PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Par Suzanne Citron, historienne et écrivain, et Anne-Marie Vaillé, ex-professeur d’histoire-géographie et ancienne présidente du Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire (CNIRS)

Les remous multiples et contradictoires des journées des 7-11 janvier sont venus secouer une école, déjà interpellée depuis des mois sur l’accroissement des inégalités et le décrochage scolaire endémique. Des interrogations brûlantes sont venues s’ajouter à ces constats. Comment de jeunes Français, passés par les bancs de cette école, peuvent-ils faire allégeance à un djihad assassin, se laisser circonvenir, en prison ou ailleurs, par quelque gourou sans culture, comme Amedy Coulibaly par Djamel Beghal ? Pourquoi sont-ils si nombreux à adhérer sans distance critique aux « démonstrations » de pseudo complots sur internet ?

Il est devenu urgent, indispensable d’analyser et d’évaluer la fracture sociale et culturelle existant entre le dispositif scolaire hérité du passé et les situations, les modes de vie, les représentations mentales de nombre de jeunes, pas seulement des banlieues, pour qui l’école signifie échec, frustration, absence de sens. Car c’est dans cette fracture que vient s’insinuer l’ascendant du discours simplificateur et mortifère du gourou.

La gravité des événements, au reste inséparables de processus mondiaux, doit faire prendre conscience aux responsables politiques de tous bords comme à l’ensemble du monde éducatif que c’est une mutation de l’école édifiée aux XIXe et XXe siècles qui s’impose pour répondre aux enjeux culturels, sociaux, idéologiques, géopolitiques, technologiques du nouveau siècle.

L’AVEU D’UN ÉCHEC ?

La « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » annoncée le 22 janvier par la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, répond-elle à ces enjeux ? Elle instaure des temps d’instruction sur les lois de la démocratie, d’apprentissage de l’argumentation et du débat dans toutes les disciplines. Elle préconise dans l’enseignement professionnel et dans l’apprentissage un renforcement de l’enseignement des humanités pour améliorer la transmission de la morale civique. La démocratie serait instaurée à l’école à travers les conseils d’élèves, l’élection des délégués, l’invitation à l’engagement associatif…

Mais ces objectifs de formation ne sont-ils pas, depuis des lustres, ceux de l’école de la République ? La mission de l’école aurait donc failli ? La réforme des programmes de l’éducation civique des collèges élaborée en 1994 était, dans ses fondements, très novatrice mais l’institution ne s’est pas donné les moyens de la mettre en œuvre. L’« heure de vie de classe » a eu une vie brève et sporadique faute de formation et de concertation des enseignants.

Le « nouvel » enseignement moral et civique, prévu pour la rentrée dans toutes les classes comme un talisman de l’éducation à la laïcité aura-t-il plus de chance ? Va-t-on encore ajouter des heures dans des horaires scolaires déjà surchargés auquel viendrait s’ajouter un enseignement laïc des faits religieux, (objet d’un rapport de 2002 de Régis Debray jamais vraiment appliqué), des heures de débat, une éducation critique aux médias ?

REPENSER LES CONTENUS

La propension extravagante à déverser dans l’école un enseignement nouveau comme remède à chaque constat d’une carence sociétale devrait faire prendre conscience à tout observateur de bonne volonté qu’au-delà des querelles sémantiques et des oppositions manichéennes sur les savoirs une mutation du dispositif traditionnel des programmes scolaires dans la société d’aujourd’hui s’impose. La démarche qui inspire les 13 mesures prescrites le 22 janvier ne semble pas avoir pris en compte cet impératif.

François Durpaire a souligné dans « Le Monde » du 23 janvier que la lourdeur des programmes et leur division en disciplines ne laissent aucun temps pour le vivre ensemble dans l’école de la République. Une vraie refondation de l’école impliquerait une réorganisation en profondeur des contenus. Des cursus scolaires plus souples et beaucoup moins détaillés, susceptibles de s’adapter aux situations de terrain, ne se présenteraient plus comme une juxtaposition de disciplines cloisonnées.

Ils seraient pensés et formulés comme les supports du développement personnel de chaque élève, de leur maîtrise de la langue, de leur aptitude à penser, à créer et comme les outils du décodage et de la compréhension du monde. Le but de l’école serait d’abord la formation de futurs citoyens, français, européens, terriens, aptes à se situer dans le présent réel, à comprendre la complexité du vivant, la diversité des racines, le poids du passé, la richesse des grandes œuvres de l’humanité.

ASSOUPLIR LA HIÉRARCHIE

Les équipes enseignantes seraient invitées à investir ces objectifs, en coordonnant leurs savoirs et leurs compétences, ce qui implique bien évidemment une formation initiale repensée et une formation permanente à recréer. La mission des chefs d’établissement et du personnel d’encadrement serait d’abord d’être des animateurs et des entraîneurs et non de simples administrateurs appliquant circulaires et règlements.

Cette révolution dans l’organisation et les modalités de transmission des savoirs de l’école ne peut se concevoir sans une révolution dans l’administration et dans la chaîne hiérarchique. Le fonctionnement par injonctions d’en haut et saupoudrage en heures de « cours », fonctionnement qui depuis des décennies n’a jamais permis aux initiatives novatrices du terrain d’être prises en compte par l’institution, doit être révisé.

Un Etat strictement régalien fixerait les grands objectifs, les cadres, les grandes lignes d’un projet éducatif visant au développement des élèves, de chaque élève dans son potentiel humain. La pluralité des formes d’excellence et la dignité de tous les savoirs intellectuels et manuels seraient reconnues par une autre hiérarchisation des valeurs culturelles et sociales, germes d’un humanisme multiculturel du XXIe siècle.

L’ESPRIT DU 11 JANVIER

Notre État, — son administration pléthorique, sa Dgesco (Direction générale de l’enseignement scolaire), ses rectorats, son emboîtement de bureaux nationaux, académiques, départementaux, ses divers corps d’inspecteurs, ses multiples instances aux sigles incompréhensibles des profanes — peut-il assurer ce changement, sans une réforme intellectuelle et organique ?

S’il est illusoire d’en espérer les effets dans le temps court, en revanche, si cette réforme est initiée par le pouvoir politique avec l’adhésion sans arrière-pensée de citoyens dans l’esprit du 11 janvier, ce sera vraiment la mise en route d’une école laïque du XXIe siècle au service de tous nos enfants.

Lire la suite : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/30/pour-ouvrir-l-ecole-a-la-diversite-laissons-la-s-adapter-localement_4567076_3232.html

Print Friendly