Sollicité par le Café pédagogique, Philippe Meirieu réagit aux déclarations de Vincent Peillon. Tout en soulignant « le renversement salutaire de perspective » initié par le nouveau ministre, P. Meirieu invite à réagir à la « désinstitutionalisation galopante » et à la montée de l’individualisme en éducation. :
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EXTRAIT
"C’est pourquoi je crois que, pour bien « refonder », il nous faut identifier, au-delà des constats largement partagés sur les échecs de l’école, les problèmes majeurs auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. J’en pointerai ici deux, parmi les plus importants : d’une part, une désinstitutionalisation galopante et, d’autre part, une montée de l’individualisme – sous couvert d’ « individualisation » – associée à l’hégémonie d’un contrôle technocratique – qui permet, en l’absence de projet commun, de contenir l’explosion des intérêts individuels.
Notre École, en effet, n’est plus vraiment une « institution »… et là où elle « tient » encore c’est essentiellement parce que l’acharnement des personnes – militants pédagogiques ou cadres éducatifs – vient pallier le déficit institutionnel. Quand elles se découragent ou manquent à l’appel, le cadre organisationnel de l’École – comme son caractère de « contenant psychique » – s’effondre, nos bâtiments scolaires n’hébergent plus qu’une juxtaposition de séquences fragmentaires sans cohérence entre elles, sans véritable encadrement par des équipes d’adultes solidaires, sans construction de normes communes, sans rituels structurants, sans projet unificateur assumé. Dans cette situation de désagrégation du collectif, l’injonction à la formation à la « citoyenneté » et au « vivre ensemble » ne porte guère… car le « vivre ensemble » n’est qu’illusion – ou régression fusionnelle – tant qu’il ne s’articule pas – comme toute la tradition de l’Éducation populaire l’a montré et répété – sur un « faire ensemble ». Cette « évidence » des pédagogies coopératives et institutionnelles est à tel point oubliée que « la vie scolaire » devient aujourd’hui une sorte de « domaine séparé » et que l’injonction à la « formation à la citoyenneté » peine à se concrétiser dans le quotidien des apprentissages. Prendre la mesure de cette désinstitutionalisation et proposer les moyens structurels de la combattre est une exigence de toute « refondation ». En ce sens, la recréation d’un « conseil national de l’innovation » ne saurait suffire : ce ne sont pas simplement quelques établissements « expérimentaux » qui doivent comporter des groupes d’élèves à taille humaine, encadrés par des équipes d’adultes solidaires avec des activités différenciées, mobilisatrices et exigeantes… ce sont tous les établissements scolaires."