Texte de l’intervention de Jean-Louis Piednoir à la rencontre décentralisée de PRISME, à Lomme le 7 juillet 2003
Jean-Louis PIEDNOIR
Peut-être parce que la France s’est dotée très tôt d’un état fort et centralisé, plus que dans d’autres pays d’Europe, les questions éducatives sont des questions politiques ?
Les programmes des partis politiques comportent tous un volet éducatif. Les débats sur les structures éducatives, les contenus enseignés, les méthodes pédagogiques utilisées sont relayées par les hommes politiques qui, Ã leur tour, définissent des politiques éducatives. Un rapide bilan de l’histoire française de l’éducation le montre abondamment. Il permettra de mettre en perspective les structures actuelles du système éducatif, les actions qui ont été menées récemment et éclairera les interrogations d’aujourd’hui.
I – Politique et éducation, quelques rappels historiques
L’éducation a à voir avec la reproduction de la société et la génération au pouvoir se préoccupe de l’avenir de la société et pense instinctivement pouvoir utiliser les structures éducatives pour agir sur lui, surtout dans un pays où les conflits idéologiques, sociaux, politiques ont très vite pris une dimension nationale. Les adhérences sont fortes entre les structures mentales, économiques, sociales d’un pays et la façon de concevoir l’éducation des jeunes. Dans beaucoup de pays, on laisse les familles, les autorités locales trouver le point d’équilibre entre transmission par l’école et évolution, le politique n’intervenant que ponctuellement pour fixer les grandes orientations et définir un cadre d’ensemble.
En France, l’église et l’état, structures fortes et centralisées se sont impliqués fortement dans la construction d’un système éducatif.
1 – Jusqu’Ã Jules Ferry :
La construction d’un système éducatif qui se veut national commence en France au XVIIème siècle. Après les guerres de religion du XVIème siècle, l’église se lance dans un vaste mouvement, la Contre-Réforme, destiné à endiguer la montée du protestantisme donc du christianisme réformé. Celui-ci a mis l’accent sur la nécessité, pour le croyant, d’une lecture personnelle de l’Ecriture, de la Bible. Pour cela, il fallait savoir lire et les réformés encouragent dans les campagnes, l’apprentissage de la lecture, qui fut vite populaire et leur attire des ouailles. Conscients du danger, les évêques de la Contre-Réforme se lancent dans l’alphabétisation de masse, à l’aide du réseau des curés de paroisse. Et ceci, avec un certain succès. On estime à 25 % la proportion de la population masculine sachant lire et écrire en 1789. Certaines personnalités, comme Voltaire, s’inquiéteront de cette banalisation du lire et écrire, craignant que, dans un avenir proche, il ne soit plus possible de trouver des laboureurs pour cultiver le terre. L’argument remis successivement au goût du jour aura une grande postérité, mais sera régulièrement démenti par les faits.
A côté des masses paysannes qu’on s’efforçait, en leur offrant l’alphabétisation, d’éloigner de la propagande protestante, il fallait aussi maintenir les élites dans le giron de l’église, avec l’approbation des autorités royales. Pour elles, on crée tout un réseau de collèges, ancêtres de notre enseignement secondaire. Jésuites, Oratoriens sont les premières congrégations à s’investir, mais les diocèses créent également des collèges.
Avec la tourmente révolutionnaire, l’état s’empare du problème éducatif. La nationalisation des biens de l’église, la vente des biens nationaux, privent de ressources de nombreuses structures éducatives, dont le financement était assuré par des revenus fonciers, du coup le taux d’alphabétisation fléchit, beaucoup de collèges ferment. Le budget de l’état devait se substituer aux revenus divers pour les collèges, celui des communes à la dîme pour l’enseignement primaire ( les petites écoles ), mais l’intendance a du mal à suivre. Cependant, les assemblées révolutionnaires se préoccupent de l’école. C’est la première fois qu’un organisme d’état prend en charge l’instruction. Deux rapports marquent la période : celui de Lepeltier de Saint Fargeau, celui de Condorcet.
Pour le premier, le rôle de l’école est d’ancrer la République dans les esprits. Il faut donc soustraire l’enfant à sa famille, créer des internats pour son instruction et son éducation. Il raisonne comme les Jésuites lors de la création des collèges qui eux, voulaient éloigner l’enfant d’un monde jugé mauvais, antiéducatif et forger de bons chrétiens, capables ensuite de le transformer. Mais la formule était inapplicable ; outre qu’elle se heurtait à l’opposition des familles, elle avait un coût que les finances publiques étaient incapables d’assumer. Condorcet proposait, lui, la constitution d’un réseau d’écoles, à la charge des municipalités, proches des habitants, l’Etat prenant en charge l’enseignement secondaire et supérieur. Si les conditions politiques ne permirent pas l’application des propositions de Condorcet, les hommes politiques qui bâtirent l’école au XIXème siècle, Guizot avec sa loi de 1832, Jules Ferry avec ses lois de 1881-82, reprirent l’essentiel du rapport Condorcet : écoles communales fondées sur la gratuité, la laïcité, l’obligation.
Faute de ressources, la Convention se contenta d’encourager les communes à créer des écoles. On institua pour l’enseignement secondaire, les écoles centrales, une par département, qui eurent peu de succès et que Bonaparte Premier Consul remplaça par le lycée, à la pédagogie plus traditionnelle, car fondée sur la classe, inexistante dans les écoles centrales. Les universités avaient été supprimées et on compléta par de nombreuses créations, le réseau des grandes écoles, dont les premières avaient été crées sous Louis XVI, pour fournir à l’état des corps techniques.
Au XIXème siècle, le débat politique autour de l’école se centra sur l’alphabétisation de masse, donc pour tous les enfants. Il y avait une demande sociale : dès 1850, 90 % des petits beaucerons sont alphabétisés. Il y avait aussi une demande économique : le pays s’industrialise et certains secteurs ( pas tous ) demandent une main d’œuvre instruite, alors que le textile, les mines font travailler les enfants depuis l’âge de 6 ans, ce qui effraya les militaires examinant l’état physique des conscrits et les incita à faire voter la première loi sociale ! La loi Guizot de 1832 fait obligation aux communes d’entretenir une maison d’école et aux départements, une école normale. Par ailleurs, les efforts faits par l’église pour réinvestir le champ éducatif sont encouragés et l’enseignement public est soumis à son contrôle. Les congrégations enseignantes multiplient les fondations, particulièrement pour les filles. Tous ces efforts devaient aboutir : entre 1814 et 1880, les effectifs scolarisés croissent ; à la fin de la période plus de 90 % des français sont alphabétisés.
Il revenait à Jules Ferry et à son équipe de parachever l’œuvre en décrétant l’obligation et donc la gratuité et en organisant l’école en service public. Mais là encore, la politique est bien présente. L’église combat la République mise en place 10 ans plus tôt, l’école doit permettre de l’instituer. On retire à l’église le contrôle de l’enseignement public, on institue la laïcité comme principe d’organisation du service public. Si la liberté de l’enseignement est reconnue, elle n’est pas subventionnée. En 1905, la loi de séparation de l’église et de l’état, l’interdiction des congrégations enseignantes, feront reculer l’enseignement catholique. Mais il faut répondre aux souhaits de la bourgeoisie, qui répugne à voir ses enfants s’asseoir sur les mêmes bancs que ceux du peuple. Aussi l’enseignement est organisé par ordre. Pour le peuple, l’enseignement primaire, avec éventuellement un prolongement d’étude via l’enseignement primaire supérieur, déjà créé sous Napoléon III par Victor Duruy, puis supprimé et recréé ; écoles primaires supérieures et cours complémentaires, au delà de l’obligation scolaire, sont créés et financés par les municipalités volontaires et gratuits. Pour la bourgeoisie, l’enseignement secondaire, les lycées et collèges, avec leurs classes primaires, de la 11ème à la 7ème, se développe. Il est payant, on y enseigne une langue étrangère ( en général, l’Allemand ), on y initie au latin, ce qui garantit un public socialement homogène.
2 – Les grands débats de l’entre deux guerres :
Après la guerre de 1914 – 1918, le conflit église – état s’apaise. L’église s’est ralliée à la République et, dans les tranchées, cléricaux et républicains ont appris à se connaître. Le compromis de Jules Ferry est accepté par tous. D’autres débats politiques apparaissent. La formation des ouvriers qualifiés, des contremaîtres est mal assurée, la demande d’enseignement post-primaire croît, mais les élèves sont peu nombreux, car les générations 1915 – 1917 ont des effectifs faibles ( il y a eu un déficit des naissances ).
Le pouvoir politique va prendre plusieurs initiatives. En 1921, la loi Astier organise un troisième ordre d’enseignement : l’enseignement technique. Il démarre dès l’actuelle 6ème et, avec des durées variables, forme des ouvriers qualifiés et surtout des techniciens. En 1927, le cartel des gauches décrète la gratuité du secondaire ( classique avec le latin et moderne ). Mais la demande sociale se porte surtout sur l’enseignement primaire supérieur. Dans les années 30, lycées et collèges d’une part, écoles primaires supérieures et cours complémentaires de l’autre, sont à peu près à égalité en terme d’effectifs. La coupure primaire / secondaire est, d’une façon de plus en plus visible, une coupure sociale, les petites classes des lycées existant toujours. Avec des générations à effectif faible, des lycées ont des difficultés à faire le plein, une concurrence scolaire existe. Les enseignants de lycée accusent ceux du primaire de délivrer une culture au rabais, mais ils s’arqueboutent sur les humanités classiques, seules aptes à donner une vraie culture.
Dès 1918, un mouvement s’organise et propose une réforme des études. Ce sont les chevaliers de l’université nouvelle, universitaires anciens combattants. Ils proposent de mettre fin à l’enseignement par ordre, pour passer à un enseignement par niveau : le primaire pour tous, de 6 à 11 ans, avec prolongement à 14 ans pour ceux qui ne font pas d’études secondaires, le secondaire de 12 à 18 ans, pour les autres. Leurs idées sont reprises par Jean Zay, Ministre de l’éducation Nationale du front populaire, qui sera assassiné par les nazis en 1943. Cela impliquait la fin des petites classes des lycées, la minoration du rôle du latin et du grec dans les études secondaires. Les polémiques sont nombreuses et les mesures difficiles à faire passer.
Arrive le gouvernement Pétain en 1940 et sa révolution nationale. Les réformes de Jean Zay sont mises en sommeil, les écoles normales, foyers de laïcité sont supprimées, l’église obtient des facilités et Jérôme Carcopineau, Ministre de l’éducation, intègre les écoles primaires supérieures dans les lycées.
3 – Depuis 1945 :
A la Libération, le débat politique sur l’éducation rebondit. La reconstruction, la modernisation exigent une main d’œuvre mieux formée, la culture pour tous est vue comme une exigence, tout comme l’existence d’une jeunesse douée d’un esprit critique, capable de résister aux sirènes du fascisme. Le gouvernement provisoire demande un rapport à deux hommes de gauche, dont un communiste. Naît aussi le rapport Langevin – Wallon, qui restera longtemps la référence de la gauche politique en terme d’éducation. Depuis sa création, le syndicat national des instituteurs ( SNI ) avait fait de l’école Libératrice non seulement le titre de son journal, mais surtout la base de son idéologie. Or, dans les années 50, deux sociologues-démographes, Girard et Bastide, ont, à l’INED, lancé une grande enquête et montré que la sélection par les résultats scolaires revenait en grande partie à sélectionner selon l’origine sociale. D’autres sociologues, Bourdieu et Passeron, Beaudelot et Estallet, théoriseront et tenteront d’expliquer ce constat, dans des ouvrages restés célèbres : Les Héritiers, La Reproduction pour les premiers, l’école capitaliste en France pour les seconds. Le lien réussite scolaire / classe sociale était établi, non sans exagérations.
Dans les mêmes années, l’efficacité de l’école est mise en doute. Un nouveau concept apparaît, celui d’échec scolaire et de la responsabilité de l’école dans cet échec. Non qu’il n’existait pas avant, en 1938 seulement, un français sur deux avait le certificat d’études et une circulaire de la même année mentionne que la majorité des élèves ne maîtrise pas d’une façon suffisante la lecture. Mais, la responsabilité de cet état de chose était portée par l’élève et sa famille : il ne travaille pas, il n’est pas doué. Les choses ont changé quand les » cancres » des bonnes familles ont commencé à avoir des problèmes d’insertion sociale au même niveau que leurs parents. La régression sociale est difficile à supporter, comme l’a fait remarquer le sociologue R. Boudon en 1968.
D’un autre côté, l’enseignement catholique, obligé d’embaucher des laïcs en remplacement des religieux, a de gros problèmes de financement. Il réclame des fonds publics, refusés par le camp laïc mais, les sondages le montrent, l’opinion publique y est de plus en plus favorable. Sa position est renforcée par l’explosion scolaire : des classes d’âges nombreuses se pressent dans les écoles, la demande d’enseignement secondaire croît à un rythme important. Les centres d’apprentissage publics, ancêtres des lycées professionnels, créés en 1945, font le plein.
Revenu au pouvoir en 1958, le Général de Gaulle a fait son choix : on aidera l’enseignement pivé ; c’est la loi Debré de 1958, avec ses contrats, encore en vigueur ; c’est l’enseignement obligatoire jusqu’à 16 ans, avec de 12 à 15 ans, ses trois voies : terminale-pratique, moderne court ( héritier des cours complémentaires ), secondaire long préparant au lycée, avec la possibilité de latin dès le 6ème ou la 5ème. La section terminale-pratique débouche sur la vie active ou le collège d’enseignement technique, qui deviendra le lycée professionnel. De même, le moderne court donne accès aux lycées techniques, aux sections modernes des lycées. De Gaulle aurait souhaité une sélection à 12 ans, comme cela existe encore en Allemagne, pour l’accès au secondaire long ou au moderne court. Il recule devant l’opposition rencontrée, symbolisée par G. Pompidou, qui voit difficilement des enfants issus des classes sociales privilégiées être écartés du lycée. En tout cas, la réforme Berthoin organise le collège d’enseignement secondaire, avec ses trois voies accueillant l’ensemble d’une classe d’âge ; c’est le collège pour tous. Il reviendra à R. Haby, ministre de Giscard d’Estaing, d’unifier les trois voies et d’instaurer ce que l’on appelle improprement le collège unique, tout en maintenant une possibilité d’orientation en fin de 5ème. Inspirée par la gauche historique, mais combattu par l’opposition de gauche, du fait du contexte politique, cette réforme a alimenté bien des débats, sans être remise en cause par des décisions politiques, au moins dans ses grandes lignes.
Après 1974, le chômage se développe, immédiatement l’école est interrogée : la formation donnée ne permet pas d’être embauché. Les transformations sociales engendrent encore d’autres demandes de la société Ã son école :
– accueillir tous les jeunes à l’école maternelle et de plus en plus tôt, dès 2 ans actuellement.
– assurer la promotion sociale des jeunes mais, dit-on, l’ascenseur social est en panne.
– donner une éducation globale, incluant l’éducation sexuelle, la sécurité routière, l’éducation à la responsabilité, etc…
– insérer professionnellement et socialement les jeunes.
Dès qu’un problème social se fait jour, l’école est interpellée, mais on oublie vite de questionner les autres institutions et de s’interroger sur les conditions concrètes d’exercice de sa mission.
Du côté de l’enseignement supérieur, le choc est venu en mai 1968, avec des répercussions dans les lycées. Là encore, il reviendra à un fin politique, Edgar Faure, de tirer en termes juridiques, les conséquences du mouvement. Ce fut la loi d’orientation de l’enseignement supérieur, le développement de la vie scolaire dans les lycées, avec en particulier, la création des conseils d’administration, l’institution des
A partir de 1981, il reviendra à la gauche de tenter de répondre à une partie des nouvelles demandes sociales. A. Savary introduit, avec la création des zones d’éducation prioritaire ( ZEP ), le concept très nouveau en France, de discrimination positive, pour donner plus de moyens aux établissements fréquentés par des jeunes des milieux sociaux défavorisés. Il réorganise l’enseignement supérieur par la loi de 1984, prend toute une série de petites mesures d’adaptation. Il échoue dans sa proposition de fonder autrement les rapports entre enseignement public et privé, se heurtant à de nouvelles habitudes : le consumérisme scolaire, qui voit de nombreuses familles passer du public au privé ou du privé au public et, à la remontée de l’archaïsme de la conscience politique française : laïcs contre cléricaux,
La période est marquée par une nouvelle explosion scolaire, les effectifs des lycées croissent à un rythme très rapide. C’est maintenant 90 % d’une classe d’âge qui est scolarisée jusqu’à 18 ans. Le baccalauréat professionnel est créé, le slogan » 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat » est lancé par le premier Ministre ( L. Fabius ). La troisième révolution scolaire est faite, c’est le lycée ( ou le lycée professionnel ) pour tous. Corollaire, les effectifs de l’enseignement supérieur sont, entre 1981 et 1991, multipliés par 1,6 ; ceux des sections de techniciens supérieurs par 3,2. Il faut digérer cette croissance, qui s’est arrêtée en 1996.
II – L’état actuel des politiques scolaires
1 – L’évolution des structures :
L’histoire, très brièvement rappelée ci-dessus, nous a légué une structure du système éducatif qui est utilisée par les citoyens souvent d’une façon autre que celle prévue par les décisions politiques. Nous avons une école primaire fréquentée grosso-modo, comme le collège, par l’ensemble de la classe d’âge. Grosso-modo, mais il y a des exceptions : structures du primaire pour enfants handicapés, section d’enseignement général et professionnel ( SEGPA ) dans les collèges pour ceux qui ne peuvent suivre une scolarité normale, établissement régional d’enseignement adapté ( EREA ) pour les mêmes élèves, mais en internat.
Après le collège, vient le lycée avec, en fin de 3ème, le première grande orientation : seconde professionnelle en lycée professionnel pour préparer un diplôme professionnel de niveau V, CAP ou BEP, en deux ans et, éventuellement ensuite, un diplôme professionnel de niveau IV, le baccalauréat professionnel ( bac pro ), ou la seconde générale et technologique, débouchant en trois ans sur le baccalauréat. Un tiers des élèves, les plus en difficulté, sont orientés en lycée professionnel, les deux tiers restant en lycée. Il est possible, après le BEP, de rejoindre une première technologique, dite d’adaptation ( 15 à 20 % des titulaires du BEP ). En lycée, après la seconde, il faut choisir une série pour un cycle de deux ans ( première et terminale ). Il existe trois séries générales : L, ES, S, Littéraire, Economique et Social, Scientifique et quatre séries technologiques : Industrielle, de Laboratoire, Tertiaire ( STI, STL, STT ), Sciences Médico Sociales ( SMS ), plus d’autres séries de faible effectif, comme l’hôtellerie ou celles conduisant à des brevets de techniciens.
Au cours des 7 dernières années, on observe des évolutions rapides dans les flux d’orientation. Après une croissance rapide dans la période précédente, la série STT a vu son importance se stabiliser. Par contre, la série SMS a vu ses effectifs augmenter de 50%, ce qui augmente la part des baccalauréats technologiques dans l’ensemble des orientations. Après une diminution, les orientations en lycées professionnel se sont stabilisées depuis 2 ans. Dans les séries générales, on note un tassement de l’orientation en S, une chute importante de l’orientation en L et une croissance de celle en ES. Ce phénomène a été en partie provoqué par la réforme des lycées, initialisée en 1990 par L. Jospin, poursuivie par J. Lang et mise en forme, après l’alternance politique par F. Bayrou. Voilà une réforme qui a traversé trois ministres, de deux orientations politiques différentes et dont la plupart des effets n’a pas été voulue au départ. Il s’agit d’un cas intéressant pour qui s’intéresse à l’évaluation des politiques publiques. Il y a eu erreur de diagnostic sur la façon dont le public allait répondre à une offre scolaire différente. L’orientation dans l’enseignement supérieur après le baccalauréat a été marquée par des phénomènes sociaux également imprévus : baisse préoccupante de l’orientation scientifique, croissance des effectifs en sciences et techniques des activités sportives ( STAPS ).
L’enseignement supérieur a profité de l’augmentation des effectifs du secondaire ( le lycée pour tous ), ses effectifs sont maintenant, comme ceux du lycée, stabilisés voire en baisse, du fait de la démographie. Le supérieur court, BTS et IUT, a vu ses effectifs s’accroître quand les DEUG et surtout les DUEG scientifiques, enregistraient une baisse parfois importante ( le DEUG de physique a perdu la moitié de ses étudiants ). On observe une stratégie d’évitement du DEUG de la part des jeunes bacheliers, qui craignent un encadrement insuffisant et connaissent les taux médiocres de réussite. Jusqu’à présent, les politiques n’ont pas réagi face à ces phénomènes, se contentant d’accompagner via les créations ou suppressions de structures.
2 – Les actions récentes menées :
Dans les dernières années, les politiques menées ont voulu répondre à certaines interrogations du public, des personnels. Il a fallu digérer la massification des structures de l’enseignement secondaire, répondre à la difficulté d’enseigner dans des classes hétérogènes, éduquer à l’autonomie, à la responsabilité, faire face à la violence.
A l’école primaire, pour prendre en compte des vitesses d’apprentissage différentes, on a installé les cycles : trois, de la grande section de maternelle au CM2, revu les programmes en encadrant davantage de travail des maîtres. On observe la difficulté de faire passer sur le terrain les réformes décidées par les politiques. Dans la majorité des cas, les cycles n’existent que sur le papier, quant aux horaires des différentes disciplines, la force de l’habitude oppose une grande résistance au changement.
Dans les collèges, plusieurs rénovations ont eu lieu. On veut diversifier pour s’adapter. Jusqu’à présent, le succès n’est pas au rendez-vous. Périodiquement, on supprime les structures pour les jeunes en grave difficulté scolaire, pour créer d’autres dispositifs à durée de vie très limitée. A ce petit jeu, on décourage les bonnes volontés enseignantes, sans répondre au besoin des jeunes. Ainsi ont vécu les CPPN, les 4ème et 3ème technologiques, les 4ème -3ème en 3ans, les 3ème d’insertion. Les 4ème d’aide et de soutien ont quasi disparu et on met sur pied les 3ème professionnelles. Mais on annonce déjà d’autres dispositifs. Afin de faire face aux intérêts différents des jeunes, de remédier à un cloisonnement disciplinaire excessif, de favoriser l’autonomie des collégiens, ont été institués les travaux croisés, auxquels ont succédé les itinéraires de découverte, avant même que les travaux croisés soient généralisés et évalués.
Pour répondre à une demande sociale, on a voulu développer l’enseignement des langues vivantes. Une première langue vivante est enseignée au primaire, dès le CE2 et on parle de deux langues en 6ème. Les spécialistes restent sceptiques sur l’efficacité de la première mesure, qui pourtant a un coût non négligeable.
Au niveau du lycée, un essai de rapprochement des structures lycée professionnel – lycée technologique est tentée, avec la création du label » Lycée des métiers « , inventé par J.L. Mélenchon et poursuivi par le ministre L. Ferry. Comme au collège, des exercices pédagogiques nouveaux ont été introduits : l’aide individualisée en seconde, après les modules, pour faire face à l’hétérogénéité des classes de ce niveau. Pour développer l’autonomie des élèves, rompre avec le cloisonnement disciplinaire, on a institué au lycée professionnel, le projet pluridisciplinaire à caractère professionnel ( PPCP ) et au lycée, les travaux personnels encadrés ( TPE ). Par ailleurs, ce qui a trait à l’éducation au sens global du terme, a été développé : création de conseils de la vie lycéenne dans l’établissement, aux niveaux académique et national.
L’éducation civique, juridique et sociale, héritière des cours de morale et d’instruction civique, disparus dans les années 60 est réapparue. Des dispositifs particuliers ont été montés, pour aider à l’insertion des jeunes à leur sortie de l’école ( DIJEN ), pour aider les établissements à faire face à la violence. L’efficacité de toutes ces mesures est diverse. Si le DIJEN n’est pas contesté, l’aide individualisée a pour l’instant, laissé dans le doute de nombreux évaluateurs. En outre, les heures pour les nouveaux exercices ont été prises sur les disciplines. Dans les séries générales, les programmes ont été changés à un rythme rapide, ce qui engendre le scepticisme des professeurs.
3 – Les défis actuels :
Quand les médias parlent de crise de l’école et même de son échec, évoquant l’âge d’or de l’école de Jules Ferry, qui n’a d’ailleurs jamais existé, ils font en réalité référence à un phénomène bien réel : les exigences de plus en plus grandes qu’a la société vis à vis de son école, liées à la plus grande difficulté pour elle d’accomplir sa tâche compte-tenu des nouveaux comportements. Du coup, ses performances apparaissent médiocres, ce qui engendre insatisfaction et nécessité pour le politique d’agir.
On peut faire l’inventaire de quelques défis que la société somme école de relever :
– Le premier est celui des sorties sans qualification, c’est à dire au moins un diplôme professionnel de niveau V, CAP ou BEP. Au cours de l’histoire, il a baissé régulièrement jusqu’au début des années 90 ; depuis il est stable, de l’ordre de 6 % d’une classe d’âge. Il s’agit d’un noyau dur, auprès duquel toutes les initiatives prises ont échoué. Autrefois, le phénomène existait, avec des proportions plus grandes, mais il ne faisait pas scandale. A l’époque du plein emploi, qualification requise ou pas, on trouvait une insertion professionnelle. Cela n’est plus le cas et le noyau dur en question est danger de marginalisation sociale et professionnelle, ce qui est inacceptable dans une société comme la notre.
– Le deuxième défi est l’intégration des jeunes issus de l’immigration. Jusqu’à une date récente, l’école était louée pour sa capacité à fabriquer des français à partir des jeunes de la deuxième génération. Son œuvre était complétée par le service national. l’Intégration par l’Ecole était certes l’œuvre des maîtres, mais passait aussi par l’action des petits camarades. Maintenant, il n’y a plus de service national, les cités deviennent ethniquement homogènes et l’intégration repose sur les seules épaules du maître, la tâche devient plus difficile, surtout quant à la sortie de l’école, il y a discrimination à l’embauche.
– Le troisième défi est de faire réussir également tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale. La réussite sociale par l’école existerait de moins en moins, on traduit par » l’ascenseur social est en panne « . Il est vrai que la complexité du système rend sa visibilité difficile et que ce sont statistiquement les enfants des enseignants qui ont, et de loin, les meilleurs résultats scolaires et qui se réorientent le plus facilement en cas d’échec. Mais il ne faut pas éluder le fait que, comme chaque famille des classes favorisées fait tout pour éviter la régression sociale de leur enfant, l’ascension sociale n’est possible que si les catégories sociales favorisées croissent en importance, comme cela était le cas entre 1945 et 1975, les trente glorieuses, et qui n’est plus le cas actuellement. La seule catégorie qui a vu ses effectifs croître est malheureusement celle des chômeurs ! Reste que pour ses apprentissages, l’Ecole s’appuie sur des pré-requis donnés par la famille et que, jusqu’à présent, même l’école maternelle n’a pas réussi à en effacer l’importance. De plus, certaines méthodes pédagogiques récentes, fondées sur l’enquête, la recherche documentaire, accentuent le clivage entre les familles où l’écrit est fortement présent par le livre, les journaux et les autres, dépendant de la seule télévision.
– le quatrième défi est de trouver les voies et moyens de faire face aux nouveaux comportements des jeunes et de leurs familles. L’individualisme se développe et, avec lui, l’égoïsme social et le consumérisme scolaire. On veut pour ses enfants le meilleurs établissement et, dans certains milieux, on le cherche, qu’il soit public ou privé, au delà des clivages idéologiques. En 1984, le camp laïque a été victime du consumérisme. On répugne à mélanger ses enfants avec ceux d’autres catégories sociales. Un élu du VIIIème arrondissement a, dans un communiqué, déclaré que les jeunes des collèges du XVIIIème arrondissement n’avaient rien à faire dans les lycées du VIIIème, en réaction à une modification de la carte scolaire par les autorités académiques. Les jeunes eux-mêmes changent. La violence augmente, y compris dans les écoles primaires, le travail patient, aux résultats lents à apparaître, n’est plus au rendez-vous et pourtant, il n’y a pas d’apprentissage réussi s’il est absent. Mais les médias développent une culture de l’immédiateté et du zapping, aux antipodes des valeurs traditionnelles de l’Ecole. En cas de conflit entre le jeune et l’institution, la famille, quand elle existe, ne donne plus systématiquement raison au maître, mais plutôt à l’enfant. La participation, le développement de la vie scolaire ont été, jusqu’à présent, la réponse donnée par l’institution pour faire face à ces comportements.
– Le cinquième défi est de donner du sens aux apprentissages, aux contenus enseignés, bref de répondre à la question » mais a quoi ça sert d’apprendre tout ça « . On ne peut plus répondre » tu verras plus tard « , il faut expliquer, justifier, peut-être recentrer sur l’essentiel. De l’école primaire au collège, le temps proprement scolaire se raccourcit et le nombre de disciplines enseignées croît. Il y a les voyages culturels, très prisés par les parents et les élus qui les financent, les intervenants extérieurs, l’initiation à l’informatique, les langues vivants, etc… Un moment, il faudra faire des choix.
– Le défi majeur, qui est hors du temps, est de réussir ce pourquoi l’école a été créée dès la plus haute antiquité ( Sumer, IIIème millénaire av J.C. ) : apprendre à lire et à écrire à tous les enfants qui la fréquentent, c’est à dire maintenant l’ensemble d’une classe d’âge. Le niveau de maîtrise du lire et écrire doit être suffisant pour permettre des apprentissages ultérieurs. Selon les exigences, le niveau d’illettrisme des jeunes français varie de 1,5 % à 20 %, tout dépend de la mesure faite. Y a-t-il régression des compétences en la matière sur la longue période ? Difficile à dire faute de données fiables. Les lettres des poilus de 14-18 montrent que beaucoup d’entre eux se contentaient d’une écriture phonétique et un grand nombre faisait écrire par leurs camarades. Un circulaire de 1938 déjà citée, signale que la majorité des élèves des classes primaires ont une maîtrise insuffisante de la lecture. Sur la période plus récente, on note que le téléphone, l’image rendent l’écriture moins présente dans la société. Reste que le politique s’est emparé du débat et que les pages des journaux sont remplies de formules catastrophes sur l’état de l’Ecole…publique. Optimistes et pessimistes s’empoignent et des conflits politiques en cette période d’alternance utilisent l’argument de l’illettrisme pour critiquer certains aspects des gestions précédentes.
4 – Les débats :
Certains segments du système éducatif sont à un moment donné, plus que d’autres, objet de débats politiques et donc au premier rang de l’actualité. Le Ministre Allègre avait focalisé sur les lycées. Depuis, le débat s’est déplacé. Citons quelques points :
– Le collège dit unique peut-il devenir le collège pour tous ?
– L’enseignement professionnel classique, à plein temps, doit-il laisser une place plus grande à l’apprentissage ?
– L’orientation et la sélection dans le système éducatif fonctionnent-elles sur une base satisfaisante ?
– Comment réduire l’échec à l’université ?
– Comment intégrer l’éducation permanente et la formation initiale dans la formation tout au long de la vie ?
Derrière ces débats, on voit immédiatement les arrière-pensées, les enjeux : distribution des moyens, reproduction ou évolution des structures
Le débat politique sur l’éducation ne se réduit pas à des débats sur des points précis. Les positions des uns et des autres renvoient à des réponses à des questions plus fondamentales :
– Quelle est l’efficacité de l’Ecole dans les apprentissages qu’elle est chargée de conduire ?
– Quel est le rôle de l’Ecole dans l’éducation des jeunes : doit-elle se contenter d’instruire, doit-elle en outre former le citoyen, le consommateur, éduquer à la santé, participer aux grandes campagnes nationales, initier à la responsabilité, etc ?
– Que doit-on enseigner ?
– Quelle priorité pour l’éducation, par rapport aux autres tâches collectives : retraites, santé, défense, emploi, etc…et en question derrière, quels moyens accorder à l’école ?
La question des moyens et de leur efficacité est en passe de devenir la question centrale. Sur 50 ans, on a assisté à une augmentation importante des moyens par élève mis à la disposition du système éducatif. Dans le premier degré, comme dans les collèges et lycées ou lycées professionnels, le nombre moyen d’élèves par classe a chuté dans des proportions importantes. En 1960, dans l’enseignement du premier degré, il y avait 24,6 enfant par maître ; 16,5 en 1991 et 14,6 en 2001. Dans le second degré, pour les mêmes dates, le nombre d’élèves par professeur est passé de 23,2 à 12,7 puis à 11,2. Si on ajoute à cette amélioration de l’encadrement, la revalorisation de la fonction enseignante intervenue en 1990, il ne faut pas s’étonner que le budget de l’éducation Nationale soit devenu le premier budget de France, les frais de personnels représentant 87 % du budget. L’éducation Nationale est une entreprise de main d’œuvre ! Pour être complet, il faut ajouter que depuis la loi Deferre de 1982 relative à la décentralisation, les frais de construction, d’entretien, les crédits pédagogiques des collèges et lycées ne sont plus à la charge de l’état, mais à celle des Départements ( pour les collèges ) et des Régions ( pour les lycées ). Pour les écoles primaires, les mêmes frais sont à la charge des communes depuis la loi Guizot ( 1832 ).
De 1945 à 1990, il était entendu que pour augmenter l’efficacité de l’école, il suffisait de plus de moyens. Cette opinion est encore majoritaire parmi les parents d’élèves, les élus locaux, mais la question des rapports coût / efficacité prend maintenant davantage d’importance avec un clivage : les moyens sont maintenant suffisants versus des moyens supplémentaires pour quoi faire. L’affaire des surveillants et des aide-éducateurs illustre le propos.
Le Ministre actuel observe que depuis quelques années, le système éducatif ne progresse plus et que la tâche des enseignants devient de plus en plus difficile à accomplir. Il propose pour l’expliquer, une analyse de l’évolution des mentalités liée à une insuffisance de rendement de l’Ecole. Il faut donc lutter contre la » fracture scolaire » qui s’installe et améliorer le service rendu. Pour cela, il propose des actions autour de dix chantiers qu’il identifie :
– lutte contre l’illettrisme
– revalorisation de la voie professionnelle
– lutte contre l’échec en premier cycle universitaire
– lutte contre la violence
– intégration des handicapés
– engagement des jeunes
– formation des enseignants
– crise des vocations scientifiques
– décentralisation du système
L’avenir dira si son analyse est bonne et si l’efficacité des mesures proposées est au rendez-vous.
III – Quelques pistes à développer
On a vu qu’en France, éducation et politique avaient à voir ensemble et d’une manière forte. Il en résulte des télescopages. Le temps de l’éducation est le temps long, il faut regarder l’évolution des mentalités, des pratiques.
Par contre, le temps du politique est le temps court, un Ministre reste rarement plus de trois ans en place. Cela explique le nombre important de réformes qui se sont accumulées depuis 1958 et le scepticisme des usagers, des professionnels sur leur efficacité.
Un approfondissement de cette remarque serait intéressant. Il serait aussi utile de comparer la situation française avec celle d’autres pays, comme l’Allemagne, le Royaume Uni et d’autres, dans lesquels les adhérences entre politique et éducation sont moins fortes.