In L’Expresso – le Café pédagogique – le 11 février 2014 :
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"Il n’est plus possible d’en rester à la situation actuelle tant l’échec scolaire précoce masculin est précoce et pèse sur notre société". Spécialiste des inégalités de genre et particulièrement des difficultés scolaires des garçons, Jean-Louis Auduc propose quelques modifications aux ABCD de l’égalité pour les rendre plus efficaces.
Les ABCD de l’égalité veulent combattre les stéréotypes assignant à résidence dans un certain rôle social les filles et les garçons. C’est une entreprise louable, indispensable , mais pour qu’elle soit efficace, il apparaît indispensable d’y apporter un certain nombre de modifications, et ce dans trois directions, sinon elle risque de ne pas réussir ces objectifs.
Eviter de développer dans les ABCD les stéréotypes
Prétendre lutter contre les stéréotypes filles-garçons et avoir un site internet , comme celui des ABCD de l’égalité où n’apparaissent que des intervenantes femmes, c’est totalement contre-productif. Cela ne peut conforter chez ceux qui le consultent l’idée que les femmes sont faites pour l’enseignement et la petite enfance alors que la présence dans ces secteurs de référents masculins est nécessaire.
De plus, tous les documents évoqués sur le site traitent de questions relatives aux filles. Il n’y en a aucun , ce qui est anormal, concernant le mal du système éducatif français : l’échec scolaire précoce des garçons . En France, plus d’un garçon sur quatre n’atteint pas, en 2012, le niveau de compétence en compréhension de l’écrit, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel, alors que cela ne concerne qu’une fille sur dix ! Les résultats de PISA 2012 indique clairement: « En France, l’écart de performance en compréhension de l’écrit entre les sexes s’est creusé entre les cycles PISA 2000 et PISA 2012, passant de 29 à 44 points de différence en faveur des filles. » . Comme le rappelait le rapport sur la refondation de l’Ecole de la République « Les garçons fournissent les plus grosses cohortes des victimes du décrochage scolaire…» (1)
Mettre en avant pour les élèves un horizon leur permettant d’aller le plus loin possible de leurs potentialités
Un travail mené en école primaire concernant les métiers futurs ne peut que se placer dans une situation prospective par rapport au moment où les élèves vont être confrontés à l’orientation , c’est-à-dire dans dix ou quinze ans. Il faut aussi se projeter dans le fait d’une scolarité longue, riche de potentialités pour tous les élèves . Il est donc dangereux de mettre en avant des métiers peu ou non qualifiés devant des élèves qui arriveront pour leur quasi-totalité au niveau du baccalauréat ( où sont déjà 85% des filles ) et pour une forte majorité diplômés du supérieur ( déjà obtenus par 55% des filles).
C’est d’autant plus important qu’un certain nombre de métiers très qualifiés seront féminisés dans 10/15 ans à 75/80% compte tenu des flux actuels de recrutement : professeur ( e ) s, chefs d’établissements, assistant ( e) s social (e ) s, conseiller ( e )s d’orientation, infirmièr (e )s, avocat ( e ) s, magistrat ( e ) s, médecins, pharmacien ( ne) s, dentistes, vétérinaires, architectes, ….. Il serait nécessaire pour tous ces métiers de prévoir des interventions d’hommes les exerçant pour donner aux jeunes garçons l’envie d’y aller.
L’orientation dans les CAP et l’apprentissage après la 3e qui concerne moins d’une fille sur 10 et un garçons sur quatre n’est pas liée à des stéréotypes garçons/filles, mais à une dévalorisation profonde de la voie professionnelle où l’orientation est hélas, une orientation par l’échec et basée sur les résultats scolaires des élèves. Elle concerne avant tout des garçons, car à 14 ans, les filles sont pour plus des deux-tiers en troisième contre la moitié des garçons qui, à cet âge, sont environ un tiers à être encore en quatrième.
D’ailleurs la réussite scolaire des filles fait que ces dernières années un certain nombre de métiers peu ou pas qualifiés liés aux soins ou à la petite enfance ont vu un recrutement massif de personnels féminins n’ayant pas fait une seule année de scolarité en France.
Une valorisation de la voie professionnelle s’impose, mais c’est une autre question que les stéréotypes filles-garçons. Elle nécessite de mettre en avant les réussites qui s’y construisent et en modifiant le processus d’ orientation vers cette filière qui permet d’affecter des élèves dans des formations non choisies. Evitons d’évoquer des métiers peu qualifiés , notamment en direction des garçons, poussons les filles et les garçons le plus loin possible de leurs potentialités.
Mener en même temps des actions pour l’égalité femmes-hommes et pour combattre l’échec et le décrochage scolaire frappant massivement les garçons
Construire l’égalité doit aussi passer par le combat contre l’échec scolaire précoce, notamment dans l’apprentissage de la lecture. On continue à parler de 15 à 20 % environ « d’élèves » ne maîtrisant pas les fondamentaux de la lecture au sortir de l’école primaire en oubliant de dire le plus souvent que cela concerne près de 30% des garçons ! Toutes les statistiques montrent que les filles durant leur scolarité lisent plus vite et mieux que les garçons, redoublent beaucoup moins qu’eux à tous les niveaux du système éducatif, échouent moins dans l’obtention de qualifications, ont plus de mentions à tous les examens et diplômes, du second degré comme du supérieur.
Cela devrait incliner à mettre en œuvre des stratégies adaptées, des pédagogies différenciées à l’apprentissage de la lecture pour les uns et pour les autres dans le cadre de classes mixtes.
Car l’échec scolaire, le décrochage scolaire qu’elle peut produire, contribue au développement de comportements violents et empêche le développement d’un vivre ensemble harmonieux. Prendre conscience de l’échec scolaire masculin précoce est un véritable enjeu de société. Faire réussir tous les élèves, quel que soit leur genre, peut permettre de diminuer la violence, de rendre le travail sur les stéréotypes plus efficaces. Nous connaissons en France une non-mixité à postériori qui ne pose de problèmes à personne alors qu’elle est le reflet d’un malaise profond, qui se traduit par une présence massive des garçons dans les dispositifs d’aide aux « élèves en difficulté »
Il ne s’agit pas de prôner des classes non-mixtes, mais de mieux penser la gestion pédagogique de la mixité dans le cadre de classes mixtes, pour toujours plus mettre en place les conditions d’un meilleur vivre ensemble. Il n’est plus possible d’en rester à la situation actuelle tant l’échec scolaire précoce masculin est précoce et pèse sur notre société.
Jean-Louis Auduc
Note :
(1) Page 12 du Rapport « Refondons l’école de la République » remis au Président de la République le 9 octobre 2012