In L’expresso – le Café Pédagogique – le 9 septembre 2013 :
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La charte de la laïcité est-elle une réponse de gauche à une question française ? En convoquant trois ministres, un président de l’Assemblée nationale, celui du Conseil économique, social et environnemental, de hautes personnalités comme Robert Badinter, la publication de la charte de la laïcité, le 9 septembre, est traitée par le gouvernement comme un événement politique majeur. Quel contenu pour ce texte ? Quelles intentions dans sa rédaction ? Quelle histoire aussi dans l’institution scolaire ?
Que dit la Charte de la laïcité ?
Le texte final, dévoilé par le ministère le 8 septembre, est quasiment identique à celui que le Café pédagogique a publié le 12 juillet. Seul l’article 1, qui faisait préambule et qui n’évoquait pas les compétences, a été retiré. L’ordre des articles a été légèrement modifié pour arriver à 15 articles au lieu de 17. La charte affirme quela laïcité "permet l’exercice de la liberté d’expression des élèves". Elle fixe le principe de stricte neutralité des enseignements : "les personnels ont un devoir de strictes neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leurs fonctions". Elle pose le principe que "nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’Ecole de la République… Aucun élève ne peut ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme".
Un texte libérateur ?
Vincent Peillon insiste sur le coté libérateur du texte. " La laïcité doit permettre à chacun de s’émanciper, de s’épanouir et de trouver sa propre liberté", déclare-t-il au Journal du Dimanche le 8 septembre. " Plutôt qu’une arme et une défiance, voyons (la laïcité) comme un pacte de confiance où chacun d’entre nous accepte qu’il y ait un espace commun dans lequel nous devons réserver un certain nombre de nos opinions personnelles, et où en contrepartie personne ne doit être inquiété pour une opinion, une croyance ou une appartenance. La laïcité libère, mais elle garantit et protège aussi… La laïcité libère, elle n’opprime pas. La laïcité respecte, elle ne stigmatise pas. La laïcité pacifie, elle ne brutalise pas ". Pour Jean-Louis Auduc, spécialiste de la question, " c’est bien d’avoir un texte qui montre la laïcité au quotidien et qui insiste sur le fait qu’elle est un outil de liberté. D’ailleurs ce mot est celui qui revient le plus souvent dans la charte. Cette charte casse l’image réductrice d’une laïcité d’interdiction et met en avant la liberté de conscience, de la personne, l’enjeu de la culture commune et partagée. La charte est bien équilibrée entre les 3 principes de la laïcité : la primauté de l’Etat avec ses programmes d’enseignement, la liberté de conscience et d’expression, l’égalité de traitement des croyances et des incroyances."
Un accompagnement pédagogique
Le ministre a annoncé qu’une circulaire demandera aux directeurs et chefs d’établissement de mettre en oeuvre autour de la charte "une pédagogie de la laïcité". " Un texte de commentaire de la charte, article par article, sera disponible pour aider les professeurs, les CPE, les chefs d’établissement à se l’approprier. J’ai par ailleurs demandé à ce que ces notions soient enseignées dans les nouvelles écoles du professorat et de l’éducation, et un module numérique à destination des professeurs est en cours de finalisation." On s’achemine vers la publication d’un kit pédagogique et la mise en place d’un module de formation initiale. Jean-Louis Auduc trouve cet effort insuffisant. " On a eu dans le passé une charte de la citoyenneté dont les personnels ne s’étaient pas emparés. J’espère que le ministre lancera une grande action de formation dans les semaines qui viennent auprès des professeurs principaux. Le ministre a annoncé un kit pédagogique de complément. Il faut aussi des réunions où on donne des indications, où on présente le kit. Il ne faut pas se limiter à l’envoyer si l’on veut une véritable appropriation".
Un sujet éminemment politique
C’est que la question de l’enseignement des valeurs morales à l’Ecole a fait un grand retour ces dernières années. Qui a dit : " Dans un contexte d’évolution constante des comportements individuels et des usages sociaux, il appartient plus que jamais à l’École, par la voix et l’exemple de ses maîtres, d’asseoir les bases d’un exercice bien compris de la liberté individuelle au sein de la société." Ce n’est pas Vincent Peillon. C’est Luc Chatel en 2011. Le retour de la morale à l’Ecole est devenu un sujet constant des derniers ministres de l’éducation nationale. Chatel comme Peillon se défendent d’ailleurs d’un retour à la morale de grand papa. " Il s’agit avant tout d’aider chaque élève à édifier et renforcer sa conscience morale dans des situations concrètes et en référence aux valeurs communes à tout « honnête homme»", disait Chatel en évoquant l’instruction morale. " La morale laïque, cela n’a rien de vieillot", nous disait Vincent Peillon en 2012. "Il ne s’agit pas de réciter des préceptes ou d’ânonner des maximes, mais d’enseigner la liberté, de réfléchir au sens de la vie". Ces idées on les retrouve dans la loi d’orientation adoptée en juillet 2013. " L’enseignement de la morale laïque, tout comme l’instruction et l’éducation civiques, participe de la construction d’un mieux-vivre ensemble au sein de notre société. Ces enseignements visent notamment à permettre aux élèves d’acquérir et de comprendre l’exigence du respect de la personne, de ses origines et de ses différences, mais aussi l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que les fondements et le sens de la laïcité, qui est l’une des valeurs républicaines fondamentales". C’est dans ce contexte que V. Peillon publie sa charte. Dans une France en mal de repères et de valeurs communes, l’enseignement des valeurs à l’Ecole a été d’abord une réponse de droite. Elle est maintenant reprise par la gauche. Mais à sa façon.
François Jarraud