In L’Expresso – le Café Pédagogique – le 18 juillet 2014 :
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Encore un plan numérique ? Celui-là a la particularité de se situer dans un programme gouvernemental global, "les 34 plans de la nouvelle France industrielle", et, parait-il, d’avoir le soutien de l’Elysée. Le gouvernement veut équiper 70% des écoliers et collégiens d’ici 2020 et lancer le marché de l’édition numérique éducative. Mais comment faire dans le contexte budgétaire actuel ? Comment intégrer le numérique dans les programmes scolaires ? Et pour quoi faire ?
"Je veux que la jeunesse soit toujours la priorité… Nous allons lancer un grand plan pour le numérique à l’école…Je veux que la France soit exemplaire sur le numérique à l’école. Je veux qu’on soit les meilleurs si c’est possible". Devant les caméras, le 14 juillet , François Hollande a annoncé le lancement d’un "grand plan" pour le numérique éducatif. Encore un. Parce que l’éducation nationale en a connu une quinzaine depuis le début du siècle qui, à l’exception du plan Ecole numérique rurale, n’ont pas abouti à grand chose. Mais si Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, puis Benoît Hamon se sont exprimés sur le même sujet, pour ce plan ci c’est bien l’Elysée qui garde la main sur le projet. Autant de raisons de faire le point avec l’équipe ministérielle sur ce que sera ce plan.
A l’origine, un constat fait par Benoît Hamon le 2 juillet devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale : "97% des enseignants jugent que le numérique est un atout pour les élèves mais seulement 5% l’exploite en classe". Des chiffres qui ont pu étonner mais qui sont sortis de l’étude Profetic publiée par l’Education nationale en 2012. Neuf enseignants sur dix jugent utile l’utilisation des TIC à l’école mais seulement 5% les utilisent quotidiennement en classe. L’enquête montre aussi que les seuls usages du numérique qui progressent sont les applications administratives (les notes, le cahier de textes) et les échanges avec les parents. Utiliser les TIC pour "individualiser l’apprentissage et faire travailler les élèves en autonomie" est même en baisse. Il y a à cela des raisons, que B. Hamon n’a pas mentionnées : la taille des groupes classes arrive en premier devant les insuffisances du matériel. Qu’importe ! Le ministre a retenu la nécessité d’équiper massivement les écoles, encore trop peu dotées, et les collèges.
L’Education nationale peut d’autant mieux se lancer dans ce plan numérique qu’elle ne puise pas sur son budget. Le programme s’insère dans les "34 plans de la nouvelle France industrielle" pilotés par Bercy. Un vaste projet doté d’une vingtaine de milliards d’euros dont on attend la création de 500 000 emplois. Parmi les 34 plans, "e-Education" est crédité par Arnaud Montebourg le 10 juillet de 700 millions d’euros. Au ministère on préfère dire que le plan se situera entre 700 et 800 millions, tous les arbitrages n’ont pas été faits.
Ce qui est décidé c’est un vaste effort d’équipement. Le plan e-education se fixe comme objectif 70% des collégiens et lycéens dotés d’une tablette PC d’ici 2020. Second objectif : 60% des crédits pour ressources pédagogiques dirigé vers le numérique. "On veut créer un marché du numérique éducatif", dit-on dans l’entourage du ministre. Le budget total serait donc divisé en deux entre ces deux objectifs. 350 millions environ alimenteront un fonds d’amorçage pour l’équipement en tablettes. Autrement dit l’effort principal sera porté par les collectivités territoriales : communes pour les écoles et départements pour les collèges. Sur les 3 milliards environ que couterait ce plan d’équipement, seulement 10% sera porté par l’Etat et 90% par les collectivités territoriales. L’idée du fonds d’amorçage rappelle la réforme des rythmes scolaires. Mais, au ministère, on ne craint pas une nouvelle grogne des maires et des conseils généraux. "La plupart investisse déjà dans du matériel numérique", entend-on rue de Grenelle. "On va les aider à continuer et veiller à l’égalité entre elles". Dans les points qui restent à trancher il y a les destinataires du fonds d’amorçage. Sera-t-il destiné à toutes les communes, comme pour les rythmes ? Ou ciblera-t-il les communes pauvres ? En tous cas, le ministère attend de cet effort qu’il permette d’assurer une coordination entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Environ 300 millions seront consacrés à l’achat de ressources numériques. La volonté de l’éducation nationale s’appuie sur un rapport de l’Inspection générale qui avait travaillé en 2013 sur le marché du numérique. L’idée c’est bien de créer un marché. Mais c’aussi d’assurer le contrôle étatique sur le numérique éducatif, comme le recommandait ce rapport. Si 60% des crédits de ressources pédagogiques devront être dirigés d’ici 2020 vers le numérique, l’accès aux ressources devra passer par des plateformes labellisées par l’Etat. On se défend au ministère de toucher à la liberté éditoriale. On avance l’argument de la protection devant la collecte d’informations sur les usages des élèves, la lutte contre le "data mining" que les entreprises pourraient faire et même le souci d’interopérabilité avec les ENT. Mais le plan permettrait aussi d’aboutir à ce que le ministère n’a jamais réussi avec les manuels papiers : orienter les choix des enseignants vers des ressources conformes aux souhaits de l’institution.
Et puis il y a l’enseignement du code. Benoît Hamon a annoncé le 13 juillet " une initiation au code informatique, de manière facultative et sur le temps périscolaire" au primaire. Un appel d’offres vers les associations a été lancé et elles devraient suivre une formation dans l’année scolaire. Ce n’est donc pas à la rentrée 2014 mais à celle de 2015 que les écoliers seront exposés à cet apprentissage. Et l’Education nationale ? Le Conseil supérieur des programmes souhaite intégrer l’enseignement du code à l’école et au collège. Le ministre chargera dans les prochains jours un inspecteur général d’une mission de propositions sur l’intégration de cet enseignement dans l’école obligatoire. A vrai dire, au ministère, on associe enseignement du code et initiation au numérique. Apprendre à envoyer un mail et comprendre qu’il passe par des serveurs fait partie des apprentissages souhaités. Cet enseignement sera-t-il spécifique ou interdisciplinaire ? La question n’est pas tranchée rue de Grenelle.
A quel calendrier les enseignants doivent-ils se préparer ? Contrairement à ce qui a été annoncé, l’enseignement du code débuterait à la rentrée 2015 dans le périscolaire au primaire. A l’école et au collège, il faudra attendre la rentrée 2016 pour que l’enseignement du code prenne forme dans les enseignements. Les dotations matérielles et l’achat de ressources seront étalés d’ici 2020. François Hollande réunira les ministres concernés fin juillet et probablement préciser le calendrier. Mais dès maintenant on espère régler avec ce programme d’équipement la question de la maintenance du matériel informatique. Depuis 2012, l’Etat promet de trouver un accord avec les collectivités territoriales sur ce point. On n’en parle plus mais on espère, avec le renouvellement du matériel que la maintenance sera assurée par les distributeurs.
Mais bien des questions demeurent. A commencer par les objectifs poursuivis par l’enseignement du code et la dotation en équipement. Pour B. Hamon, " l’école ne peut ignorer l’importance du numérique… Il s’agit de donner à tous les clés pour agir dans un monde toujours plus "connecté". Il ne s’agit pas de faire de tous les collégiens des développeurs mais de détecter des talents, de susciter des vocations pour un secteur stratégique dans la compétition mondiale".
Autrement dit, le plan se nourrit d’objectifs contradictoires qui s’appuient sur des lobbys différents. Il y a un programme économique qui inclut la formation d’ingénieurs informatique dont le pays a besoin mais dont la sélection devrait être opérée au plus tard au lycée. C’est l’idée de créer une nouvelle série S élitiste qui sélectionnerait de très bons élèves et les dirigerait vers ces métiers. Mais il y aussi l’idée de raccrocher des décrocheurs en leur proposant une formation nouvelle plus en accord avec leur culture. Le choix entre un enseignement à part et un enseignement interdisciplinaire illustre aussi ces hésitations. L’enseignement à part pourrait conduire au renforcement de l’élitisme. L’interdisciplinaire serait difficile à mettre en place. L’idée d’intégrer dans les disciplines semble peu avancée mais il est vrai qu’elle heurterait des lobbys disciplinaires. Du coup le flou gagne la formation des enseignants et seule celle des cadres est envisagée dans la circulaire de rentrée. Le plan e-education bénéficie enfin d’une volonté politique forte. Mais pour quels objectifs ?
François Jarraud