In Les Cahiers Pédagogiques – n°491 :
Accéder au site source de notre article.
Avec l’arrivée d’un nouveau chef d’établissement, en 2010, notre collège a pris un second souffle en pédagogie. L’année précédente, j’avais commencé à coordonner, sans réelle directive, l’élaboration d’un livret personnel de compétences (palier 3) : les enseignants y avaient participé selon leur disponibilité en s’aidant des grilles de références mises à disposition en 2009 sur le site Eduscol. Quand je lui ai présenté l’ébauche de notre projet, notre chef d’établissement y a immédiatement adhéré et m’a demandé de coordonner la mise en œuvre de ces livrets de compétences dès la pré-rentrée 2010, avec l’objectif suivant : améliorer les livrets de compétences en tant que système d’évaluation et de validation pour en faire des outils pédagogiques quotidiens de l’équipe enseignante et un moyen de communication avec la famille. Toutes les décisions de mise en œuvre ont été approuvées par l’ensemble de l’équipe enseignante : bon gré, mal gré parce que nous n’étions pas tous impliqués avec la même motivation, ce projet a été in fine fédérateur et source de mutualisation.
Concevoir un livret de compétences
Tout le travail fourni les mois précédents, qui nous avait amenés à la création de notre propre livret de compétences, nous a permis un regard critique sur notre approche. Après concertation, l’équipe enseignante a choisi le livret personnel de compétences telle qu’il est proposée par le ministère de l’Éducation nationale, version plus succincte, mais officielle.
Notre projet est ambitieux : nous souhaitions le remettre deux fois par an aux familles, en début et milieu d’année. Chaque élève aurait deux livrets dans sa scolarité au collège : un livret le suivrait de la 6e à la fin de la 4e, en tant que document interne de communication avec les familles, et un autre livret pour la 3e, en tant que document officiel pour le brevet des collèges.
En vue de faciliter la validation des compétences, nous avons décidé d’adapter la présentation du livret en y insérant des colonnes supplémentaires. Nous avons privilégié une notation par abréviations empruntées au 1er degré : A (compétence acquise), EA (compétence en cours d’acquisition) et NA (compétence non acquise). Pour les 6es, 5es et 4es, nous utiliserions les trois niveaux d’évaluation ; pour les 3es uniquement « acquis » et « non acquis » afin de répondre aux exigences du brevet qui demande une validation binaire. Nous avons préféré concevoir un document avec des cases à cocher, plus rapide à remplir, car nous pressentions déjà que ce temps d’évaluation serait une charge supplémentaire. Dans notre établissement de petite taille, bon nombre d’entre nous sont seuls à enseigner leur discipline, ce qui favorise l’interdisciplinarité. Les échanges se font aisément d’un professeur à l’autre, d’une discipline à l’autre. Comme le dialogue est ouvert, nous n’hésitons pas à discuter d’une validation, voire à revenir dessus et à argumenter à ce propos. Pour le moment, aucune querelle à cause de cette façon de faire. Puisqu’il s’agit de compétences transversales, l’idéal serait d’obtenir un accord collégial pour chaque validation. Cette approche pourrait bouleverser le déroulement des conseils de classe pour le recentrer sur les compétences.
Une mise en œuvre qui suscite des questions
Dès septembre, devant la difficulté à en faire un copier-coller à partir du livret fourni par l’institution, j’ai dactylographié l’ensemble du livret personnel. À partir de ce support numérique, nous avons pu centraliser la répartition des compétences prises en charge par chaque enseignant. Nous avons donné priorité à la classe de 3e. Le rôle du chef d’établissement a été essentiel pour rappeler à chacun les échéances et les impératifs pédagogiques, car je refusais de me l’attribuer. Il a été l’interlocuteur privilégié sans lequel, je pense, j’aurais sans doute abandonné le projet. À quelques jours de la journée pédagogique du 15 décembre, la répartition des items était de fait hétérogène : quelques professeurs prenaient en charge une trentaine d’items alors que d’autres n’en suivaient aucun, invoquant leur manque de disponibilité. La majorité des professeurs du collège enseignent sur deux établissements, ce qui ne facilite pas le travail en équipe. Pour éviter de céder à la réunionite aigüe, une correspondance « inter-casiers » a été mise en place, pas toujours simple à gérer et parfois décourageante. Cependant, peu à peu, j’ai recueilli nombre de questions qui expliquaient l’apparent manque d’investissement de quelques-uns : comment évaluer et quel temps faudra-t-il y consacrer ? Quels exercices pour quelles compétences ? Comment croiser les avis des enseignants ? Que devient la notation ? Comment justifier un « non-acquis » auprès des parents ? N’y a-t-il pas des regroupements à faire ? Usine à gaz et perte de liberté pédagogique ? Comment cibler plus précisément certaines compétences trop générales ?
Une journée de formation
Une partie de la journée pédagogique a été consacrée au socle commun. Elle nous a permis, avec le chef d’établissement, de définir des objectifs à atteindre, de clarifier les notions de compétences transversales, interdisciplinaires et disciplinaires, que notre travail d’équipe utilisait déjà sans pour autant en maitriser les termes. Malgré notre souhait, nous n’avons pas eu le temps d’améliorer la répartition des items de compétences. La reformulation des compétences transversales en compétences disciplinaires a trouvé sa réponse dans les grilles de références mises à disposition par le site Eduscol. Nous avons rappelé qu’il était essentiel d’indiquer les compétences visées lors des évaluations sommatives en les reformulant ou non en compétences disciplinaires et qu’une compétence pouvait à la fois être évaluée de façon chiffrée et cochée dans le livret à cet effet. Les compétences qui seraient non acquises pour certains élèves feraient l’objet d’une remédiation soit de notre part, soit au lycée avec l’accompagnement personnalisé.
Pour le moment, la version numérique proposée par le ministère ne nous est pas accessible (sans doute parce que nous sommes un établissement privé sous contrat ?). Il nous a fallu nous résigner à notre première approche : remplir les livrets à la main pour le 15 janvier 2011 pour que la professeure principale de 3e puisse les commenter et remettre aux familles lors de la réunion parents-professeurs de fin janvier. Cette expérience a été une véritable course contre la montre. Au bout du compte, chacun, avec ses contraintes professionnelles, a joué le jeu pour être à jour, et nous pouvons dire que notre collège est sur la voie de l’école du socle commun.
Mais il faudra faire des choix !
Le sentiment général reste inchangé : le livret de compétences est un double emploi par rapport aux bulletins trimestriels et « une usine à cases ». L’Éducation nationale devrait opter pour l’un ou pour l’autre de façon définitive. Ce livret demeurera une véritable contrainte si notre façon d’enseigner et d’évaluer n’évolue pas. Il faut se répartir en amont les items, en fin d’année pour l’année suivante, afin de pouvoir préparer nos programmations pédagogiques en conséquence. Il est essentiel de garder à l’esprit que nos progressions s’adaptent à nos élèves : nous ne pourrons valider les items pour tous au même moment puisque nous avons des groupes-classes par définition hétérogènes. Comme il faut prévoir des moments de remédiation pour que chacun d’entre eux puisse acquérir ces compétences, c’est à nous de rendre notre progression plus souple.
Le nœud du problème se situe bien au niveau des exigences des prescriptions officielles : nous ne pouvons pas mener de front deux approches pédagogiques qui ne suivent pas le même objectif. La liberté pédagogique nous semble parfois illusoire : terminer le programme et prendre en compte chaque élève, tout en sachant que notre quota horaire n’est pas élastique. Au sein de notre collège, nous avons donc commencé à mettre en place des ateliers « coup de pouce » en français et mathématiques sur le temps du midi pour tenter de remédier à cette situation. Nous prévoyons également de banaliser des demi-journées pour valider le niveau A2 du Cadre européen commun de référence en langues, et faire passer les oraux d’histoire des arts. Ici il faut relever les illusions de l’autonomie des établissements : le nombre d’heures supplémentaires est restreint, le volontariat est de mise. Le chef d’établissement envisage de proposer des heures hors contrat pour faciliter le dédoublement et la pédagogie différenciée pour l’année scolaire 2011-2012.
Nous avons également besoin de formation professionnelle. Les enseignants ne se sentent pas formés pour construire leurs cours à partir des compétences du socle commun et proposer des évaluations qui valident clairement ces compétences. Comment enseigner par compétences alors que chaque professeur n’est spécialiste que d’une discipline ? Idéalement le groupe-classe devrait s’ouvrir et être remanié en groupe de compétences. Devons-nous devenir des enseignants en compétences et non plus des enseignants de disciplines ? Le socle commun nous oblige à être pointus dans notre discipline et en pédagogie, rejoignant ainsi les dix compétences professionnelles de l’enseignant. Notre métier subit une grande métamorphose à laquelle nous ne sommes pas tous préparés.
En attendant de trouver des réponses à ces questionnements profonds, nous prévoyons de renseigner les livrets personnels de compétences de la classe de 3e pour les élèves de 4e à partir du troisième trimestre pour alléger notre travail d’évaluation. La répartition des items – qui reste inégale parce que nous n’avons pas trouvé le temps de la remanier – est accrochée sur le panneau « pédagogie » de la salle des professeurs. L’ensemble des livrets y est également mis à disposition afin que nous puissions nous y référer quotidiennement. Même si penser par compétences n’est pas encore devenu un réflexe dans tous les domaines d’enseignement, elles deviennent partie intégrante des sujets d’évaluation, ou de leur restitution. Notre problème désormais est de mettre en œuvre les livrets de compétences pour chaque niveau du collège. Le souhait de notre chef d’établissement va dans ce sens. Nous prévoyons d’opter pour un agenda en ligne qui nous permettrait d’entrer toutes les compétences en mode numérique. Ce travail de préparation s’annonce fastidieux, car chaque item de compétence doit être pris en charge par un professeur et renseigné comme tel dans cet agenda. En attendant cette échéance, le chef d’établissement a montré le travail que nous avions déjà fourni à un autre collège de proximité dont l’équipe enseignante semble moins à l’aise avec l’élaboration du livret de palier 3. Nous avons le sentiment que c’est l’opportunité d’être un établissement à échelle humaine, qui nous permet de mettre en place avec plus de facilité les différentes réformes, dont celle du socle commun.
Laetitia Ferrari
Professeure de lettres modernes