été obtenues…après 6 semaines d’occupation. Ce grand marchandage qui implique que les moyens nécessaires ne pourront être débloqués …qu’en cas de blocage est décourageant. De plus, il n’est jamais satisfaisant car, à moyens constants, les heures supplémentaires sont prises aux moins mobilisés pour faire taire les plus véhéments. Drôle de conception du service public où l’on gère au quotidien la pénurie.
La ministre et ses services font donc le choix de mettre la charrue des réformes avant les bœufs des moyens. Dans le même temps l’écart entre les grandes déclarations volontaristes et la dure réalité du terrain ne cesse de grandir. Pour information, Najat vallaud Belkacem participera le 30 mai à la conférence organisée par ATD quart monde :“Tous les enfants ne peuvent pas réussir à l’École, et pourquoi pas ?
Lire la suite : http://blogs.mediapart.fr/edition/educateurs-prioritaires/article/030515/pourquoi-tous-les-enfants-ne-peuvent-ils-pas-reussir-lecole