In L’Humanité.fr – le 21 mars 2013 :
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Notre système scolaire fut pensé au XVIIIe siècle (par le mouvement libéral), institué au XIXe siècle (entre Napoléon, Guizot et Ferry), développé et partiellement corrigé au XXe, par le mouvement populaire (1945, 1968, 1981), mais il conserve l’architecture ségrégative de ses commencements, à la fois dans le recrutement, le contenu, les apprentissages. En matière de technique, nous devrons refaire ces fondations pour évoluer vers une école commune efficace et démocratique.
Le système scolaire actuel se caractérise par quelques traits majeurs : un «?socle commun?» (2006), moderne école du pauvre, un enseignement technique sans compréhension globale des choix techniques, une culture générale excluant la technique et méprisant le monde du travail, une «?élite?» dirigeante techniquement inculte (hauts fonctionnaires, etc.).
Notre système scolaire prépare et sépare deux classes : ceux qui dirigeront (l’État, l’économie, le travail) et ceux qui exécuteront les décisions stratégiques (ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs…). Certes plus personne n’ose dire, comme Sieyès au XVIIIe?siècle, qu’«?une grande nation est nécessairement composée de deux peuples, les producteurs et les instruments humains de la production, les gens intelligents et les ouvriers?», mais – sous le vernis du «?politiquement correct?» (le peuple et les «?élites?») –, ce fonds de pensée oriente nos institutions.
Pour ce qui concerne la technique, la démocratisation de l’école se confrontera à deux défis majeurs : inverser la logique de «?l’école républicaine?», qui très tôt sépare futurs décideurs et futurs exécutants ; préparer tous les citoyens à exercer des pouvoirs puissants, vers une démocratie technique se substituant aux méga-pouvoirs technocratiques actuels (industrie, énergie, consommation, communication, etc.).
Pourtant, les temps changent. Le 15?mars 1944, le programme unanime de la Résistance intérieure française (CNR) préconisait que soit «?promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires.?» Comment y parvenir aujourd’hui ? Technicisation des métiers, urbanisation, chômage, bas salaires : l’évolution sociale tire la demande scolaire vers le haut. 90?% des familles ouvrières souhaitent le bac pour leurs enfants ; la poursuite des études ne cesse de croître aux niveaux supérieurs (post DUT, BTS ou licence)…
Comment assurer une école commune pleinement formatrice à tous ces niveaux et donnant à comprendre les choix techniques stratégiques qui se font et se feront plus tard dans les entreprises et à l’échelle du pays ? De grands changements seront à opérer.
Dans tous les domaines de la société, des choix techniques essentiels sont faits. Mais, depuis deux siècles, les idéologues dominants veulent nous convaincre que seule une «?élite?» est capable d’en décider, que les grandes décisions techniques seraient «?naturelles?» ou «?inéluctables?», autrement dit, qu’il n’y aurait jamais d’alternative. Le taylorisme (ou le lean) serait scientifique ; l’agroalimentaire ou le médicament serait purement rationnel (sauf petites malfaçons) ; le nucléaire serait naturel. Google serait normal…, etc.
Dans l’enseignement général pour tous que nous prônons jusqu’au bac, une technologie (c’est-à-dire une compréhension raisonnée des processus techniques) devrait acquérir une place centrale. Avec trois types de connaissances techniques, présentées plus en détail sur le site GRDS (1) :
– Une technologie comme science politique de la technique, apprenant non seulement le «?comment se servir des objets techniques?», mais aussi le «?pour qui et pourquoi fait-on ainsi ??», et surtout le «?comment concevoir autrement ??».
– Un apprentissage raisonné du numérique, commençant par les objectifs humains attendus, dégagé des prescriptions des fournisseurs, bien au-delà d’un usage machinal (tout sauf la Petite Poucette, de Michel Serres !).
– Une culture générale valorisant ce ?que l’humanité doit à la technique (français, éducation civique, philosophie, SES, langues…).
Cela n’adviendra qu’avec une large mobilisation populaire, associant la transformation de l’école à celle de la société.
(1) Adresse du site du GRDS : ?http://www.democratisation-scolaire.fr/?p=158&var_recherche=lequin