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La question des devoirs à la maison est, comme on vient de le voir après l’appel lancé par la FCPE avec un mouvement pédagogique, extrêmement sensible. Elle suscite plus que de l’intérêt : de véritables passions. C’est qu’elle est touche, tout à la fois, à l’institution scolaire – par définition distanciée des intérêts individuels – et à la famille – bien légitimement préoccupée de l’avenir singulier de ses propres enfants. Elle articule une dimension publique – celle d’une école pour toutes et tous – et une dimension privée – celle de la construction par chaque enfant, avec ses parents, de sa trajectoire personnelle. Elle interroge le rôle respectif des enseignants – transmettre démocratiquement des savoirs – et celui des parents – accompagner particulièrement leurs enfants et veiller sur leur avenir…
Aussi, pour tenter d’avancer sur cette problématique, il convient de poser quelques jalons stabilisés, comme autant de thèses offertes au débat et pouvant servir d’objets de discussion entre parents et enseignants aussi bien dans le champ scolaire que dans le champ politique…
- La question des "devoirs à la maison", en particulier à l’école primaire, pose, d’abord, un problème d’équilibre de vie pour l’élève. Alors que chacun s’accorde sur le fait que les journées de travail scolaire sont trop longues, que les élèves sont fatigués et manquent de sommeil, il n’est pas très raisonnable d’en rajouter… au risque d’accroître l’échec contre lequel on cherche à lutter. Il convient donc de travailler sur l’équilibre des journées et, plus globalement, de l’année scolaire afin de permettre un développement harmonieux de l’enfant.
- Au collège et au lycée, cette question renvoie à l’hégémonie du travail scolaire dans l’emploi du temps de certains enfants : alors que beaucoup d’élèves, effrayés par tout ce qu’ils ont à faire, peinent à se mettre au travail, se dispersent dans une infinité d’activités ou devant une multitude d’écrans, d’autres, scrupuleux, s’efforcent de faire tout le travail qu’on leur donne… au risque de ne plus avoir le temps de lire, de faire du sport, de participer à des activités collectives. Il convient donc d’être mesuré et de travailler, entre professeurs et avec les familles, sur la manière de favoriser l’investissement des élèves, de manière équilibrée, entre toutes les activités nécessaires à la construction de leur personnalité. Il n’est pas possible que "chacun tire de son côté", sans réflexion globale et au détriment de l’élève.
- Dans tous les cas, le travail scolaire à la maison pose la question de la nature de ce qui est demandé à l’élève en dehors de la classe et du rôle de l’école et des parents dans l’acquisition des méthodes de travail. En effet, quel que soit le travail en question (devoir ou leçon), il n’est pas possible de s’en remettre à une capacité innée ou à l’aide des familles (particulièrement inégalitaire). Apprendre un poème, faire une narration ou une dissertation, rédiger un compte rendu, dessiner une carte… tout cela n’est pas inscrit dans les gênes. Donc, ou bien, du temps est pris en classe pour apprendre concrètement à réaliser cela, ou bien on renvoie à l’inégalité des accompagnements familiaux ou des structures d’aide extrascolaire. Et, en externalisant ainsi ce qui est déterminant pour la réussite scolaire, on compromet la vocation démocratique de l’école. Il convient donc, pour le moins, d’afficher un principe fondamental : tout ce qui est proposé comme travail personnel "à la maison" doit avoir fait l’objet d’un apprentissage méthodique en classe sous le contrôle de l’enseignant. Et cela, à tous les niveaux et à tous les âges. L’école doit apprendre aux élèves à travailler et ne pas les assigner à une écoute plus ou moins active, avant de les envoyer "faire leur travail" ailleurs… Au risque de se comporter comme un professeur d’éducation physique qui dicterait en cours les règles du basket et donnerait le match à faire à la maison !
- Plus globalement, l’éducation consiste, bien sûr, à aider l’enfant à accéder à l’autonomie, à la capacité de travailler tout seul. « Aide moi à faire tout seul », disait la pédagogue Maria Montessori. Cela nécessite, tout à la fois, un travail en classe (cette autonomie doit faire l’objet d’une formation sous l’œil vigilant du maître qui « met l’élève au travail ») et un travail à l’extérieur de la classe qui permette à l’élève de réutiliser seul et à sa propre initiative ce qu’il a appris. Dans ce cadre, et dès lors que c’est strictement préparé, encadré et régulé, le « travail à la maison » (on devrait dire, en réalité, « le travail hors de la tutelle de l’enseignant ») est une composante nécessaire de l’éducation. Mais il doit pouvoir s’effectuer sans mettre à mal les équilibres de vie fondamentaux.
- Enfin, il faut bien reconnaître que la demande de "travail à la maison" émane souvent des parents eux-mêmes. Cette demande doit être entendue. Si elle signifie, de leur part, qu’à leurs yeux, l’essentiel de la réussite scolaire se joue en dehors de la classe, les enseignants et l’Education nationale doivent se poser sérieusement la question du sens de leur investissement individuel et collectif. Si elle signifie qu’à travers le "travail à la maison", les parents souhaitent pouvoir regarder de près la progression de leur enfant, surtout quand ils sont jeunes, cette demande doit être comprise comme un déficit d’outils et de situations de communication… et cela doit susciter une interrogation sur la place des parents à l’école, sur la nécessaire "continuité éducative" et sur les conditions d’une véritable "co-éducation".
Au total, la question du travail à la maison est, on le voit, loin d’être anecdotique. C’est un enjeu fondamental, social et politique. Il faut savoir gré à ceux qui l’ont soulevée à nouveau aujourd’hui de l’avoir rappelé… et espérer que cette question fera l’objet de débats constructifs à l’avenir entre des partenaires – Education nationale, parents, enseignants, collectivités territoriales – qui doivent construire ensemble "l’école de la réussite de tous"."