In Le Nouvel Observateur – le 21 Août 2014 :
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La réforme des rythmes scolaires devrait être généralisée en septembre. Entretien avec Georges Fotinos, ancien inspecteur général de l’Education nationale, qui suit le dossier depuis plus de trente ans.
Avec la rentrée scolaire, le dossier des rythmes scolaires s’annonce particulièrement ardu, quoiqu’en dise le ministère de l’Education nationale qui parle sur ce sujet d’« une rentrée apaisée ».
Où en sommes-nous dans l’application de cette politique ? Quels changements a apporté le décret Hamon, actuel ministre de l’Education ?
Les réponses d’un spécialiste, un homme qui suit le dossier depuis plus de trente ans : Georges Fotinos, ancien responsable dudit dossier au ministère de l’Education nationale, notamment comme chargé de mission d’inspection générale. Il a eu à traiter le dossier à plusieurs reprises entre 1982 et 1998, puis à partir de 2010. Entretien.
Rue89. De quand datent les premiers textes sur l’aménagement du temps scolaire (ATS) ?
Georges Fotinos. La première circulaire dite « Calmat/Chevènement » date de 1984. Elle incitait les écoles et les communes à collaborer étroitement sur un projet éducatif qui reposait sur des modifications de l’organisation du temps scolaire traditionnel au bénéfice des élèves (épanouissement personnel et réussite scolaire).
Ce texte proposait deux scénarios concernant la place des activités éducatives périscolaires, l’un se situant sur la pause méridienne élargie, l’autre sur les après-midi. Contrairement au décret Peillon [ministre de l’Education de mai 2012 à mars 2014, nldr] mais en accord avec le décret Hamon, il fallait l’accord des conseils d’école pour ces projets.
Autre spécificité, de nos jours oubliée : la continuité éducative scolaire- périscolaire était assurée dans le projet d’école. Les contenus scolaires trouvaient leurs déclinaisons pratiques, artistiques et sportives dans les activités d’animation.
Ces projets fondés sur le volontariat étaient soumis par la commune pour accord et financement à l’Etat (inspecteur d’académie et directeur départemental de la jeunesse et des sports) sous la forme de contrats dits contrats ATS.
Ils ont rapidement recueilli un grand succès. C’est ainsi qu’au début des années 90, plus de 2 500 000 élèves bénéficiaient de ce changement.
Cette réforme était-elle couplée à un autre changement ?
Oui et c’était une autre « révolution » pour l’Education nationale (à laquelle je n’étais pas étranger) : modifier l’organisation du calendrier scolaire qui dans son principe de déroulement n’avait pas changé depuis plus d’un siècle. A partir des travaux des chronobiologistes et des recommandations du Conseil économique et social qui soulignaient la nécessité d’équilibrer les temps de travail et de repos scolaires, a été conçu le calendrier 7-2 (sept semaines de cours suivies de deux semaines de vacances et cela tout au long de l’année scolaire).
A noter que cette organisation est liée à un découpage de la France en deux zones géographiques. Avec trois zones, un effet d’accordéon dérègle cet équilibre et les durées des périodes de travail deviennent très inégales. A partir de ce constat, il est aisé de comprendre que sous la pression des industries touristiques et de transport, ce calendrier n’a réellement été mis en application que deux fois en… trente ans.
L’ATS a traversé différentes alternances politiques… Alors pourquoi est-il supprimé en 1998 ?
C’est le duo Ségolène Royal, alors ministre délégué à l’Enseignement scolaire et Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports, qui casse cette dynamique en remplaçant cette forme de contrat coopératif par le Contrat éducatif local (CEL). Décision très politique pour bien marquer les territoires respectifs de l’animation et de l’éducation et faisant fi des bienfaits observés de la continuité éducative pour les élèves. Contrat qui isolera un peu plus l’école de son environnement et dont l’intérêt s’étiolera régulièrement.
Comment et quand est-ce que l’ATS est redevenu un sujet d’actualité politique ?
D’abord, il faut constater un silence complet des politiques mais aussi des syndicats et associations proches de l’école pendant près de dix ans. Seule une petite poignée de chercheurs et de pédagogues dont la plupart regroupés autour de François Testu, chrono-psychologue de l’université François Rabelais à Tours ont entretenu la flamme de la recherche et de l’intérêt sur ce thème, notamment par la publication d’articles scientifiques et d’un ouvrage qui semble-t-il fait toujours référence (Fotinos G, Testu F, « Aménager le temps scolaire, théorie et pratique », Ed. Hachette, 1996).
Ensuite paradoxalement – et peu d’observateurs avertis l’ont mentionné – c’est Xavier Darcos [ministre de l’Education nationale de 2007 à 2009, ndlr] qui, en supprimant la classe du samedi matin, relance l’intérêt sur le sujet. Pour la petite histoire, il semble que le choix du ministre – seul – se soit orienté plutôt vers un transfert du samedi matin au mercredi matin.
De toutes façons, cette mesure qui satisfaisait une grande partie des usagers et acteurs de l’école (parents, parents divorcés, enseignants, personnels communaux, organismes de tourisme, élus, etc.) est passée, selon l’expression d’un haut fonctionnaire, comme une lettre à la poste.
Seuls quelques esprits « grincheux » mais lucides pour qui l’école est d’abord faite pour les élèves et non pour le confort des adultes ont dénoncé ce changement et ses méfaits auprès plus particulièrement des élèves en difficulté ou en souffrance scolaire.
Xavier Darcos a-t-il réintégré l’ATS ?
Non. Le grand mérite en revient à Luc Chatel [ministre de l’Education de 2009 à 2012, ndlr], qui sur les conseils notamment de son conseiller spécial a relancé le dossier. Dès avril 2010, le ministre annonçait une grande réflexion sur les rythmes scolaires qui serait alimentée non seulement par la mobilisation de tous les responsables, usagers, partenaires de notre système éducatif, mais aussi par une sensibilisation de l’opinion publique à cette problématique.
Cet ensemble serait placé sous l’autorité d’un comité de pilotage (dont j’étais membre), composé de chercheurs et de spécialistes, de représentants du monde économique et social, associés à des représentants élus de la nation (sénateurs et députés) et ceux des associations des collectivités locales (AMF, ADF, ARF).
Quel a été le résultat de cette campagne ?
Une vraie réussite. La participation du public sur le site du ministère de l’Education nationale dédié à cette opération, s’est révélée très importante, tous les responsables du système éducatif du recteur au directeur d’école se sont investis dans cette campagne et le comité de pilotage a été littéralement débordé par les demandes d’audition de la part des organismes et associations concernés, de près ou de loin, par l’ATS.
Cet ensemble d’informations a donné lieu à un rapport remis au ministre par le comité de pilotage qui préconisait plus particulièrement :
- le retour à une semaine scolaire de quatre jours et demi ;
- un allègement important de la journée scolaire qui se terminait pour toutes les classes jusqu’à la cinquième de collège à 15 heures et se continuait jusqu’à 17 heures par des activités éducatives à l’initiative de l’éducation nationale et/ou de la municipalité.
Le tout, pour ne pas diminuer le temps de travail annuel, se situait dans une année scolaire allongée de deux semaines.
L’articulation scolaire/périscolaire est au centre de l’ATS. Pourquoi ?
Toutes les évaluations réalisées entre 1984 et 1998 ont mis en évidence que cette articulation était bénéfique, tant pour les acteurs et partenaires adultes de l’école, que pour les élèves.
Pour les élèves parce qu’elle consolide et/ou facilite d’une façon générale les apprentissages scolaires, développe leur autonomie et leur plaisir de se rendre à l’école, par des activités sportives et artistiques.
Pour les enfants en difficulté scolaire ou psychologiques, c’est la possibilité d’amorcer le cercle vertueux d’une meilleure réussite. En effet, on a remarqué que ces enfants par une pratique choisie et réussie de ces activités d’atelier retrouvent souvent une confiance en eux, une estime de soi qui modifient notamment le regard porté sur lui par ses pairs et ses maîtres.
Un des autres effets de cette articulation est de diminuer le comportement agressif de certains élèves qui sont « sublimés » par la pratique de ces activités. Les évaluations ont montré que le climat scolaire de l’école dans son ensemble était nettement amélioré. Dans certains collèges expérimentaux, elle a même permis la disparition des conseils de discipline.
Vous dites que l’ATS est aussi un levier d’apprentissage de la citoyenneté…
Oui, là aussi les études réalisées entre 1984 et 1998 le montrent à l’évidence. En effet, les textes de cette époque recommandaient que les élèves soient associés dès le CE2 ou CM1 à l’élaboration du projet et à son évaluation régulière. D’autre part, il faut le rappeler, le choix des ateliers périscolaires leur appartenait entièrement. Des enquêtes portant sur la suite de la scolarité de ces élèves au collège ont montré qu’ils se portaient beaucoup plus fréquemment volontaire pour devenir délégué de classe que les autres élèves.
Aujourd’hui, cette dimension a presque complètement disparu des projets d’ATS (elle le sera à Nantes à la rentrée 2014).
On touche là à l’un des défauts majeurs de notre système éducatif : dans la majorité de nos établissements scolaires, l’élève doit être passif, à l’écoute du maître et sans initiative…
Après plus d’une décennie de ce régime scolaire, il ne faut pas s’étonner, comme récemment, que les jeunes ne participent presque plus aux élections, prennent de moins en moins de responsabilités associatives, syndicales ou électives et soient plus sensibles aux valeurs individuelles qu’aux valeurs collectives et citoyennes. Le début d’un changement à l’évidence dépend sûrement de l’école.
Pourquoi les critiques sont-elles si acerbes, alors ?
Le décret Peillon devait mettre tout le monde d’accord, mais tout s’est effondré parce qu’on n’avait pas assez mesuré le refus profond de la base (aussi bien des enseignants, des parents que des élus locaux) hostile au changement pour des raisons différentes.
Le décret n’a pas satisfait les syndicats qui mettaient entre autres en avant la perte du mercredi libre pour les enseignants. Pour mieux comprendre cette position, il faut prendre en compte l’évolution du profil des enseignants du premier degré : aujourd’hui, 81% des professeurs des écoles sont des femmes et une partie d’entre elles exercent cette profession parce qu’elles désirent concilier métier et vie de famille. A peine s’en prend-on à l’avantage acquis du mercredi, c’est une levée de bouclier bien compréhensible de leur part : leur mode de vie est remis en question.
Il ne faut pas oublier de replacer cette réaction dans le contexte actuel, où les enseignants, qui ont vu leur prestige moral considérablement diminué, éprouvent un besoin urgent de revalorisation, bien sûr sur le plan financier, mais aussi sur le plan de la reconnaissance du rôle essentiel qu’ils jouent dans la transmission des valeurs du vivre ensemble essentielles au sein de la société française.
Il me semble que si le recrutement de ces professeurs avait été plus équilibré entre hommes et femmes, ce problème particulier ne se serait pas posé de la même façon. Déjà, en 1982-1983, devant le nombre plus important de femmes reçues à l’école normale, le ministère avait opté pour la mise en place de deux concours d’entrée, afin de maintenir la parité et d’éviter la disparition des hommes dans les écoles.
Mais il n’y a pas « que » la perte du mercredi qui est critiquée dans le décret Peillon… Finalement, est-ce que le décret Hamon change quelque chose à ce que voulait Vincent Peillon ?
Oui, d’autres critiques importantes se sont développées rapidement. Toutes proviennent du partenariat à instituer avec les collectivités locales :
- la première faite par certains syndicats d’enseignants qui dénoncent un début de mainmise des municipalités sur l’école de la République ;
- la seconde émane des élus locaux qui considèrent que l’Etat les met au pied du mur pour réaliser des activités périscolaires sans un financement suffisant et des moyens nécessaires.
Ce sont ces deux critiques principales qui menaçaient de bloquer en grande partie l’opération qui ont été prises en compte par le décret Hamon.
L’objectif de ce décret, il faut le rappeler, est d’introduire de la souplesse, de permettre à titre expérimental des organisations du temps scolaire innovantes au bénéfice des élèves mais aussi des collectivités locales. Les points très positifs sont :
- avoir introduit l’expérimentation dans le dispositif ;
- l’obligation du travail scolaire sur cinq matinées ;
- la possibilité d’alléger la semaine scolaire en allongeant l’année scolaire.
Les points très négatifs se trouvent surtout dans la circulaire d’application qui let en évidence à titre d’exemple :
- le regroupement des activités périscolaires sur un seul après-midi ;
- la focalisation de ce regroupement sur le vendredi après-midi ;
- des journées scolaires de six heures (sans périscolaire).
Pourquoi l’assouplissement crée-t-il un anti-modèle ?
En donnant cette solution du vendredi après-midi, Benoît Hamon a voulu plus particulièrement répondre aux maires des petites communes du monde rural qui ne pouvaient pas trouver des animateurs tous les jours entre 15h45 et 16h30. Regrouper le périscolaire en un après-midi rendait les choses beaucoup plus aisées.
Mais on s’aperçoit que ce ne sont pas les petites communes qui se sont saisies le plus souvent de cette possibilité, mais les grandes villes, pour des raisons bien sûr de simplification de gestion et de moindre coût mais aussi pour satisfaire une bonne majorité d’enseignants et de parents.
Lyon par exemple a décidé de regrouper tout le périscolaire (qui sera payant, de 2 à 19 euros par mois et par enfant) sur les vendredis après-midi. Les enfants seront libres dès 11h30 le vendredi. Cela satisfait presque tout le monde, sauf que l’intérêt de l’enfant, là, il n’existe plus. Passent à la trappe son rythme à lui, ses besoins, son développement et tous les résultats des travaux scientifiques antérieurs sur ce sujet…
Il y a aussi des maires qui refusent d’appliquer le décret, comme à Compiègne [Oise], où les heures de classes – sur décision du préfet – se termineront à 15h45, et où le périscolaire sera remplacé par de la garderie, payante, jusqu’à 16h30.
Autre exemple à Meudon [Hauts-de-Seine] : les activités périscolaires (payantes) commenceront une demi-heure après la fin des cours, à 16h15. Et la mairie annonce que la « récréation, entre 15h45 et 16h15 sera gratuite, au moins au premier trimestre à titre de test ». En d’autres termes, ce qui au départ devait être gratuit va devenir payant dans la majorité des cas. Et en plus, on casse le lien que l’on cherchait à établir depuis le départ entre scolaire et périscolaire. C’est totalement contre-productif !
Ce sera payant, même si par ailleurs l’Etat va financer les activités périscolaires ?
Oui et c’est là, à mon avis, un point important qu’il faut revoir. En effet, au regard de cette situation où l’Etat subventionne les 36 663 communes sans exception (fonds d’amorçage), il peut sembler nécessaire de revenir à une forme de contractualisation qui permette de fixer une aide modulée de l’Etat en fonction d’une part de la richesse de la commune, de son engagement et d’autre part de l’intérêt éducatif et innovant du projet.
Actuellement, l’Etat donne 50 euros par enfant à toutes les municipalités, 90 euros en ZEP [Zone d’éducation prioritaire] pour 10 280 communes, que l’enfant soit dans le public ou dans le privé. A cela il faut ajouter 54 euros par enfant, provenant de la CAF (Caisse d’allocations familiales) pour les communes éligibles.
Y a-t-il des communes où on applique le décret en cherchant l’intérêt de l’enfant ?
Bien sûr. Pour le décret Peillon, elles sont maintenues connues, mais il faudra attendre les enquêtes de rentrée pour mieux connaître celles issues du décret Hamon.
Toutefois un indicateur rassurant est déjà à noter disposition. Plusieurs rectrices (Montpellier, Toulouse et Nice) ont décidé de refuser les projets concentrant les activités périscolaires le vendredi après-midi à moins qu’on ne leur prouve l’intérêt éducatif pour les enfants de cette organisation.
Qu’est-ce qui risque de se passer à la rentrée ?
Le gouvernement espère avoir calmé le jeu : 87% des communes appliqueront le décret Peillon et 13% appliqueront le décret Hamon. Mais ce que l’on constate dès maintenant, c’est que la très grande majorité des « aménagements Hamon » concerne le regroupement des activités périscolaires sur le vendredi après-midi (près d’un tiers des communes de l’académie d’Amiens).
D’autre part le syndicat majoritaire des enseignants suivi en cela par les inspecteurs des écoles et les inspecteurs d’académie craignent pour cette rentrée une gestion particulièrement difficile puisque la souplesse introduite permet « autant d’emplois du temps que d’écoles ».
A cela il faut ajouter un fait passé quasiment inaperçu et pourtant inquiétant : le Syndicat des inspecteurs de l’Education nationale (SIEN-UNSA) a déclaré en mai 2014 que les inspecteurs « en ont franchement assez d’être pris pour les pigeons du système éducatif » et qu’ils refuseraient de faire appliquer le décret Hamon « pour des intérêts politiciens ou de confort ».
Enfin, pour clore, il ne faut pas oublier que le combat politique s’est emparé de ce sujet. Des élus de l’opposition en nombre ont présenté ou vont présenter des recours devant les tribunaux administratifs. D’autres refusent purement et simplement d’appliquer le texte.
Il me semble qu’actuellement et au regard de ces difficultés, on assiste à un glissement progressif des pouvoirs de décision des recteurs aux préfets. Ce qui est loin d’être neutre pour le choix des priorités et des objectifs fixés pour l’aménagement du temps scolaire et périscolaire.
Y a-t-il une solution ?
Oui mais d’abord il faut reconnaître la très grande avancée dans la démocratisation d’accès, pour tous les enfants, aux activités artistiques et sportives. Par ailleurs, cette décision politique a imposé la nécessité pour tous les élus locaux de s’investir dans le secteur de l’Education.
Actuellement, pour dissiper les fortes inquiétudes de la rentrée et ses conséquences, il semble qu’il faille désormais sans revenir sur les acquis de base nationaux, privilégier la notion de contrat et de projets fondés sur l’innovation et l’évaluation et admettre que l’école maternelle peut ne pas être concernée de la même façon que l’école élémentaire par cette évolution (voir le nouveau projet de Strasbourg qui suspend pour le redéfinir l’ATS pour les maternelles).
L’école française, qui continue à faire mauvaise figure dans les classements internationaux, peut trouver ici un de ses leviers de changement.