Florence Robine, DGESCO, nous présente ses priorités pour cette année scolaire, et dresse un état de lieux des chantiers en cours.
Comment s’est passée cette rentrée ?
Cette rentrée a été dominée par les rythmes scolaires et s’est mieux passée que ce que l’on pouvait attendre. Mais ce qui importe maintenant que la mise en place a eu lieu, c’est la prise de conscience de la dimension pédagogique forte de la réforme et de ce qu’elle va apporter aux élèves. Pour ce qui est des effectifs de professeurs, même si quelques postes restent vacants, globalement le déroulement compliqué des deux concours sur l’année scolaire 2013–2014 n’a pas nui au recrutement.
Beaucoup de choses se mettent en place en cette rentrée, et nous allons continuer à suivre et à accompagner la mise en œuvre de la loi de refondation. Nous sommes très attentifs aussi bien sûr à ce qui se passe dans les ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), avec cette année la première promotion des M2, et à l’écoute des remontées de terrain, pour apporter des améliorations si nécessaire, car les profils accueillis en ESPE sont très hétérogènes.
Pouvez-vous nous en dire plus sur un de vos grands chantiers en cours, la réforme de l’évaluation des élèves, ainsi que la réforme des programmes scolaires ?
En ce qui concerne la Conférence nationale sur l’évaluation des élèves, nous en sommes à la phase finale de composition du jury, les candidatures sont closes depuis le 27 septembre. Nous en avons reçu plus de 1000 et nous allons proposer un jury composé de 30 personnes, professionnels de l’éducation, parents, lycéens, membres d’associations… Un site internet sera également mis en ligne en octobre pour accompagner ce travail et présenter les avancées au grand public. Ce travail se conclura par trois jours de conférence nationale en décembre. Pour nous, ce chantier est absolument crucial, car nous allons mettre en œuvre bientôt un nouveau socle commun, des nouveaux programmes, un nouveau collège, de nouveaux cycles, un lien renforcé école-collège, et si nous n’associons pas ces réformes à une réforme de l’évaluation, nous serons en décalage.
En effet, travailler sur la réussite des élèves et la lutte contre les inégalités sans se poser la question de l’évaluation n’est pas cohérent . Je n’ai pas d’idée préconçue sur ce que devront être les résultats de la réflexion menée par la conférence, mais en tout cas, il ne faut pas se dire qu’en matière d’évaluation, tout ce que l’on a fait jusqu’à présent était la meilleure des choses. L’évaluation est un des éléments qui doit être mis au service de la réussite des élèves.
Cela signifie la suppression des notes ?
Les notes en elles-mêmes ne me gênent pas. Mais quel est leur rôle ? Aident-elles l’élève à progresser ? Comment les utilise-t-on pour l’orientation ? On parle de décrochage scolaire et d’envie d’apprendre : comment faire justement pour mettre les évaluations plus en cohérence avec le projet personnel de l’élève et avec ses compétences ?
Est-ce que certains pays appliquent déjà une nouvelle forme d’évaluation ?
Oui, en Finlande par exemple, les élèves n’ont pas de notes à l’école élémentaire. Ensuite, il y a des notes sur 10, mais elles ne peuvent jamais être inférieures à 4. L’objectif n’est pas de dire aux élèves que tout est parfait, mais de leur dire, cela a été acquis et cela doit être retravaillé. Notre système trie les élèves, les classe. Cela n’est plus possible : il y a beaucoup de voies de réussite différentes. Il faut travailler aussi sur l’orientation, la formation tout au long de la vie, car en France aujourd’hui, ce que vous faites entre 15 et 18 ans détermine toute votre existence !
Vous évoquez l’orientation et la valorisation des compétences de chacun. Qu’en est-il de l’enseignement professionnel ?
L’enseignement professionnel est l’un des chantiers majeurs. La qualité de l’enseignement professionnel français est très largement reconnue à l’étranger, et il a pour spécificité de permettre de conduire à des diplômes de haut niveau, car avec un bac pro aujourd’hui, on peut poursuivre jusqu’à la licence professionnelle. Nous sommes par ailleurs un des seuls pays où deux langues vivantes sont obligatoires dans l’enseignement professionnel. Si nos élèves de lycées professionnels faisaient davantage de stages à l’étranger, ils verraient combien ils ont du savoir-faire.
Une meilleure qualité de l’orientation est cependant aujourd’hui indispensable pour bien saisir la diversité des métiers, ainsi qu’ une autre façon d’évaluer les élèves : pour aller dans telle ou telle section professionnelle, est-ce vraiment la moyenne générale en maths, français, histoire… qu’il faut prendre en compte, ou n’est-ce pas plutôt d’autres compétences ? Il faut enfin faire tout un travail d’information auprès des jeunes et des parents pour les convaincre de s’engager, en partenariat avec les entreprises, dans des voies débouchant sur l’emploi.
Les nouveaux programmes entreront en vigueur en 2016, en même temps qu’une réforme du collège. Le collège unique est-il menacé ?
On a aujourd’hui besoin de beaucoup plus de souplesse au collège et d’être davantage dans une logique de socle, c’est-à-dire de savoirs à maîtriser mais également de compétences diverses. Les collèges devraient pouvoir disposer de plus de liberté pour développer des projets adaptés à leurs publics. Sans remettre en cause le collège unique, il faut davantage de personnalisation. Il faut regarder en face l’hétérogénéité du collège, et donc accompagner davantage les élèves pour leur proposer de s’engager, leur proposer des projets dans lesquels ils se retrouvent, des travaux de groupe, des parcours en éducation artistique et culturelle… Car dans ce type de projets souvent des compétences insoupçonnées des élèves – capacité de prise de parole, de recherche d’information, de prise d’initiative, de travail en groupe… — vont pouvoir se révéler. Encore une fois se pose la question de l’évaluation : est-on capable de prendre en compte ces compétences ?
Il s’agit là pour vous de la clé pour lutter contre le décrochage scolaire ?
Oui, j’en suis convaincue, d’ailleurs si l’on regarde le rapport qui a été publié en juin dernier sur le décrochage scolaire, il s’avère que l’on s’intéresse à la remédiation, et pas assez à la prévention. Il faut s’attaquer aux racines du décrochage. Pour cela, une évaluation qui permet de mieux valoriser les compétences des élèves est nécessaire, tout en les aidant à progresser sur ce qu’ils ne maîtrisent pas. Il faut savoir reconnaître différents types d’intelligence et pas seulement l’élève mythique –qui d’ailleurs est rare. Proposer de la mise en action, du travail de groupe, de la médiation entre pairs, apporter très tôt de l’aide, parfois dès l’école primaire : voilà des pistes à explorer. Quand la méthode standard ne fonctionne pas, il faut trouver un moyen de réembarquer l’élève.
Qu’en est-il de l’éducation prioritaire ?
La nouvelle carte de l’éducation prioritaire est en marche, et les contingents de réseaux ont été donnés par académies. Désormais, nous allons travailler avec les recteurs à déterminer quels sont les collèges et les écoles associées qui entreront en REP ou en REP+. La carte définitive entrera en vigueur à la rentrée 2015. Nous nous appuyons beaucoup sur les 102 REP+ qui ont été lancés en cette rentrée pour valider les hypothèses pédagogiques liées à cette réforme – liaison école-collège, mission de professeur-formateur académique par exemple.
Vous êtes la première femme DGESCO, et Najat Vallaud-Belkacem est la première femme ministre de l’Education en France. Ne serait-ce pas une nouvelle ère qui s’ouvre au ministère ?
J’ai toujours été féministe, je ne pense pas qu’il y ait une manière féminine ou masculine de conduire cette direction, mais je trouve que cela fait tomber des murs. Aujourd’hui, le numéro 1 et le numéro 2 de ce ministère sont pour la première fois des femmes, c’est un signe fort sur la possibilité pour les femmes d’occuper toutes les fonctions dans la société. J’espère que cela sera un signe d’encouragement pour toutes les jeunes filles.
Sandra Ktourza