Pour G Fotinos, la récente circulaire sur la généralisation des projets éducatifs territoriaux marque la fin d’une ambition. Il revient à partir de cet exemple sur l’apparition de l’idée d’éducation partagée et son évolution ces 30 dernières années..
Le ministère vient de publier au Bulletin officiel du 1er Janvier une circulaire sur la généralisation des projets éducatif territoriaux. Qu’en pensez-vous ?
Une lecture rapide peut laisser penser que c’est un texte banalement administratif qui répète et actualise ce qui a déjà été écrit en 2013 .Texte d’incitation qui s’ajoute à une petite dizaine de textes abordant ce sujet en moins de 3 ans. Pourtant à y regarder de plus près ce document marque la fin de la « renaissance » de la politique de l’Aménagement du temps scolaire (appelée de façon impropre mais médiatique « rythmes scolaires ») conçue comme un des leviers pour changer l’école.
Pour moi la phrase clé de ce texte qui autorise cette analyse et la justifie est : « la cohérence entre le programme d’activité périscolaire et les projets d’école sera recherchée ; à cette fin les directeurs d’école doivent être consultés, le conseil d’école (dans le cadre du projet d’école) donne son avis ». En contrepoint et marquant encore plus l’éloignement du pédagogique et de l’éducatif les activités « garderie » et « espace ludique surveillé » (non je n’invente pas !) sont labellisées « activités périscolaires ».
Face à ces instructions il paraît urgent de rappeler que les objectifs d’une nouvelle organisation du temps scolaire fixés par les ministres (il n’y pas si longtemps) -qui s’appuyaient sur une rafale de rapports convergents- étaient de participer à la réponse à deux tristes spécificités de l’école française : une école qui réussit de moins en moins bien depuis bien longtemps et une école qui est parmi les plus inégalitaires de l’OCDE (23e sur 24 ; classement Unicef/Pisa 2010).
Ce choix de politique s’appuyait sur les résultats des nombreuses évaluations réalisées entre 1984 et 1998 CNRS, INRP, Universités, Commissariat au Plan ,Ministère de l’éducation nationale (Dep, Inspections générales), Ministère de la jeunesse et des sports (Comité d’évaluation et de suivi des rythmes scolaires, inspection générale) qui montraient que des apprentissages étalés sur cinq jours scolaires allégés (respectant les rythmes chrono-psychologiques) et prolongés par des activités éducatives en cohérence de contenu avec les enseignements scolaires étaient particulièrement bénéfiques tant pour les élèves que pour le fonctionnement et le climat de l’école.
En quoi le « périscolaire » favorise le « scolaire » ?
D’abord il faut préciser que pour qu’il y ait cette « fertilisation croisée », des conditions préalables de mise en œuvre soient présentes. En premier lieu que le projet d’école prenne en compte cette continuité éducative qui part de l’activité scolaire avec ses contenus et se prolonge par des activités d’animation de type sportif et artistique en relation avec ce dernier. En second lieu considérer que les pratiques pédagogiques et d’animation sont complémentaires et bénéfiques pour les enfants mais aussi pour les enseignants et les animateurs. En effet il ne faut pas oublier que l’apprentissage est une activité globale de l’individu qui comporte des composantes physiques, intellectuelles, sociales et affectives qui sont en interrelation constante. Les effets sont circulaires et non linéaires.
L’A.T.S en articulant scolaire et périscolaire contribue très positivement à l’un des phénomènes les plus importants mais mal connu de la théorie de l’apprentissage : le phénomène de transfert. Phénomène qui montre que l’apprentissage d’une matière donnée peut se communiquer à une collection d’apprentissages proches de nature analogue et à une variété de matières de contenu tout à fait différentes ensuite.
Plusieurs évaluations réalisées par le Ministère de l’Education Nationale à la fin des années 90 montrent cet effet bénéfique plus particulièrement pour les élèves en difficulté scolaire ou en souffrance psychologique. A noter dans la plupart des rapports que les effets constatés par les enseignants sur les enfants portent sur les incidences culturelles et sportives, le comportement personnel, les relations à l’adulte, la réussite personnelle, la motivation, la réussite scolaire, l’estime de soi et l’ « utilisation d’autres capacités que les capacités scolaires telle la création ». A noter l’importance et l’efficacité de ce dispositif dans la lutte contre la violence à l’école. Dans les collèges expérimentaux A.T.S (années 90) il a permis la quasi disparition des conseils de discipline et l’instauration d’un bon climat scolaire. A ce propos, au regard des 13 plans ministériels successivement mis en place ces 20 dernières années pour lutter contre la violence à l’école, on peut se demander à juste raison si l’utilisation de l’outil A.T.S n’aurait pas été plus profitable…
Il est utile de rappeler ici que ces réalisations s’appuyaient sur des textes promouvant cette complémentarité éducative (quelle que soit la majorité gouvernementale) :
– La 1ère circulaire « l’Aménagement du temps scolaire dans le 1er degré » (décembre 1984) précise d’une part « la nécessité du caractère global de l’éducation » et indique que « le projet engage les enseignants, les parents, les associations et les collectivités locales ». Elle recommande d’autre part « qu’aussi bien dans le temps scolaire que dans le temps périscolaire il y ait la présence conjointe de l’instituteur et de l’animateur ».
La Loi d’orientation sur l’éducation (juillet 1989) précise que « la rénovation et la modernisation du système éducatif passent par une politique du temps scolaire cohérente qui respecte les besoins de l’enfant et de l’adolescent » et que « l’aménagement des rythmes de vie à l’intérieur comme à l’extérieur de l’établissement est organisé selon le principe du partenariat et par contrat » .
La circulaire « Organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires (Avril 1991) s’appuyant sur les évaluations réalisées rappelle que « l’organisation du temps scolaire est essentielle à la réussite des enfants ».
En 1998 on assiste à un brutal changement instauré par la création du Contrat éducatif local (CEL) qui ne repose plus sur le caractère global de l’éducation et déconnecte les activités périscolaires du projet d’école. Contrat qui a pour objet d’encourager la mise en place d’activités offertes aux enfants et adolescent en dehors du temps scolaire et qui « pour une mise en cohérence des activités de l’enfant suppose une articulation entre le projet éducatif et le projet d’école et de collège » .
Suite à cette forte inflexion qui conduit à la disparition durant 10 ans de toute politique concernant la modification des « rythmes scolaires » c’est paradoxalement la décision de Xavier Darcos de généraliser la semaine scolaire de 4 jours qui « rallume » l’intérêt et la réflexion de la communauté éducative pour ce sujet. C’est ainsi qu’en 2010 la Conférence nationale sur les rythmes scolaires lancée par Luc Chatel reconnaissait, notamment, que l’articulation Ecole/Partenaire était un des piliers des « rythmes scolaires ».Elle présentait une gamme étendue de modalité de fonctionnement dont :
-Complémentarité de pure répartition des temps scolaires et hors temps scolaires
-Complémentarités de fonctionnement (équipes pluridisciplinaires)
-Pleine complémentarité qui redéfinit un temps global.
En 2012 le rapport de la Concertation « Refondons l’école de la République » fait une large place à ce thème tant comme levier de changement que comme vecteur de la globalité éducative. « Modifier les rythmes éducatifs doit conduire à s’interroger sur les pratiques pédagogiques et à modifier les programmes d’enseignement… Inscrire dans la loi (sur la refondation de l’école) les projets éducatifs locaux et impliquer les ministères concernés pour leur mise en œuvre… Tout est mis en œuvre pour adapter le temps scolaire à celui de l’enfant… Les apprentissages fondamentaux sont positionnés au moment où la capacité d’attention des élèves est la plus grande… La collaboration entre l’éducation nationale et les communes favorise la conception et la conduite d’une action éducative prenant en compte le temps de l’enfant dans sa globalité. »
En 2014 la circulaire sur les Projet éducatifs territoriaux (projet partenarial par excellence) indique qu’une cohérence entre périscolaire et projet d’école « sera recherchée » et considère que le Projet éducatif local ou le contrat éducatif local « peuvent tenir lieu de PEDT ».
Comment voyez-vous désormais l’avenir de ce dossier ?
D’abord comme vous l’avez sûrement perçu l’Aménagement du temps scolaire et la complémentarité éducative ne sont plus considérés comme des leviers de changement de l’école (malgré toutes les preuves apportées).Ensuite contrairement à certaines déclarations on assiste actuellement sur le terrain à un durcissement des identités scolaires et éducatives locales. Situation qui conduit à établir une véritable frontière entre le scolaire et le périscolaire, entre les enseignants et les animateurs, entre les élus et les responsables de l’éducation nationale. Enfin on assiste à travers la gestion territoriale de ce dossier à l’émergence du pouvoir « éducatif » des préfets via leur responsabilité dans les domaines de la jeunesse et des sports, de la Ville et du contrôle des collectivités locales.
En guise de conclusion et tout en regrettant que les principes fondamentaux de l’Aménagement du temps scolaire se soient dilués dans des « querelles et polémiques stériles » (alors que le consensus semblait établi) il reste que quoi que l’on fasse plusieurs avancées de cette ambitieuse « réforme » demeurent :
-Un noyau de villes (grandes, moyennes, petites) ont structuré leur projet en association étroite avec les écoles et mis en place une véritable complémentarité éducative au service des enfants. Leur réussite pourrait servir d’exemple ;
-La société française dans son ensemble s’est sentie fortement concernée par un sujet d’éducation.
-Les collectivités locales ont été placées devant leurs responsabilités éducatives
-La démocratisation d’accès pour tous les élèves aux activités culturelles et sportives est désormais bien réelle.
L’avenir de cette politique se situe désormais en…2017. Un des candidats potentiels à la Présidence de la République n’a t’-il pas récemment déclaré qu’il « abrogerait la réforme des rythme scolaires »
Georges Fotinos
Ancien responsable de la cellule « rythmes scolaires » au M.E.N
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