In Le Progrès – le 18 novembre 2013 :
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Quelles sont les avancées de la loi de refondation de l’école ?
Elle a remis l’école au cœur du débat public. Nous étions dans une sorte de léthargie éducative. Elle a permis de remettre l’école au cœur de notre démocratie. Certaines mesures, comme le dispositif « plus de maîtres que de classes », la mise en place d’un parcours artistique et culturel, la systématisation de la découverte des métiers sont de bonnes avancées.
Et les lacunes ?
Certains points demeurent problématiques. En ce qui concerne la formation des enseignants, le concours reste au milieu des deux années de master, avec le danger de la juxtaposition d’une année de bachotage et d’une année de stage. De plus, on n’accorde pas suffisamment de place à la réflexion pédagogique et il n’y a aucune impulsion significative en matière de formation continue. Et puis, alors qu’on parle de refondation – c’est un mot très fort -, on ne touche pas aux deux vaches sacrées qui structurent le système : d’une part, la classe homogène avec l’illusion que tous les élèves peuvent toujours faire la même chose en même temps et la marginalisation de l’entraide et la coopération entre élèves de niveaux différents. D’autre part l’évaluation et le bac, avec un système dans lequel on accepte sans sourciller qu’un 13 en physique compense un 7 en français !
Pourquoi ces statu quo ?
La concertation qui a précédé la loi est restée très institutionnelle. Il y a eu peu de place pour les propositions innovantes. Avec un écart important entre le discours du ministre, prônant l’audace, et la méthode qui est restée celle de l’aménagement de l’existant. La promesse de la refondation n’a pas été tenue. On ne s’interroge pas sur les finalités de l’école, on ne remet pas en cause les modèles pédagogiques traditionnels, le système de compétition et d’évaluation, alors que ce sont que des modalités historiques largement dépassées, nullement des choses immuables. Il me semble que les gestionnaires ont finalement pris le dessus sur visionnaires.
Mais le changement provoque des résistances. La réforme des rythmes le montre…
Rappelons que c’est Xavier Darcos qui a supprimé une demi-journée de classe, à la hussarde, avec une relative complicité de l’opinion publique. C’est difficile, ensuite, de revenir en arrière. Le ministre a eu ce courage, mais le décret est maladroit et trop restrictif. On sait, en effet, que le mercredi n’est pas la meilleure solution si on veut vraiment une semaine équilibrée. C’est la coupure du week-end qui est très nocive : les enfants se couchent tard le vendredi, le samedi et le dimanche et commencent la semaine fatigués. En ajoutant le mercredi, les enfants sont encore plus fatigués. Par ailleurs, les plages horaires quotidiennes de 45 minutes confiées aux municipalités ne permettent pas d’organiser des activités éducatives de qualité. Il y avait bien d’autres possibilités qui ont été trop vite écartées. Et puis, on s’est focalisé sur le temps, indépendamment du contenu des activités, de l’articulation pédagogique entre scolaire et périscolaire.
Mais il y a aussi des difficultés financières…
Même si le ministre a promis de reconduire le fonds d’amorçage, l’écart risque de se creuser entre les municipalités. Je milite depuis longtemps pour un système de péréquation qui permettrait de doter les écoles de manière équitable.
Certains maires refusent d’appliquer la réforme. Qu’en pensez-vous ?
Tout simplement qu’en République ce n’est pas possible ! La loi doit être respectée. L’Etat ne doit pas pour autant les sanctionner mais les aider. Il me semble qu’un nouveau décret, plus souple, avec des ouvertures significatives, pourrait apaiser la situation et permettre de préparer une rentrée 2014 sereine, avec de véritables concertations.
On parle du départ de Vincent Peillon…
Ce serait un très mauvais signal. L’Education nationale n’a pas besoin d’un soubresaut supplémentaire. Il faut mener à bien la réforme des rythmes et poursuivre la refondation en l’amplifiant. Avec une vraie mobilisation pédagogique.
Vous semblez considérer que c’est une nécessité ?
Oui. Ce qui fatigue un enfant, c’est l’échec. Si on ne rénove pas en profondeur les méthodes pédagogiques, on ne changera pas le rapport de l’enfant à l’école. Toutes les modifications de l’institution peuvent tomber à plat face à un élève qui continue à croire qu’apprendre c’est souffrir. Il faut montrer à un élève qu’il y a un vrai plaisir à se « prendre la tête » alors que toute la société l’exhorte plutôt à la facilité et à « prendre son pied » . Le vrai problème, c’est de montrer qu’on peut avoir davantage de plaisir dans l’apprentissage que dans la satisfaction de ses caprices, que ce soit par la télé, les jeux vidéo, la consommation et toutes les prothèses que la société met à disposition de ses enfants.
Cela dépasse une réforme de l’école…
C’est le statut des savoirs et de l’apprentissage qui est en jeu. Cette question interroge toute la société : parents, enseignants, politiques, médias, industriels… Car c’est toute la société aujourd’hui qui dévalue la pensée au profit de la pulsion…
L’affaire Léonarda a fait réagir les lycéens. Qu’en pensez-vous ?
L’école doit rester un lieu protégé. Pas d’exclusion, pas d’humiliation, pas de maltraitance. Ce qui prime, c’est le droit à l’éducation, inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant. La France doit respecter ce droit pour tous les enfants sur son territoire. Les lycéens l’ont rappelé avec générosité. Ils n’auraient sans doute pas demandé mieux – et moi aussi ! – que de descendre dans la rue pour soutenir le gouvernement dans sa lutte contre le pouvoir de la finance, pour la taxation des plus-values et un impôt plus juste. Mais nous n’avons pas eu l’occasion de le faire, malheureusement…
Vive l’utopie ?
Je m’assume comme délibérément utopique et je crois que nous avons besoin de l’utopie comme boussole. Mon utopie de référence est l’écologie politique : je crois que, face à un monde fini que nous avons déjà trop longtemps pillé, les seules ressources infinies sont celles des humains, dès lors qu’on mise sur l’éducation et la formation.
Vous êtes déçu du monde politique ?
J’ai mis les mains dans le cambouis et j’ai mesuré la difficulté de l’exercice. Mais j’aimerais bien qu’un plus grand nombre d’intellectuels consacrent une partie de leur temps à faire de la politique plutôt que faire la cour aux politiques. Aujourd’hui, l’existence de « politiques professionnels », qui y consacrent toute leur vie, est l’un des éléments majeurs de la crise de confiance en la démocratie. C’est pourquoi je ne regrette rien, bien au contraire : je vais terminer, en 2015, mon mandat à la Région Rhône-Alpes, et j’essaie, d’ici là, de mener à bien des chantiers essentiels sur la formation des demandeurs d’emplois, sur les décrocheurs, sur l’apprentissage. C’est parfaitement en cohérence avec ce sur quoi je travaille depuis bien longtemps : ne laisser personne au bord du chemin, redonner à chacun et à chacune sa chance en dépit des accidents de son histoire. Après, pour l’avenir, je verrai la façon dont je pourrai être le plus utile.