Conclusion : un changement dans nos conceptions éducatives
Une mutation en éducation
À l’issue d’un itinéraire qui s’appuie sur vingt-cinq ans d’initiatives éducatrices novatrices en éducation, nous devons ici au lecteur une réponse aussi étayée que possible quant à la dimension annoncée en introduction de prospective politique en éducation.
C’est bien comme nous le notions aussi « l’éclosion de pratiques» rendues possibles par des dispositifs innovants qui, par exemple, nous ont permis d’avancer en direction des trois points travaillés dans le dernier chapitre; une réflexion autour de la refondation d’un service public en éducation pour le XXle siècle, les observations autour de nouveaux possibles pour la réduction des inégalités et enfin l’approfondissement de la notion de territoires apprenants.
En tout état de cause, il se vérifie de bout en bout que les Rencontres nationales de l’éducation ont été au coeur et ont amplement rendu compte de l’effervescence protéiforme, comme des tensions et des incertitudes de la période. Leur objectif politique était atteint, à savoir la confrontation entre acteurs de terrain, responsables de politiques éducatives en situation et prise de distance universitaire: au total une véritable maïeutique donnant lieu à travers des actes qui ont reflété cette richesse et cette diversité, à l’émergence d’une réalité nouvelle et à la capacité de penser les prémices d’une autre étape historique de l’éducation.
S’il y a un réel changement de siècle, une nette différence peut être établie pour ce qui est du développement de ce nouveau cas de figure éducatif avec la période d’instauration des lois fondamentales de la fin du XIXe siècle. Cette dernière a pour l’essentiel fonctionné en deux temps, un principal et un secondaire: le principal, la promulgation des lois, et le secondaire, une abondante production de jurisprudence à partir de ce que faisait remonter l’appareil scolaire ou la presse pédagogique.
Participant de l’air du temps et des pratiques du temps, un quart’de siècle de mises au point nous montre davantage d’allers-retours, de tâtonnements, d’avancées – plus ou moins acceptées – entre les processus issus de dispositifs officiels et les initiatives des terrains.
Peut-être pourrait-on parler, à propos des changements en cours, sans vouloir ici
choquer les juristes, et dans une libre interprétation de cette culture, de ce qu’on pourrait appeler une sorte de jurisprudence de terrain, voire de jurisprudence spontanée?
Ce sont en effet les pratiques qui ont donc installé les nouvelles manières de faire,
souvent dans un désordre créateur, toujours loin des conformismes et aux antipodes des discours de restauration qui s’épanouissaient ici ou là ‘.
Les acquis et avancées ont participé de fait d’un tâtonnement expérimental d’État, puis de collectivités territoriales, plus ou moins maîtrisé, plus ou moins incertain: témoins les ZEP, l’aménagement du temps de l’enfant ou encore [‘expérience des villes éducatrices.
Nous exclurons toutefois de cette analyse la cristallisation remarquable de la loi d’orientation de 1989 qui a en quelque sorte fait le bilan des avancées d’un septennat éducatif pour se projeter dans un deuxième.
Cette approche va donc de pair avec la fin de l’État hégémonique et surplombant,
comme nous l’avons analysé – puisque le fait partenarial et [‘invention de nouveaux montages éducatifs impliquent une intelligence créative porteuse de souplesse pragmatique.
S’il est donc vérifié que la question du rôle de l’État revient en force à partir des nouvelles pratiques, est-il pertinent de parler d’un État postdécentralisé ? Il faut certainement retenir qu’après "la nouvelle manière d’être de l’État" après "l’âge de raison de la décentralisation" qui fait suite à ses « maladies infantiles» est en train d’apparaître un nouvel âge de l’État régulateur des régulations qui ne peut prendre sens aujourd’hui que dans une recherche de synergie avec d’autres régulations présentes ou à venir: villes, communautés urbaines, intercommunalités, régions, eurorégions, Europe… Il appartiendra à la législation de dessiner peu à peu les traductions politiques pertinentes.
Le concept de développement éducatif territorial semble s’imposer quand il n’est plus possible pour le central de décider a priori d’une mise en forme éducative du local; on peut donc faire l’hypothèse de l’émergence de cadres qui, en quelque sorte, interdiront à l’institué de bloquer la montée de l’instituant. Les logiques montantes de gouvernance territoriale impliquent bien de s’inscrire dans une mobilisation de toutes les ressources du territoire et ouvrent, pour ce qui est de l’éducation au sens large, sur la notion de territoires apprenants.
Très loin désormais « du modèle monopolistique du savoir », c’est sur un gain démocratique que peut déboucher « la reconnaissance de la pluralité des savoirs» quand l’évolution scientifique propose un changement de regard sur le jeune apprenant et ses compétences cognitives. Nous sommes donc invités à les penser sur le mode de la transdisciplinarité, de la relation, et à les contextualiser pour leur donner sens. Car « le local est contraint de considérer la totalité de la situation ». Peut-on alors, en parodiant M. Mauss, parler d’un « fait local total» ? Il impose en tout cas, dans notre champ, une intelligence commune des problèmes
quand il ne retrouve pas la multiréférentialité chère àJ. Andonio.
C’est donc bien une approche politique en éducation que nous avons rencontrée au sens où des acteurs affirment et redéfinissent leur légitimité, légitimité en évolution permanente, faite de négociation et de compromis, d’enrôlements démocratiques novateurs, de gains de pouvoir social, de nouveaux objectifs institutionnels. S’il s’agit, pour traduire cette mutation, de « créer des institutions », c’est certainement à un service public en éducation refondé qu’il
faut penser, service public élargi dont la souplesse des articulations exprimerait la multicomplexité éducative observée. Le« bassin humain d’éducation 3 », avancé dans un ouvrage récent, pourrait représenter le lieu d’inscription de cette multicomplexité.
Ainsi pouvons-nous vérifier que le ciblage originel par les deux instances porteuses des Rencontres Ligue de l’enseignement et ville de Rennes, comme les thèmes choisis pour les cinq sessions au Cours d’un itinéraire de dix ans, se sont avérés porteurs pour une mise en perspective des réalités éducatives en train de se construire. Peut-on augurer que la nouvelle série qui est en train de s’ouvrir, également à Rennes – désormais métropole apprenante autour des politiques d’éducation et de formation tout au long de la vie » le sera
De la forme scolaire vers la forme éducative …
Nous avons vu que la nation a hérité d’une structure forte et fermée _ système scolaire plutôt que système éducatif Puisant aux travaux de G. Vincent, nous avons retenu son concept de « forme scolaire française 5 » qui s’est imposé à la fin du Xlxesiècle, sans exclusivité toutefois, comme en témoignent de nombreuses exceptions dans le domaine de la formation professionnelle ou de la pratique dominante dans l’enseignement privé.
Dans cette logique, le même G. Vincent se demandait quelques années plus tard si, en définitive « l’éducation [ne serait pas] prisonnière de la forme scolaire 6 ».
Les réalisations contemporaines dont nous avons voulu rendre compte dans cet ouvrage nous amènent à poser l’analyse fondamentale du passage éndouucsataivme.ènent à poser l’analyse fondamentale du passage d’une forme scolaire à une forme
La coéducation, la responsabilité partagée en éducation ne paraissent en aucun cas appeler on ne sait quelle dissolution de l’école, comme peuvent l’avancer divers idéologues conservateurs, mais paraissent repositionner l’école dans un environnement éducatif beaucoup plus ample quant à ses assises et ses objectifs. L’école nous semble alors partiellement redéfinissable. Outre ses missions de transmission et d’appropriation des savoirs et de développement des compétences, elle voit alors sa place et son sens renforcés en tant que lieu et temps d’organisation des connaissances acquises au sein de l’éducation non formelle et informelle.
Participant à la fois d’une permanence et d’un changement, une (école repositionnée ) se situe parfaitement dans la perspective historique du construit républicain. Car les montages partenariaux observés ne sont en aucun cas un élément de brouillage des rôles et des fonctions mais un moyen de redéfinition, dans une postmodernité incontournable, du positionnement de chaque institution. Il s’agit alors de déployer l’apparition démocratique de nouveaux acteurs, eux-mêmes réfléchissant à leurs pratiques en évolution.
… et de nouvelles règles du jeu pour « l’homogénéisation/différenciation»
Reprenons ici, dans un premier temps, une grille d’analyse de la sociologie durkheimienne, le classique structuro-fonctionnalisme qu’A. Touraine qualifiait de sociologie « conservatrice?» :
« L’éducation est avant tout le moyen par lequel la société renouvelle perpétuellement les conditions de sa propre existence. La société ne peut vivre que s’i! existe entre ses membres une suffisante homogénéité. L’éducation perpétue et renforce cette homogénéisation en fixant d’avance dans l’âme de l’enfant les similitudes essentielles que suppose la vie collective. Mais d’un autre côté, sans une certaine diversité, toute coopération serait impossible. L’éducation assure la persistance de cette diversité en se diversifiant et en se spécialisant. Elle consiste donc, sous l’un et l’autre de ses aspects, en une socialisation méthodique de la jeune génération »