La nouveauté technologique fascine et les arguments éducatifs ne manquent jamais lorsqu’elle arrive sur le marché. Les publics visés par ces argumentaires sont d’abord les familles et éventuellement les enseignants. Mais les publics visés sont aussi les décideurs, ceux qui par les moyens financiers dont ils disposent peuvent influer sur la diffusion de ces technologies. Le récent plan numérique annoncé par le président de la république n’échappe pas à cet engouement. Lors de récentes entretiens avec des élèves de CM2 et de 6è, nous avons pu constater combien leur relation aux technologies actuelles était positive, enthousiaste. De même lorsqu’on évoque avec eux l’avenir, ils le voient peuplé de ces technologies. Quand on interroge des parents, l’acceptation est là même, mais la demande d’utilité réelle, par rapport à la réussite scolaire, est un élément essentiel. Autrement dit, pour eux, l’utilisation de l’informatique pour les enfants c’est une nécessité pour l’avenir et l’insertion professionnelle, mais cela doit rester dans un cadre qui respecte l’autre pression que constitue la compétition scolaire. Ce deuxième point de vue amène à limiter la place à donner au numérique à l’école si elle concurrence la réussite scolaire traditionnelle.
Compte tenu des finalités de l’Ecole, de sa tradition et de son organisation, la nouveauté technologique n’y a a priori pas de place en tant que telle, sinon elle risquerait de créer l’effet girouette. De par la distance que le monde scolaire instaure volontairement avec la vie active, il y a forcément un écart de temps, mais aussi de maturité nécessaire pour qu’une évolution scientifique ou technologique soit traduite (transposée ?) dans les enseignements. L’exemple des sciences économiques illustre ce propos avec la création de sections du domaine en lycée dans les années 1960. Mais le monde scolaire est soumis à des pressions, et l’exemple de la section H (informatique) créée au début des années 1980, en est une autre illustration : c’est dans l’enseignement technologique, parfois par nécessité, que l’on trouve le meilleur accueil à la nouveauté technologique (même si c’est parfois avec un léger décalage).
La pression qui s’exerce sur le monde scolaire relève aussi de l’idée que si l’on met certaines informations dans la tête des élèves, ils sauront ensuite en faire bon usage, d’où le développement de toutes les sortes d’éducation à quelque chose, voire la demande de création de nouvelles disciplines d’enseignement. L’incitation permanente à l’innovation qui a pris ces dernières années une ampleur importante est devenu quasiment idéologique, en particulier dans le lien avec le numérique. Ce volontarisme crée des écarts au sein des équipes éducatives et surtout a remis au-devant de la scène la question de la relation entre ce qui se passe dans l’école et ce qui se passe dans la vie. Les plans tablettes qui se succèdent dans de nombreux lieux et jusqu’aux premiers cercles du pouvoir n’échappent pas à cette idée. L’image de modernité de l’école (les équipements) serait suivie d’une sorte de nouveauté (pédagogie numérique). Les documents élaborés et publiés sous l’impulsion de Jean Michel Fourgous sont particulièrement illustratifs de cette pensée qui n’est, par ailleurs, pas sans fondements. Mais on commence à le percevoir, la notion de réussite scolaire recouvre des conceptions différentes : la première est celle de la réussite de l’élève face aux exigences de l’école, mais la deuxième est la réussite de l’école vis à vis de la société, réussite politique (former des citoyens), réussite sociale (insérer les jeunes dans la société telle qu’elle est). Et surtout elle est mise en tension avec un autre fondement de l’éducation : la formation de l’esprit critique, toujours énoncé, difficilement évalué.
Les parents, les adultes, sont bien davantage sensibles et perméables aux nouveautés technologiques qu’on peut le penser a priori. C’est justement un de tours de force des technologies numérique d’avoir su, malgré des impressions opposées, attiré nombre d’adultes vers ses nouveautés et introduire dans les conduites sociales des comportements d’achat, de consommation et d’usage. Même si le discours d’une jeunesse séduite par le numérique est dominant dans la publicité, ce sont bien les adultes qui poussent à la nouveauté technologique, parfois au détriment d’autres priorités. Ce fait observable en particulier dans la tranche d’âge 25 – 50 ans (et qui petit à petit gagne les plus âgés) n’est pas sans conséquences sur les décisions d’achats, mais aussi sur les prescriptions en direction du monde scolaire. Sylvie Octobre rappelle dans son dernier ouvrage que l’âge des élus de l’assemblée a augmenté de manière significative au cours des trente dernières années. Si l’on croise ce fait avec les décisions de plans d’équipements numériques pour les écoles, on corrobore cette idée d’association entre nouveauté technologique et réussite de l’école, à défaut de réussite scolaire.
Dernier point en discussion : la fameuse plus-value recherchée et/ou signalée dans nombre d’articles et documents sur les nouveautés numériques pour l’enseignement Il suffit souvent de lire les documents publicitaires des concepteurs, mais aussi d’écouter certains « afficionados » des entreprises, pour entendre l’argument du lien entre nouveauté et réussite scolaire. Il faut en général attendre un peu de temps pour relativiser cet enthousiasme parfois naïf mais aussi répétitif. A ces propos très positifs font écho en symétrie le récurrent propos des sceptiques quant à la plus-value possible. Dans un cas comme dans l’autre une sorte d’irréconciliable débat dont on sent bien qu’il ne porte pas vraiment sur les mêmes points. Malheureusement cette confusion générale n’aide pas à voir clair et à prendre de bonnes décisions. On comprend d’ailleurs le désarroi de l’élu décideur d’un financement devant, outre les difficultés techniques, se trouve confronté à la mise en cause de propos qui étaient souvent ceux qui ont amené à déclencher la décision d’équipement.
Dans sa classe l’enseignant ressent bien que la question n’est pas aussi simple : craie, tableau, crayon, cahier, ordinateur, télévision, ce ne sont pas les technologies qui tirent les apprentissages. On tente pourtant de le convaincre et parfois il l’est. Mais il sent bien que la question de la réussite scolaire est ailleurs. Il sait aussi que plus que les nouveautés, c’est l’état de fait numérique dans la société qu’il faut mesurer pour engager des pratiques pertinentes. Le contexte de l’activité scolaire est pourtant bien perturbé par les injonctions croisées des marchands, des politiques, des passionnés tandis que le cadre du quotidien reste bien éloigné des rêves qu’on leur vend trop souvent.
Comme si tout cela manquait de « modestie » et de « simplicité« . A lire les sites Internet de nombreux « promoteurs » des nouveautés technologique on sent que bien souvent le discours de conviction ou plutôt de croyance l’a emporté sur le discours pragmatique et contextualisé. C’est une sorte d’idéal théorique que l’on propose à chacun. Cessons donc d’aborder ces deux questions de manière conjointe. La nouveauté technologique est un phénomène récurrent qui en soi doit faire l’objet d’une analyse distancée. La réussite scolaire, notion polysémique, est une question qui n’est pas la bonne dans le contexte numérique actuel. En effet si elle se pose dans le cadre d’une institution qui fonctionnerait isolée du monde, elle perd de son sens dans le contexte actuel qui ouvre progressivement des questions différentes. En particulier celle de la réussite sociale dont la montée en puissance tente de plus en plus d’éclipser celle de la réussite scolaire. Pour l’instant l’institution scolaire tient bon par consensus, mais on sent qu’elle pourrait vaciller, comme on peut l’envisager autour d’idées comme celle déployées dans le film « Etre et Devenir » sorti en mai dernier dans les salles.
Bruno Devauchelle
Les chroniques de B Devauchelle
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