In Les Cahiers Pédagogiques – le 20 mai 2014 :
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Réaction de Yann Forestier à la décision du ministre de l’Éducation nationale de repousser la pré-rentrée, une mesure néfaste pour le travail des équipes d’enseignement.
Ce n’est pas un scoop : c’est dans les établissements scolaires où la cohésion des équipes pédagogiques et où la cohérence des projets sont les plus fortes que les inégalités entre élèves sont les plus faibles, les difficultés des enseignants les plus rares, les phénomènes de violence les mieux maîtrisés. Les études des sociologues et les rapports des inspecteurs le disent depuis longtemps : face à l’hétérogénéité des niveaux et des comportements, face à l’enjeu des décisions d’orientation, face à la nécessité de créer une dynamique de mise au travail, le travail en équipe est indispensable. C’est en ce sens qu’au début du XXe siècle, on a commencé à aménager des "salles des professeurs" dans les lycées, première tentative significative de favoriser la rencontre entre enseignants.
Où en est-on aujourd’hui ? Dans certaines écoles, on organise des séances régulières de concertation, on élabore un projet d’établissement que l’ensemble des personnels s’approprient, il y a un conseil pédagogique qui s’empare de nombreuses questions et on organise des stages de formation sur place pour que l’information et les idées innovantes circulent mieux. C’est d’ailleurs dans ces établissements que les résultats sont les meilleurs. Dans beaucoup d’autres, malheureusement, on se limite encore à des obligations institutionnelles : beaucoup de professeurs découvrent le visage des collègues enseignant dans les mêmes classes qu’eux à l’occasion du conseil de classe du premier trimestre, non-événement dont l’intérêt pédagogique disparaît souvent derrière l’exécution machinale d’un rituel trop bien connu.
La journée de pré-rentrée était depuis les années quatre-vingts une autre de ces tentatives de favoriser la prise de contact en vue du travail en commun : certes, il en est qui n’y voient qu’une occasion d’écouter des discours pontifiants et de régler en une ou deux réunions expédiées au plus vite la répartition des salles et du matériel pédagogique. Pour beaucoup d’autres, c’est un moment important pour réfléchir à des projets collectifs et mettre en cohérence le discours qu’on entend tenir aux élèves. Au point qu’il est fréquent que des conseils d’administration votent, à la demande des enseignants, l’organisation d’une deuxième journée de pré-rentrée la veille de la date officielle.
Tout cela, on le voit bien, est très insuffisant. Si l’on souhaite vraiment que les équipes puissent prendre un minimum de recul et ne plus travailler dans l’urgence, si l’on entend construire dans chaque école, dans chaque collège, dans chaque lycée, une culture d’établissement, une identité et une dynamique propre à mobiliser l’ensemble de la communauté éducative, il serait logique de profiter de ces moments-clés que sont les premiers jours de juillet et les derniers jours d’août pour offrir aux personnels des occasions de se former, de se concerter et de travailler ensemble à la mise en place de dispositifs que chacun s’approprierait. On sait bien que le temps de travail des enseignants ne se limite pas au temps passé face aux élèves et qu’une part importante des vacances dont ils disposent est un temps de travail personnel ; le caractère intouchable du mois d’août, qui clôt de trop longues vacances d’été qu’on n’ose toujours pas réduire et affecter à des zones distinctes, n’est jamais que le résultat d’habitudes imposées par l’industrie touristique.
Face à ces perspectives dont la nécessité est reconnue par tous ceux qui font de l’intérêt des élèves une priorité, la décision du ministre de l’Éducation nationale de repousser cette pré-rentrée (et de repousser du même coup la rentrée des élèves) au motif qu’il n’était pas envisageable de l’organiser dans les derniers jours du mois d’août, selon ce qui était prévu initialement, est plus que maladroite, et ce d’autant plus qu’en invoquant des problèmes informatiques, il renonce à assumer la responsabilité d’une action hautement politique.
Les enjeux de la refondation de l’École, à laquelle nous n’avons pas renoncé, méritent mieux que cette mesure bien peu opportune qui, en plus de constituer une reculades et des concessions peu glorieuses à un certain corporatisme, passera très mal dans l’opinion et donne une bien mauvaise image de notre école. Il est urgent que le ministre se décide à rouvrir le chantier de la réforme du métier enseignant et de la redéfinition des services ainsi que celui du fonctionnement des établissements scolaires.
Yann Forestier, professeur de lycée, membre du conseil d’administration du CRAP-Cahiers pédagogiques