In L’Express – le 23 février 2013 :
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Le projet de loi de Vincent Peillon pour l’école ne fait pas assez de cas de la mixité sociale, assurent trois grands noms de l’éducation. Pour L’Express, Jean-Pierre Obin, Maya Akkari, Jacqueline Costa-Lascoux signent cette tribune, et défendent un ajout au code de l’éducation, dans le cadre de l’examen de la loi d’orientation sur l’école, au Parlement le 11 mars.
Le Parlement doit examiner le mois prochain le projet de loi d’orientation et de programmation sur l’Ecole, dont l’objectif principal est "une école à la fois juste pour tous et exigeante pour chacun", selon l’exposé des motifs.
La justice est un principe politique fondateur de notre nation et donc de notre Ecole, mais il est aussi, au regard des enquêtes internationales sur l’éducation, une condition nécessaire à sa performance. Ces enquêtes prouvent que justice scolaire ne rime pas seulement avec moyens budgétaires. Certes, l’encadrement des élèves est un paramètre important, et les milliers de nouveaux postes dirigés par Vincent Peillon vers le primaire, qui était jusqu’à maintenant insuffisamment doté, vont dans le bon sens. Mais les études nationales et internationales montrent qu’accroitre le nombre de professeurs n’est pas suffisant pour améliorer les performances des élèves.
Des établissements ghettoïsés
La mixité des niveaux scolaires, et donc la mixité culturelle et sociale au sein des établissements et des classes, est un facteur de réussite tout aussi important. Rassembler les élèves en difficulté dans un même établissement, une même classe ou un même regroupement pédagogique pérenne ne favorise pas leurs progrès. Mettre en place des classes hétérogènes l’autorise, et sans nuire à la scolarité des meilleurs élèves. Les pays qui ont su entretenir la mixité scolaire et sociale de leur Ecole sont aussi ceux qui disposent de l’élite la plus reconnue. Toutes les études actuelles concordent, justice et réussite pour tous font très bon ménage, à l’échelle d’un pays comme à celle d’une classe.
Il est également important d’affirmer le principe de mixité pour une autre raison, fondamentale pour notre société. C’est en effet à l’école que les enfants apprennent à vivre ensemble, à connaître, à respecter et à aimer leurs différences, à s’entre-aider et à s’enrichir mutuellement, et à devenir des citoyens en partageant des valeurs communes. Dans une société sécularisée et démocratique, l’idée-même d’une société unie et pacifiée repose donc sur la mixité de l’Ecole.
La France est malheureusement loin du compte. Nos établissements sont de plus en plus ghettoïsés, et cette évolution, déjà favorisée par un enseignement privé totalement libre de choisir ses élèves, a été aggravée par l’assouplissement de la carte scolaire décidé par la droite en 2007. De plus, en leur sein, la composition des classes ne respecte pas toujours le principe de l’hétérogénéité ; le jeu des options (latin, allemand…) et des classes à programmes ou horaires aménagés (européennes, bilingues, musique, découverte professionnelle, etc.), ainsi que la pression des familles les plus favorisées pour mettre en place des classes de niveau, constituent autant de freins à la mixité scolaire.
Pas de naïveté
Or ce principe n’est actuellement affirmé ni dans le code de l’éducation ni dans le projet de loi proposant de l’amender. On trouve certes, dans le rapport annexé à ce projet, une réflexion sur la carte scolaire mentionnant l’objectif de mixité sociale des établissements ; mais le principe de mixité doit être plus général et s’appliquer à bien d’autres aspects que l’affectation des élèves, en particulier à la composition des classes et à la pédagogie. C’est pourquoi il nous semble important qu’il figure au premier article du code de l’éducation, celui qui définit les valeurs sur lesquelles est fondée notre Ecole. Nous espérons que le travail parlementaire permettra cette précision importante.
Nous ne sommes pas naïfs, la mixité scolaire ne sera pas aisée à rétablir ou à maintenir. La proclamation du principe devra être accompagnée dans le pilotage des établissements et par un renouveau pédagogique dans les classes. Des mesures de régulation et d’incitation devront être prises par l’Etat et les collectivités, et un plan ambitieux de formation mis en place afin que les enseignants, les inspecteurs et les chefs d’établissement adoptent et favorisent les méthodes pédagogiques fondées sur l’aide mutuelle et la coopération entre élèves.
L’éducation est aujourd’hui dans le monde le facteur le plus favorable au développement économique, social et culturel. L’Ecole d’une France forte sera celle qui verra demain la mixité comme une richesse. Chacun de nous et tous ensemble avons intérêt à la mixité scolaire.
Proposition d’un nouvel alinéa de l’article L111-1 du code de l’éducation
"Afin de favoriser à la fois la réussite scolaire et l’intégration sociale de tous les élèves, les mixités sexuelle, sociale, culturelle et scolaire sont encouragées à tous les niveaux du service public d’éducation. Les procédures d’orientation et d’affectation des élèves, de composition des classes ou des groupes et de répartition des moyens contribuent à cet objectif. La connaissance des méthodes pédagogiques fondées sur l’aide mutuelle, le travail en équipe et la coopération entre élèves participe à la formation des enseignants."
Cet amendement a été repris par le Conseil économique, social et environnemental dans son avis sur le projet de loi adopté le16 janvier 2013.