PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Blog Bleu Primaire – le 25 février 2014 :

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On parle beaucoup de résultats, de programme et de refondation, assez peu du cœur et du quotidien de la classe et de l’établissement, de ce qu’il s’y passe concrètement, de la manière dont on permet (ou pas) d’aider nos élèves à mieux apprendre, de la façon dont les équipes travaillent (ou pas) à se donner les moyens d’interroger collectivement le bien-fondé et l’efficacité de ses pratiques pédagogiques. Habile et ingénieuse posture, typiquement française que d’ignorer la poutre de la réalité en s’acharnant sur la paille des promesses qui n’engagent que les autres …

Pour réamorcer ce blog, je vous propose cet article rédigé pour le dossier Pisa, et après? du magazine Coté famille  paru dans la presse ce mois de février 2014. J’y suis interviewée par Laurent Rochut aux côtés de Pierre Frackowiak, inspecteur honoraire de l’éducation nationale et Maryline Baumard, journaliste au Monde dans le cadre de la parution des résultats de l’enquête Pisa.

L.R: Que faudrait-il mettre en œuvre pour que l’école retrouve une dynamique positive et dépasse le seul objectif des résultats?

On connait ce qui fonctionne, de nombreuses enquêtes sur les pratiques en France, en Nouvelle-Zélande, en Inde, en Finlande, en Allemagne et ailleurs mettent en exergue certains invariants que notre système éducatif connait mais a bien du mal à intégrer dans les actes alors qu’ils permettraient d’entrer dans une vraie logique de réussite et d’excellence:

Plus de coopération et d’intelligence collective là où nous fonctionnons majoritairement  sur le rendement individuel et la mise en compétition du travail. Nos élèves, dès l’entrée à la grande école, c’est à dire en CP sont placés les uns à côté des autres, chacun sa chaise, sa table, son livre, son cahier, sa copie, sa note, sa réussite, son échec. Parfois même, afin d’éviter toute collaboration fortuite, on leur demande de dresser des murs entre eux à l’aide de trousses empilées ou de classeurs posés verticalement…On ne leur apprend pas ou peu à travailler, penser et vivre ensemble les uns avec les autres, mais davantage à travailler, penser, et vivre  les uns à côté des autres et le plus souvent, chacun pour soi. Tout le système éducatif est fondé sur ce modèle hyper individualiste et curieusement, il faut attendre d’arriver en milieu professionnel, pour voir enfin s’inverser cette tendance. Et là, faute d’avoir été éduqués et instruits dans un esprit de coopération et d’émulation collective, on est obligé de faire intervenir dans les entreprises, des professionnels de la relation et de la coopération; on met en place des séminaires de team-building et tout cela pourquoi? parce qu’on sait que l’esprit d’équipe, le plaisir et le sentiment d’appartenance sont essentiels pour le dynamisme, l’efficacité et la performance! Mais si on le sait, pourquoi ne pas commencer dès le plus jeune âge?

Plus d’implication et de construction là où nous sommes encore dans un modèle très vertical, transmissif et applicationniste. Dans nos classes, les élèves sont assis toute la journée,  écoutent -en silence si possible- le savoir du professeur, lequel, par la magie des mots et de l’autorité qu’il incarne est sensé se transformer en savoir d’élève;  puis, pour vérifier que le savoir est bien passé du pôle enseignant au pôle élève, ces derniers sont invités à répéter, s’entraîner, exécuter, bien souvent seuls et en dehors du temps scolaire lequel, il faut le reconnaître reste davantage le temps de l’enseignant que le temps de l’élève, le temps de l’enseignement plutôt que celui de l’apprentissage. Les pratiques qui favorisent ce que les anglo-saxons appellent « l’empowerment » à savoir l’éducation au choix, la prise d’initiative, l’engagement, l’expérimentation par l’élève obtiennent de bien meilleurs résultats tout simplement par ce qu’apprendre requiert la mobilisation de toutes les facultés qu’elles soient intellectuelles, psychologiques, sensorielles, sociales, motrices. Donnons plus de temps et d’espace à nos élèves pour s’impliquer, construire et apprendre,  travaillons davantage à développer des contextes d’apprentissages nourriciers et éclosifs et nos élèves apprendront mieux…

Plus de bienveillance et de feed-back positifs, vis à vis du travail, là où dans notre système, nous sanctionnons trop souvent en négatif, sur des performances à réaliser ou des lacunes à combler au lieu d’accompagner les apprentissages en cours, valoriser les progrès effectués et donner du sens à la marge de progression à parcourir. Pour apprendre, il faut du temps, il faut se sentir en sécurité psychique et intellectuelle, il faut se connaître pour comprendre comment on fonctionne, il faut pouvoir considérer sereinement la place et le rôle de l’erreur, non comme la preuve d’un dysfonctionnement intellectuel, mais comme une partenaire centrale, essentielle et nécessaire pour comprendre, découvrir et avancer. Peu de place est donnée aux évaluations formatives, à la régulation des apprentissages, à l’analyse des erreurs par les élèves, à la recherche, à la formalisation par les élèves eux-mêmes de démarches et d’outils de compréhension. En France, nous nous focalisons essentiellement sur le contrôle final chiffré des résultats qu’on appelle également évaluation normative ou certificative. Le décomptage se fait exclusivement à partir des erreurs. 1 erreur =  x point négatif. Peu importe, par ailleurs, ce qui a été réussi, cela ne compte guère et permet rarement de gagner en positif. Notre système éducatif ne compte en général qu’en moins et à partir de 10 ou de 20. Prenons un exemple: soit une dictée notée sur 10, et un barème de 2 points en moins par faute. Au bout de 5 erreurs, l’élève aura 0/10 , et sera catalogué comme nul, même si par ailleurs sa dictée comptabilise 20 mots correctement orthographiés sur 25…curieuse manière d’évaluer les compétences acquises tout de même.

Une liberté pédagogique accrue quant aux choix des programmes, là où nous nous évertuons à vouloir faire entrer, par année et par classe d’âge, une liste préfabriquée d’items et de notions désincarnées et sans lien réels avec les besoins spécifiques des élèves. Sous prétexte d’égalité nationale, on en oublie les particularités territoriales, les priorités locales, les besoins propres à chaque groupe classe, de chaque élève. Sous prétexte d’obligation d’instruction, on a inventé un système unique pour tous, avec un programme national, des inspecteurs missionnés pour veiller au respect des injonctions nationales et des éditeurs scolaires chargés de paginer, jour après jours les progressions et les notions à aborder. Enseigner se résumerait donc à suivre le sommaire, le segmenter en périodes, elles mêmes découpées en séquences, elles-mêmes organisées en séances sous-compartimentées en objectifs principaux et secondaires…C’est peut-être comme cela qu’on enseigne, mais ce n’est certainement pas comme cela qu’ils apprennent. Dans les équipes qui s’emploient moins à enseigner mais davantage à donner les moyens d’apprendre, on s’aperçoit que l’essentiel de l’énergie est focalisée, non pas sur les programmes, mais sur les besoins des élèves et sur la mise en œuvre de stratégies obligeant à emprunter des chemins et des pratiques créatives et innovantes orientées vers la réussite des élèves et non vers le bouclage du programme.

Des professeurs solidement formés, recrutés par les établissements et engagés dans un processus de développement professionnel tout au long de leur vie, là où chez nous les enseignants sont à peine -voire pas du tout- formés à la pédagogie, affectés ici et là, de manière purement administrative, sans engagement réciproque ni désir mutuel de travailler autour d’un projet explicite et commun. En France, seul un pourcentage minime d’enseignants est investi dans la formation continue, ce qui constitue un frein majeur au développement des compétences professionnelles et collectives. Pourtant, de nombreuses enquêtes sur les pratiques le démontrent, les équipes qui travaillent dans une logique d’organisation apprenante sont des équipes qui accompagnent plus efficacement les élèves et développent chez les enseignants le sentiment de valorisation personnelle et professionnelle.

L.R: Il y a un réflexe corporatiste, parfois, qui consiste à mettre l’étude PISA en accusation, ou pour le moins à lui trouver des limites. Selon vous, qu’est-ce que l’étude ne dit pas ?

Pisa n’est pas une étude, c’est un contrôle à un moment T du niveau des élèves d’une même tranche d’âge, dans un certain nombre de pays et dans certains champs disciplinaires. Cela peut avoir son intérêt, et il n’y a aucune accusation à porter sur ce genre de données. Ce qui constitue à mon sens un danger, c’est l’utilisation et la récupération politique et médiatique qui en est faite derrière. Pour que ces données soient appréciables, il convient d’aller plus loin et de se pencher sur le pourquoi du comment si nous voulons en tirer un réel bénéfice. Pisa ne montre rien par exemple des pratiques pédagogiques ni de l’histoire particulière de chaque pays. Il serait pourtant intéressant de questionner par exemple les valeurs sociétales et humaines véhiculées dans tel ou tel système et incarnées par telle ou telle approche pédagogique. Un système éducatif ne peut juste se penser en terme d’objectif de résultats, même si cet aspect reste capital pour la bonne santé économique et sociale d’un pays. Nécessaire donc, mais non suffisant. La question des finalités demeure essentielle. Quels enfants formons-nous? Comment, par qui, et pour quel monde? Finalité, valeur et efficacité sont les trois grands pôles qui sous-tendent la vitalité d’un système éducatif. Négliger un des axes conduit inévitablement à un déséquilibre tant organique que fonctionnel.

L.R: Il y a 3 ans, déjà, la France obtenait des résultats médiocres à l’étude précédente. Le précédent ministre de l’Éducation nationale s’en est servi pour justifier ses réformes. L’actuel ministre procède à l’identique en justifiant la Réforme des programmes qu’il a mise en chantier. Remédier aux mauvais résultats du système éducatif français, est-ce vraiment une affaire de programmes ?

Remédier à la mauvaise santé du système éducatif français réclame un diagnostique et des remédiations d’ordre systémique, tant endogènes qu’exogènes. Ce n’est pas qu’une affaire de programme, et ce n’est pas que l’affaire de l’école…il faut également se pencher sur d’autres dossiers tels que la formation des enseignants, leurs possibilités d’évolution professionnelle, la stabilité des équipes en place, la nomination des enseignants, tout ce qui relève en fin de compte des ressources humaines, mais aussi mieux se pencher sur ce qui permet aux élèves de mieux apprendre, à savoir les rythmes d’apprentissages, sur la journée, la semaine mais aussi sur l’année entière, le système de notation, l’inclusion des enfants à besoins éducatifs particuliers, l’accompagnement de ces derniers au sein des structures scolaires, l’orientation positive et choisie des élèves, le lien entre le monde scolaire et les partenaires externes, l’organisation des parcours curriculaires aujourd’hui trop pyramidale et verticale, les finalités éducatives visées et les moyens mis en œuvre pour y parvenir, la valorisation des innovations, etc. Tout est relié. Une réforme en profondeur ne se fait ni en 100 jours ni en 5 ans. Il faut de la continuité dans l’alternance, de la solidarité dans les efforts à fournir, de la coopération collective, et surtout, de l’exigence éthique permettant de dépasser les chamailleries et postures politiques si nuisibles à la sérénité de tous. Un Ministre de l’éducation apolitique, externalisé et non soumis aux turbulences gouvernementales pourrait être une solution…avis aux amateurs!

En bref, et pour résumer les éléments qui participent du bon fonctionnement et de la vitalité d’un système éducatif: plus motivation, plus de coopération, moins de notes, moins de stress, des professeurs solidement formés, recrutés autour d’un projet et engagés dans un processus de développement professionnel, plusieurs enseignants spécialisés affiliés à plein temps à un groupe scolaire, des classes ouvertes avec des élèves mobiles et pilotes de leur trajectoire scolaire, des établissements pensés comme des organisations apprenantes, une liberté pédagogique accrue quant aux choix des programmes et un accompagnement spécifique au sein des structures pour les enfants à besoins éducatifs particuliers, plus d’ouverture sur l’extérieur et de relations avec les familles, moins de verticalité, plus de polyvalence professionnelle, moins de turbulences politiques, plus de cohérence, plus de liens, plus de sens, plus de plaisir…

Refondation? Allez, allez, au travail!

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