In Telos – le 4 mars 2013 :
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L’échec scolaire est une des plaies de la société française. Il se maintient, dans notre pays, à un niveau élevé : pas loin d’un jeune sur cinq termine ses études initiales sans diplôme. Les enquêtes PISA montrent que les performances de base, en lecture notamment, des élèves les plus faibles ont encore diminué ces dernières années. Quelles sont les causes identifiables de cette persistance de l’échec scolaire et quelles pistes peut-on explorer pour espérer le réduire ?
Les effets de l’échec scolaire, il faut le rappeler, sont délétères. Tout d’abord, bien sûr, parce que les jeunes non qualifiés ont les plus grandes peines à trouver un emploi. Le travail non qualifié s’est déplacé du secteur industriel vers celui des services et notamment des aides à la personne, la petite enfance, les personnes âgées…. Mais dans ce domaine, plus que dans d’autres sans doute, peu qualifié ne veut pas dire sans compétences. S’occuper d’une personne âgée par exemple, suppose acquises certaines connaissances de base – savoir lire le mode d’emploi d’un médicament par exemple – mais aussi des compétences relationnelles, un savoir-être, globalement des compétences « sociales » dont beaucoup de ces jeunes sont malheureusement dépourvus. Il y a là un enjeu fondamental pour l’école dans les années à venir.
Deuxième conséquence de l’échec scolaire, il atteint profondément la confiance que ces jeunes ont en eux-mêmes, la confiance qu’ils ont dans leurs capacités, l’estime d’eux-mêmes, et la confiance qu’ils ont dans les institutions, puisque la première d’entre elles à laquelle ils ont affaire, l’Ecole, les décrète incapables d’exercer un métier. Cela crée évidemment un profond ressentiment, il suffit d’entendre ce que disent ces jeunes sur l’orientation pour en mesurer la portée.
L’école française a réussi la massification sans réussir la démocratisation, c’est-à-dire sans réviser les contenus et les méthodes d’enseignement pour les adapter à un nouveau public. L’enseignement à la française est trop académique, les méthodes pédagogiques trop verticales, l’emploi du temps trop chargé, le classement trop précoce et trop présent. Cette conception de l’enseignement découle d’une culture scolaire qui vise d’abord à sélectionner les meilleurs pour les orienter vers les filières d’excellence à la pointe desquelles se trouvent les grandes écoles. Elle provient aussi du rôle du diplôme dans les classements sociaux en France. L’école est conçue d’abord comme un grand instrument de tri social qui donne à certains leurs lettres de noblesse et qui menace de déclasser les autres. Dans un tel système les non diplômés deviennent des parias.
Sortir de l’école élitiste pour tenter d’aller vers l’école qui vise la réussite de tous, c’est évidemment une révolution culturelle qu’il sera très difficile d’enclencher. Difficile parce que tous les acteurs, les familles, les jeunes eux-mêmes, l’administration de l’Education nationale, les professeurs, tous participent à ce système. Du côté des « usagers », il est frappant de voir d’ailleurs, combien sont fortes les résistances au changement. La défiance globale à l’égard des institutions se combine à une mentalité de « débrouille individuelle » où chacun espère tirer son épingle du jeu, ce qui crée des réflexes conservateurs. Seuls les plus défavorisés des jeunes sont perdants à tout coup, mais ils s’expriment peu et n’ont pas de représentant légitime qui parlerait pour eux.
Cette école de la réussite de tous n’est pourtant pas une utopie si on sort d’un faux égalitarisme qui dessert finalement ceux qu’il est censé servir : les élèves ont des capacités et des aspirations différentes, mais chacun doit et peut réussir à son niveau, dans son domaine et l’excellence peut se trouver à tout niveau et dans tout domaine.
Quelles pistes sont envisageables pour aller dans ce sens ?
1) Alléger l’emploi du temps des élève, un des plus lourds en Europe dans le secondaire, et prendre en compte la transmission des compétences sociales, pas seulement des connaissances académiques : savoir travailler en équipe, savoir communiquer et interagir avec les autres, apprendre à être consciencieux dans son travail, contrôler ses émotions, respecter les règles de la vie collective, ces compétences sont tout aussi importantes pour la réussite que les connaissances académiques. Or traditionnellement, l’école en France considère que c’est aux familles de les transmettre. Malheureusement, ce qui peut être désagréable à entendre mais est une réalité, cette transmission se fait mal dans les familles les plus défavorisées ce qui engendre, dès le plus jeune âge, une inégalité des capacités devant les exigences scolaires. Jusqu’à présent l’école s’est contentée de prendre acte de ces différences en les sanctionnant par l’évaluation académique. Elle n’a pas cherché à les réduire en prenant à son compte la transmission des compétences sociales qui favorise la réussite. De timides expériences ont été faites avec le socle commun de connaissances et de compétences au collège qui intégrait cette préoccupation. Mais la mise en place a été décevante et a rencontré beaucoup de résistances, faute sans doute d’un soutien politique fort de l’administration centrale et d’un travail de conviction des enseignants.
2) Réduire et revoir le rôle du classement scolaire qui n’existe pas avant le collège dans beaucoup de pays. C’est important parce que le classement précoce, ce qui est différent de l’évaluation, génère la peur et peut porter atteinte à l’estime de soi s’il est appliqué de façon brutale.
3) Repenser les méthodes d’enseignement en introduisant des méthodes plus horizontales, sollicitant plus la participation des élèves et le travail en groupe, instaurant plus de symétrie entre les élèves et les professeurs et étant plus en prise avec la société réelle
4) Expérimenter une organisation qui donne plus d’autonomie aux établissements dans la gestion de leurs programmes et le recrutement de leurs professeurs. Les travaux de l’OCDE ont montré que l’introduction de cette autonomie était favorable à la réussite des élèves. Aux Etats-Unis, Barack Obama a lancé un programme ambitieux, les « charter schools », qui donne une grande liberté aux établissements dans les zones les plus défavorisées. Des expérimentations ont été faites en France avec le programme « Eclair » ; il faut les poursuivre et les évaluer
5) Renforcer la formation des professeurs dans le domaine des méthodes pédagogiques. Cet enseignement représente dans beaucoup de pays ayant de bons résultats scolaires la moitié du temps de formation des enseignants.
Tout cela suppose au fond de redéfinir assez profondément le métier de professeur. Ce rôle ne peut plus se réduire à la transmission des connaissances académiques. Sans y renoncer, l’enseignant moderne devrait être aussi un pédagogue bien formé qui, comme on le dit dans le nord de l’Europe, « apprend à apprendre ». Il faut espérer que le projet de « refondation de l’école » que porte l’actuel ministre de l’Éducation nationale s’inspire de ces principes. Mais on peut regretter que l’on ait cédé d’emblée et sans contrepartie à la rhétorique des « moyens » qui conduit, dans l’esprit des principaux syndicats d’enseignants, à réduire la question de l’école à du « plus » – de postes, de moyens financiers – plutôt qu’à du « mieux » – repenser son rôle pour s’adapter à un nouveau public.