PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In La Gazette de Montpellier – le 10 avril 2014 :

Accéder au site source de notre article.


Fausse domiciliation ou recours aux dérogations : pour certains parents, tous les moyens sont bons pour choisir le "bon" collège. En cette période de demande d’affectation, La Gazette a enquêté sur les contournements de la carte scolaire. Un phénomène qui augmente en réduisant la mixité sociale des établissements.

Petits arrangements entre amis. Depuis deux mois, Jean (1) paie l’électricité d’Hélène – qui le remboursera par la suite. Fort d’un justificatif EDF à son nom, et d’une simple étiquette scotchée sur la boîte aux lettres de la copine, il va domicilier son enfant au centre-ville et l’inscrire au collège Joffre. Ainsi, Jean devrait éviter à son fils le collège auquel son véritable domicile est rattaché, celui de la Croix-d’Argent, dont il a une "mauvaise image".
Avec l’arrivée du printemps, certains parents plongent avec angoisse dans des manœuvres de contournement de la carte scolaire plus ou moins licites – et plus ou moins efficaces. C’est en mars-avril que se font, en effet, les demandes d’affectation en collège – 26 au total à Montpellier, publics ou privés. Pour la majorité des familles, pas de problème, le petit ira dans l’établissement de "secteur", le plus proche du domicile.
Mais pour une importante minorité, en progression ces dernières années, le "bon" collège est ailleurs. Pourquoi ne suivent-ils pas l’itinéraire sectorisé ? Comment s’y prennent-ils pour en sortir ? Et quelles sont les conséquences collectives pour la mixité sociale des établissements et la réussite scolaire ? Encore faut-il connaître la règle du jeu avant d’essayer d’en cerner les enjeux. D’autant que cette règle a sensiblement évolué. Souvenez-vous : en 2007, Nicolas Sarkozy a fait campagne pour la suppression de la carte scolaire. Une fois élu, face à la complexité de la réforme, son ministre Xavier Darcos a renoncé à la suppression – le principe général reste la sectorisation, mais "assouplit" la carte en facilitant les dérogations (voir ci-contre) en collège et lycées.

Ghettoïsation. "C’était une mauvaise réforme, juste pour satisfaire le consumérisme parental", fustige Bernard Duffourg, secrétaire régional du Snes-Fsu, le syndicat majoritaire chez les enseignants. Certes, l’assouplissement était prononcé au nom de la sacro-sainte liberté de choix des familles.
Mais l’argument technique, celui de la "transparence", n’était pas si mauvais. Fini les magouilles entre initiés, qui avaient déjà les clés pour entrer dans les plus beaux bahuts, bonjour le droit de tous à orienter son enfant selon des motifs de dérogation clairement affichés. Ce qui suppose "l’information des familles", en présentant sur les sites Internet des rectorats les résultats aux exa- mens de chaque établissement, ainsi que le prévoyait la réforme. Au-delà de cet objectif libéral, l’assouplissement de la carte scolaire visait aussi à "favoriser l’égalité des chances et la diversité sociale dans les collèges et lycées". En clair, le gouvernement Sarkozy pensait que les jeunes méritants issus des quartiers profiteraient des dérogations – au titre de "boursiers sociaux" ou de "parcours scolaires particuliers" – pour aller dans les meilleurs établissements.
Malheureusement, il semble que cela ne soit pas du tout passé ainsi. Au mieux, "la réforme n’a pas changé grand-chose, car les dérogations ne sont pas très nombreuses et profitent plutôt à la classe moyenne", observe Jérôme Fournier, professeur d’histoire à Paulhan et secrétaire départemental du syndicat SE-Unsa.
Au pire, "l’assouplissement a eu tendance à aggraver les difficultés des établissements défavorisés, voire à les ghettoïser, en encourageant la fuite des bons élèves", affirme Arnaud Roussel, secrétaire héraultais du Snes-Fsu.
Nous aurions aimé avoir également l’avis du rectorat. Mais malgré nos multiples sollicitations, la directrice des services académiques n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Reste un bilan national qui confirme "les effets négatifs" de la réforme, comme dit le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon [ancien ministre depuis mercredi 2 avril 2014, remplacé par Benoît Hamon, NDLR].
Remis l’an dernier, ce rapport constate une certaine hausse des demandes de dérogation. De 6 % en 2006, elles sont passées à 11 % en 2012. Mais ce ne sont pas les familles les plus modestes qui ont profité de l’assouplissement. À peine 4 % des élèves boursiers sollicitent une dérogation au collège. Parce qu’en général, les familles à faible revenu "ne sont pas en mesure d’opter pour un établissement éloigné de leur domicile". Par ailleurs, "les dérogations ont renforcé des déséquilibres existants ou en ont créé des nouveaux". On n’est pas loin de la ghettoïsation évoquée localement par le Snes-Fsu…
"Au collège Arthur-Rimbaud, par exemple, dans le quartier montpelliérain de Celleneuve, la mixité sociale et scolaire a tendance à diminuer, dénonce le syndicaliste Arnaud Roussel. Car la plupart des familles de Juvignac et Saint-Georges-d’Orques, qui y sont rattachés, font tout pour l’éviter." Idem pour le collège Les Garrigues, dans le quartier pailladin des Hauts-de-Massane, "fui en masse" par des voisins grabellois plus aisés. Pourquoi un tel ostracisme, qui touche plus particulièrement les collèges des quartiers populaires ? Le mot qui revient le plus souvent, c’est celui de peur. "Les parents ont peur. Peur de la racaille, comme ils disent, peur de la drogue et de la violence, peur des colorés et des crépus, peur de l’échec scolaire", soupire Martine Deldem, bénévole à la Fédération des conseils de parents d’élève (FCPE) – et maman de trois enfants, trois quadras passés par le collège Les Garrigues, dans le quartier pailladin des Hauts-de-Massane, trois quadras qui ont fait des études supérieures, et sont devenus, malgré les préjugés, créateur de société informatique, gestionnaire de réseau et banquière…

Réussite. "Trop souvent, les choix des parents se fondent sur des rumeurs délirantes", regrette le syndicaliste Bernard Duffourg. "L’information des familles", en particulier sur les résultats aux examens, était pourtant prévue par la réforme. Quitte à dresser "des palmarès peu compatibles avec la notion d’égalité du service public".
Mais sur le site Internet de l’académie, le taux de réussite au brevet des collèges n’est pas évident à trouver. Et au sein d’un tableau fort compliqué, il n’est pas expliqué que ce "taux de réussite global" est plus ou moins gonflé par les notes de contrôle continu – l’indicateur le plus pertinent étant sans doute le "taux de réussite à l’écrit", également fourni sans aucun décryptage.
On sent bien que l’Éducation nationale n’assume qu’à moitié l’assouplissement de la carte scolaire. D’ailleurs, le ministre Vincent Peillon a officiellement demandé à la dernière rentrée de réduire l’octroi de dérogations, notamment les "parcours scolaires particuliers" – des options rares, linguistiques (russe, chinois, etc.) ou musicales, souvent utilisées pour zapper le collège de secteur. Mais le contournement de la carte scolaire ne se limite pas aux dérogations. Il y a aussi la technique illégale de la fausse domiciliation, chez un ami complaisant, un parent, ou un ex-conjoint. L’achat d’un studio, déclaré comme résidence principale de l’enfant. Ou, en toute légalité cette fois, le recours aux établissements privés : dans l’Hérault, 18 % des élèves de collèges et lycées sont dans le privé. Au total, donc, plusieurs milliers d’Héraultais font leur scolarité hors de l’établissement sectorisé. Reste que, pour les syndicats d’enseignants, "le vrai problème, ce n’est pas l’assouplissement de la carte scolaire, mais le renforcement de l’éducation prioritaire". À Montpellier, ces collèges "prioritaires", dotés de moyens supplémentaires parce qu’ils ont plus de difficultés sociales et scolaires que les autres, sont Les Garrigues, Las Cazes, Les Escholiers-de-la-Mosson et Arthur-Rimbaud. Tous particulièrement évités par une partie des familles, réduisant toujours plus la mixité en un véritable cercle vicieux. "Après les coupes des années Sarkozy, il faut augmenter les moyens humains et financiers de l’éducation prioritaire, revendique Bernard Duffourg, le secrétaire régional du Snes-Fsu. Pour mieux payer des équipes très impliquées, créer des pédagogies adaptées, et redonner de l’attractivité à ces établissements."

Quartiers. C’est un peu ce qu’envisage le gouvernement sous la forme d’un plan en faveur des réseaux d’éducation prioritaire (Rep). Un nouveau label vient d’être créé : Rep +, pour les établissements particulièrement aidés. En bénéficieront, dans la région, Les Escholiers-de-la-Mosson et Las Cazes à Montpellier, Diderot et Condorcet à Nîmes. "Ça va dans le bon sens, mais il faudrait une vingtaine de Rep + dans l’académie, notamment à Béziers, et non pas quatre seulement…"
Autre solution de fond : redessiner la carte scolaire pour assurer plus de mixité. "Nous demandons la resectorisation de tout Montpellier, annonce Jérôme Fournier (SE-Unsa). Mais la clé du problème, c’est, en amont, la structuration des quartiers. Antigone a été conçu pour une diversité d’habitants. Ce n’est pas le cas du Petit-Bard."

Olivier Rioux
(La Gazette de Montpellier n° 1340 du jeudi 20 février 2014)

 

Rabelais : pas touche à la carte !

"Les parents du collège Rabelais ne veulent pas aller à Las Cazes." Plusieurs familles, notamment dans le quartier du Petit-Bard, sont en train de se mobiliser contre la resectorisation de leur secteur. Ils craignent que leurs enfants ne soient transférés vers un "collège ghetto".
Ben ça alors ! En pleine enquête sur la carte scolaire et ses discrets contournements, La Gazette est tombée sur un pataquès relativement explosif. Contacté par le journal, le Conseil général a finalement différé d’un an la resectorisation envisagée. Mais le problème n’est pas résolu pour autant.

Hémorragie. Il faut savoir que le collège François-Rabelais a été ouvert en 2005, près du Conseil général et du tout nouveau quartier de Malbosc. Cette ouverture a provoqué une modification de la carte scolaire. Ainsi qu’une hémorragie des effectifs du collège Las Cazes, situé dans le quartier des Cévennes tout proche, et victime de sa mauvaise réputation. Parallèlement, les collégiens domiciliés à Malbosc ont afflué vers Rabelais sans que leur nombre ne soit bien anticipé. Résultat : "On se retrouve avec un collège Rabelais archi-plein. Alors que Las Cazes, qui a une capacité de 850 élèves, n’en contient actuellement que 317", résume Pierre Morel, vice-président du Conseil général, en charge de l’éducation.
Voilà pourquoi le Conseil général, responsable de la sectorisation des collèges, a souhaité modifier la carte scolaire. Le principe : réduire le secteur rattaché à Rabelais. La réalisation : les élèves scolarisés dans les écoles primaires Armstrong (Petit-Bard, Pergola), Combes (Conseil général), Delteil (Alco), seront désormais dirigés vers le collège Las Cazes. Et ceux habitant le quartier des Gémeaux (la Paillade) seront affectés au collège des Escholiers-de-la-Mosson.

Inquiets. Jusqu’à ces derniers jours, ce schéma était prévu dès septembre prochain pour les élèves entrant en 6e (et eux seuls). Soit autour de 150 jeunes. Mais la mobilisation de plu- sieurs familles, autour de la FCPE, a fait reculer le Conseil général. "Les parents sont très inquiets, rapporte Claude Aïqui-Reboul, président héraultais de la Fédération des conseils de parents d’élèves. À Rabelais, leurs enfants bénéficient d’une certaine mixité grâce à l’apport de la classe moyenne résidant à Malbosc. À Las Cazes, ils redoutent que leurs petits n’ajoutent de la difficulté à la difficulté, en tirant l’ensemble vers le bas. Sans parler du temps de trajet qui va doubler." Questionné par La Gazette à ce sujet, le vice-président du Conseil général a senti que les esprits n’étaient pas mûrs. "Nous reportons le projet d’un an, le temps de mieux informer les familles, nous a confié Pierre Morel deux jours après l’interview. L’image de Las Cazes est totalement faussée. On va leur montrer qu’ils font un travail fantastique. Et qu’ils peuvent, bien sûr, s’améliorer."
Ça tombe bien : la FCPE a des idées d’amélioration. Notamment la création à Las Cazes d’une 6e bilangue allemand et espagnol. "On souhaite aussi reparler de la resectorisation elle-même", lâche Claude Aïqui-Reboul. Mais faut pas rêver : "Il n’y a pas d’alternative, affirme Pierre Morel. On ne va pas construire un autre collège."

Olivier Rioux

 

 

Jérôme Fournier, secrétaire départemental du syndicat Se-Unsa.

 

 

 

 

Claude Aïqui- Reboul, président héraultais de la FCPE.

 

 

 

 

 

Bernard Duffourg, secrétaire régional du Snes-Fsu.

   

Print Friendly

Répondre