PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Le Blog de Jacques NIMIER :

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"Aurai-je fini le programme à temps?"

C’est la question obsédante que se pose tout enseignant, à un moment ou à un autre.

 

Mais qu’est-ce qu’un "programme"?

             Quelle est la part de réalité et quelle est la part d’imaginaire dans cette affaire de programme?

             Un programme, est-ce les quelques lignes du B.O.? Ou ce qui est présenté dans tel ouvrage ? Est-ce la démonstration ou l’exposé de toutes les questions données dans le B.O? ou leur approfondissement? ou leur survol?

Ce programme peut être fait en cinq minutes s’il s’agit de lire le B.O., en plusieurs mois s’il s’agit d’un survol de questions nommées, de plusieurs années si on désire approfondir toutes les questions. L’importance du temps passé sur les diverses questions est prégnante.

"Faire le programme", "appliquer le programme" cela consiste-t-il à mettre tous les titres de chapitre dans le cahier de texte? à aborder toutes les questions en classe de façon à n’avoir rien à se reprocher si l’une d’entre elles tombe à l’examen? à se mettre à l’abri de toutes surprises? à faire "tout" comprendre à "tous" les élèves?

             Nous sentons bien que la réalité du programme existe, mais il y a également un imaginaire du programme. Cela se joue dans sa construction au cours des réunions de commissions : "je veux bien qu’il y ait tel sujet mais à condition que tu acceptes qu’il y ait celui-ci ! " L’imaginaire est bien présent dans cette défense rigide de la discipline; il y est également dans la marge de manoeuvre qui est laissée, dans cette part d’incertitude dans ce que nous allons privilégier ou au contraire dont nous ferons l’impasse. Un imaginaire dans lequel nous aimerions pouvoir "tout" maîtriser pour ne pas avoir de "reproches" (de l’inspection, des parents, des élèves…). En quelque sorte, à coté du programme réel existe un programme "surmoïque"!

<<L’enseignement reste trop figé et ne réussit pas à faire passer le plaisir de la découverte scientifique. Pour cela, il faudrait changer les programmes… Mais avec dix ans de pratique, je doute des moyens réels du CNP pour parvenir à faire évoluer les programmes. Ceux-ci sont produits par des experts qui gèrent leur discipline comme des bijoux de famille. Le poids des lobbies disciplinaires est considérable. Vous avez l’inspection générale que je compare à une énorme cité avec une multitude de châteaux en son sein pour chaque discipline. Vous avez les agrégés, les associations de professeurs, les syndicats qui veulent tous mettre leur nez dans les programmes. Vous avez enfin la direction des enseignements scolaires (Desco) dont les pouvoirs sont souvent méconnus. Au milieu de toutes ces féodalités, le CNP n’est pas grand chose. La volonté que nous avions de promouvoir une approche transdisciplinaire, de rendre les programmes plus attractifs, plus lisibles, ne suffit pas: on finit toujours par se heurter à la résistance des disciplines, et je m’en désole.>> Jean-Didier Vincent, neurobiologiste, membre de l’Académie des sciences, ancien président du Conseil National des Programmes (CNP). Le Monde 20/03/04

Nous savons pourtant que plus un système est complexe plus il devient incertain et que nous avons alors à nous habituer à l’incertain et à former nos élèves à l’incertitude.

Et cette contradiction est difficile à vivre.

    Nous avons sans doute du mal à accepter cette marge d’incertitude liée au programme avec tout ce que cela entraîne de choix et de responsabilités. Et pourtant c’est là que se situe notre valeur! Ne pas être un "exécutant" mais avoir certaine "responsabilité". Faut-il traiter le programme en fonction de l’intérêt de la classe (son niveau…)?, en fonction de l’examen? en fonction d’une culture nécessaire à la vie? d’une culture générale émancipatrice? Autant de choix possibles que nous faisons en définitive plus ou moins consciemment. Allons-nous viser le court terme (le prochain devoir, le passage dans la classe supérieure), un programme comme contrainte de l’immédiat en quelque sorte; le moyen terme (le bac, l’entrée dans le supérieur) ou le long terme (la culture générale), un programme comme recherche du sens? Autant de choix au travers desquels nous naviguons au jour le jour tout au long de l’année.

HEURES LENTES

Solitaire, je goûte au doux amusement

Du temps qui se prélasse au gré des heures lentes;

Et j’écoute, immobile, un chant qui, joliment,

Vient se blottir au creux de ma secrète attente.

 

La tiédeur de l’automne amuse ma rancœur

Et dans ma gorge, amer, l’alcool d’une rencontre

Heurte ma rêverie en taraudant mon cœur.

Je caresse un rameau du soleil qui me contre…

 

Sur mon épaule passe un vent délicieux.

Puis quand le jour frémit, l’espoir, fragile écume,

Au fil de l’ombre meurt, s’éloignant de mes cieux.

Il ne viendra personne… et ma chair se consume !

 

Soudain, la nuit s’invite à frapper en biseau ;

Le velours du silence effleure chaque chose…

Comme un baume à mon âme, ou comme un vol d’oiseau,

Tout à coup me surprend l’amitié d’une rose!

Chantal Nimier

Autrement dit, quelle est

notre ATTITUDE à l’égard du TEMPS?

             Un sujet auquel je suis sensible, par ma famille (mon père, mon oncle ont passé leur vie à travailler sur les horloges) et par mon âge!

             Cette question du temps n’est pas le fait du seul enseignant! Elle se pose à chacun.

-Dans les médias c’est, le plus souvent, le règne de "l’immédiat", immédiat des informations, immédiat du désir dans le zapping. L’objectif étant de garder le spectateur ici et maintenant, même si certaines stations, malgré tout, visent une culture générale à plus long terme.

-Pour le Chef de l’État se pose le choix par exemple de remanier un gouvernement pour résoudre des revendications immédiates (court terme), pour tenir jusqu’aux prochaines élections (moyen terme), ou pour résoudre des problèmes de long terme? Dans un même domaine, par exemple la recherche, un gouvernement peut prendre des décisions pour éviter des manifestations (court terme), pour permettre aux entreprises de progresser grâce à la recherche appliquée (moyen terme) ou développer la recherche théorique sans application immédiate prévisible (long terme).

-Ce problème du temps se pose de façon cruciale aux "urgentistes" qui doivent juger dans l’instant si telle personne doit être prise en charge immédiatement ou s’il y a possibilité d’attente. On remarquera que la formation des "urgentistes" est paradoxalement particulièrement "longue" dans le temps! (ce qui n’est pas le cas des journalistes!)

Le président du conseil de surveillance d’AXA, M. BEBEAR s’élève contre les normes comptables européennes (I.A.S.) "Il fallait empêcher, dit-il, l’I.A.S. et faire prendre conscience du danger pour l’Europe", car ces normes "risquent de se traduire par une volatilité croissante dans l’ensemble de l’industrie dans le monde."

    -un conflit existe actuellement au niveau européen sur les normes comptables I.F.R.S. Doit on comptabiliser les éléments figurant au bilan à "leur juste valeur", c’est-à-dire à la valeur obtenue s’ils étaient "immédiatement" vendus en bourse (valeur fluctuant continuellement dans le court terme) alors que jusqu’à présent c’est "la valeur historique" qui prime (valeur de long terme). On peut deviner que les conséquences du choix sur la gouvernance d’une entreprise sont importantes.

L’enseignant comme médiateur du temps.

             L’immédiat c’est ce qui est "sans médiation". Et nos élèves sont souvent dans l’immédiat. "Tout, tout de suite"! Des résultats sans travail! L’immédiat c’est ce qui est dans le réactionnel c’est-à-dire dans l’émotion; c’est ce que cherchent à provoquer le plus souvent les "médias"!

             L’immédiat c’est notre réaction devant toute nouvelle proposition:" je suis débordé(e)"! Nous nous fermons ainsi des portes à des activités qui nous auraient intéressé(e) alors qu’après réflexion nous pourrions probablement y répondre positivement, quitte ensuite à faire des choix pour en avoir le temps.

             Notre rôle d’enseignant pourrait être celui de médiateur du temps, c’est-à-dire celui qui serait capable de provoquer "la rupture de l’instantanéité", qui pourrait introduire le temps là où l’immédiat est prégnant. Poser un "silence" (une coupure) dans son discours est parfois très efficace. J’ai été fort étonné qu’on me rapporte, dix ans plus tard, avoir été très impressionné par un silence d’une minute que j’avais posé au cours d’une de mes conférences!

  <<A mon groupe d’élèves je pose une question; tout de suite l’un d’entre eux veut répondre, je l’arrête et leur dis "on réfléchit 3 minutes". Après je récolte les réponses, au besoin en interrogeant certains "as-tu eu des idées?"; cette coupure permet que ce ne soit pas toujours les mêmes qui répondent, cela donne une chance aux autres. Par la suite les gamins eux-mêmes me disent "on réfléchit". Ils ont intégré ce ralentissement qui permet la réflexion.>>

Le temps n’est plus alors "surmoïque" mais devient porteur de "limites".

             L’enseignant a continuellement à "poser" des limites, à fixer des limites supportables par l’autre:

             A quelle date rendre le devoir; à quelle heure se terminera l’interrogation; dans combien de temps le devoir sera-t-il corrigé; Quand la cloche ou la sonnerie sonne comment réagir? combien de temps passer sur telle partie du programme; Quel temps d’échange accorder à ce jeune, à ce parent pour l’orientation d’un élève? Fixer la fin d’une réunion et respecter cette fin; Acceptons-nous de prendre le temps de nous former (faire une coupure, avoir une vision à moyen ou long terme) même si cela entraîne des heures "perdues" (vision à court terme) pour nos élèves?

A travers toutes ces décisions se modèlent notre rapport au temps, notre façon de médiatiser le temps pour les élèves.

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