Alors que beaucoup d’auteurs se cantonnent dans une posture critique et de distanciation de l’éducation au développement durable ou confondent la problématique éducative avec son contenu lui-même, dès le titre, le ton de l’ouvrage de Francine Pellaud est donné : c’est bien un positionnement en faveur de l’éducation au développement durable (EDD) dont il s’agit ici. Et c’est sur le plan éducatif que l’ensemble du propos est conduit.
Dans un premier temps, selon une modalité qui reste finalement très classique, l’entrée est celle d’une tentative de définition de ce qu’est le développement durable (DD). Reprenant l’expression d’André Giordan, c’est avant tout comme un « changement de regard sur la vie » que Francine Pellaud propose de concevoir le DD. Cette conception du DD implique de permettre des transformations importantes des paradigmes fondamentaux des sociétés occidentales, notamment celui de notre relation à la nature. Ces paradigmes fondamentaux, Francine Pellaud propose de les remplacer par des principes fondateurs : un principe de relativité spatiotemporel impliquant une « contextualisation » de nos savoirs, de non-permanence, d’ambivalence et de non certitude, et un principe d’interdépendance. Si ces principes essentiels pour l’argumentation de l’ensemble mériteraient d’être davantage positionnés les uns relativement aux autres et étayés sur le plan théorique, ils fondent pour l’auteure les principales visées d’une éducation au développement durable.
La problématique éducative est alors très rapidement posée: s’agit-il d’éduquer ou d’enseigner le développement durable? A cette question Francine Pellaud apportera progressivement une réponse paradoxale : pour éduquer il faut avant tout enseigner… mais la manière de le faire doit être notablement transformée si on veut atteindre l’objectif de changer de regard sur la vie. Les implications d’une telle posture sont abordées dans les chapitres suivants. Ils permettent alors à
Francine Pellaud d’envisager des fondements didactiques pour l’EDD : ceux-ci consistent avant tout à positionner le
DD à l’interface des disciplines (ce qui serait à discuter car discutable), avec, en conséquence, un changement de regard sur les disciplines scolaires elles-mêmes, notamment au moyen d’un questionnement sur les valeurs. C’est au travers des travaux conduits par André Giordan, et au prix d’un présupposé implicite (celui de l’élargissement du champ de validité de la didactique développée à propos de l’éducation scientifique et de l’éducation à l’environnement) que les changements occasionnés sont examinés. Alors comment mettre en œuvre cette éducation ? Théorie de l’apprentissage allostérique, conceptions initiales des apprenants, concepts organisateurs de la pensée (espace, temps, matière, énergie), approche systémique des problèmes, et rôle créateur de l’évaluation, sont mobilisés dans cet objectif. Et c’est avant tout la question du sens des apprentissages qui est posée centralement par l’auteure. Sont alors explorés les outils et les obstacles au changement ainsi envisagé. Les paramètre de ce changement sont présentés selon une dynamique conduisant à un passage à l’acte. Le point déterminant serait sa stabilisation par une reconnaissance et valorisation sociales des gestes et actions.
Dans sa dernière partie, l’ouvrage explore quelques exemples de réalisations pratiques. Celles-ci s’organisent selon des «plans d’études» en lieu et place de l’approche coutumière en programmes disciplinaires. La mise en place du «Plan d’étude Romand» des cantons francophones suisses répondrait en partie au caractère exemplaire d’une telle approche. Mais les exemples décrits restent très conformes aux usages scolaires et en retrait relativement aux propositions précédentes.
Au final, l’EDD est présentée comme un enjeu clé du changement d’orientation de nos sociétés au moyen d’une entrée dans la pensée complexe et de la démarche systémique. C’est donc fondamentalement d’un rapport au monde et aux savoirs dont il s’agit. Mais si apprendre autrement est une bonne façon de donner du sens aux apprentissages et par là même de motiver les élèves, est-ce «aller suffisamment loin» comme nous y incite Francine Pellaud ou, dit autrement, n’y a-t-il pas un fossé entre savoir et agir ? Ou n’est-ce pas plutôt d’engagement, non pas seulement individuel mais collectif, dont l’ampleur et l’urgence de la transformation sociétale à accomplir serait à attendre d’une EDD à la hauteur des enjeux ? Comment
laisser alors de côté la question de la gouvernance y compris scolaire ?
Malgré cela, ce livre a le mérite de poser des jalons de ce que pourrait être une des façons d’envisager une éducation au développement durable qui sorte des routines établies et préserve de l’enfermement disciplinaire auquel l’entrée en force du DD dans les programmes conduirait si n’y étaient pas associées des manières d’apprendre et d’enseigner renouvelées.
Jean-Marc Lange pour la lettre stef ENS Cachan