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EDITORIAL
Jean Paul Delevoye, médiateur de la République
Le burn out de la société française trahit un besoin urgent de bâtir de nouvelles espérances à la hauteur des efforts fournis. La fébrilité du législateur trahit l’illusion de remplacer par la loi le recul des responsabilités individuelles et de la morale. Le maintien sous perfusion de citoyens assistés permet de soulager nos consciences mais pas de résoudre nos problèmes.
Les enjeux déterminants pour notre avenir ne trouvent pas de réponse politique à la hauteur. Les débats sont minés par les discours de posture et les causes à défendre noyées parmi les calculs électoraux. Or, les ressorts citoyens sont usés par les comportements politiciens.
Paradoxe : jamais l’engagement individuel et collectif n’a été aussi nécessaire, jamais le découragement et la lassitude n’ont été aussi grands.
Le général de Gaulle l’exprimait en ces termes :
« Quand les Français croient en la grandeur de la France, ils font de grandes choses ; quand ils se sentent abandonnés ils font de petites choses ».
Les confrontations politiques sont fictives car le réel clivage n’est plus entre la droite et la gauche mais entre ceux qui acceptent la mondialisation et ceux qui la récusent. La conquête du pouvoir oblige à des alliances contre nature : les convictions s’effacent lorsque les inté rêts s’entrechoquent ; les convictions s’effacent également lorsque les intérêts convergent !
Nous ne sommes pas racistes mais réticents à partager avec ceux qui n’ont rien. Nous sommes pour la mixité sociale à condition de ne pas être embêtés ou gênés par nos voisins. Nous sommes pour la gratuité, celle dont on profite et non celle que l’on finance. Il nous faut retrouver le combat pour les causes alors que nous pensons tous à la défense de nos intérêts et à la préservation de notre confort. Les politiques, aujourd’hui, suivent l’opinion plus qu’ils ne la guident, tandis que les opinions, soumises aux émotions plus qu’aux convictions, sont volatiles. Cela me désole, cela m’inquiète !
Nos sociétés sont régies par trois grands sentiments – les peurs, les espérances, les humiliations – ; les espérances actuelles sont creuses et fragiles tandis que les droites gèrent les peurs, les gauches cultivent les humiliations. Chaque camp pouvant gagner alternativement dans l’euphorie de la victoire d’un jour pour une France qui descendra de division à chaque élection et progressera pas à pas vers les populismes et les extrémismes.
Notre contrat social n’est pas un contrat de services mais d’engagement. Or, aujourd’hui la citoyenneté décline des deux côtés : celui qui paie l’impôt a perdu la
dimension citoyenne de l’impôt et, s’il y consent encore, s’estime néanmoins lésé. De même, celui qui bénéficie de la solidarité publique a perdu le sens de cette solidarité et, ne recevant pas assez, se sent humilié.
L’éducation, en échec aujourd’hui sur l’acquisition des savoirs, l’aptitude au travail et l’éveil à la citoyenneté, interroge notre système administratif global qui échoue sur sa capacité d’inclusion et devient une machine à exclure.
Nous devons retrouver le sens de l’engagement, de la solidarité de proximité, du partage mais aussi du respect de l’Homme.
Chaque citoyen doit pouvoir être coproducteur du futur. De même qu’il faut éduquer l’enfant en lui montrant son amour par le sens de l’interdit, il faut éduquer un peuple non par la satisfaction de ses désirs mais par le sens des responsabilités. Notre société doit retrouver le chemin des valeurs, sinon ses tensions internes seront suicidaires. Elle sera complètement bouleversée dans les quinze années qui viennent. La démographie va changer la donne politique, économique, sociétale, modifier les équilibres économiques entre épargne et activité, les équilibres territoriaux et sanitaires entre hôpital et domicile, les équilibres financiers entre fiscalité et solidarité, créer une implosion intergénérationnelle ou une dynamique nouvelle. L’immigration nécessaire (l’Union européenne a annoncé que d’ici 2050, la population active européenne nécessiterait, pour atteindre l’équilibre, l’arrivée de cinquante millions d’individus étrangers) pose le problème de l’assimilation, de l’intégration, l’identité, la diversité, du multiculturalisme, de la laïcité, qui selon notre résistance au populisme ou à l’extrémisme produiront des conflits intenses ou une formidable réussite collective.
La compétitivité de la France nous permettra de garder notre rang de puissance économique ou nous fera reculer et risquer l’explosion de toutes nos politiques de solidarité.
Les moteurs de la réussite seront la confiance en soi et dans le collectif. Nous devons quitter le champ de l’insouciance pour celui de la lucidité, de la franchise et du courage. Nous devons quitter la culture du conflit, qui ne reflète et ne fait qu’accroître nos faiblesses, pour adhérer à celle du dialogue permanent qui donnera du crédit aux acteurs et du temps à l’action. Il faut en effet passer de la séduction à la conviction, de la détestation à l’adhésion, de l’indignation à la mobilisation pour un projet soutenu par des valeurs qui méritent l’engagement.
L’espoir doit aujourd’hui changer de camp : la main invisible du marché a giflé les plus faibles, la main de fer des collectivistes a broyé la liberté de l’Homme, il nous
faut trouver un nouvel équilibre alliant la performance collective et le bonheur individuel.
S’indigner est une bonne chose, car cela signifie qu’il y a encore assez d’énergie pour se révolter ; mais se mobiliser est encore mieux, car la vie est un combat. « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent, ce sont ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front, ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime », écrivait Victor Hugo.
Partout sur le terrain, isolément, des initiatives formidables se développent, fondées sur les ressorts de la solidarité et de la proximité. Des hommes et femmes conjuguent leurs efforts, recréent du lien et produisent du sens à l’échelle locale. Il s’agit de citoyenneté en action, qui se déroule hors des circuits administratifs et parfois contre eux. Le sommet de Rio a érigé en doctrine le « penser global, agir local ». Ne faut-il pas aujourd’hui inverser cette logique et penser local pour agir global ? Quelle différence entre un homme sage et un homme intelligent ? Un homme intelligent sait sortir d’un problème qu’un homme sage a su éviter. Notre monde a besoin de morale publique. Notre peuple retrouvera confiance en ses élites si elles sont exemplaires.
L’année 2011 doit être celle de l’éthique, de la transparence pour toutes celles et ceux qui exercent le pouvoir, notamment s’agissant des financements et des conflits d’intérêt. L’autorité, pour être acceptée, ne pourra se fonder sur la justification d’un titre ou d’une élection mais reposera sur la dimension morale de celui ou celle qui l’exerce. De plus, les changements ne seront acceptés que si ceux qui sont en première ligne s’en approprient les enjeux.
Les solutions seront bien sûr liées aux décisions politiques : il faut restaurer la politique. La force du changement tient à l’adhésion de l’opinion. Il nous faut construire sur un socle de convictions et non bâtir sur le sable des émotions. Sachons nous poser les bonnes questions : nos problèmes seront à demi résolus.
La crise rend plus sensible et plus irritable l’épiderme collectif mais favorise en parallèle une créativité, une inventivité qu’il faut libérer et non entraver. Notre nation
doit intégrer le fait qu’elle subit la contrainte individuelle et l’innovation locale, que la loi du monde pèse sur son économie et celle du citoyen sur sa capacité d’agir.
Elle peut et doit concilier les deux car sa réussite ne passera que par une mobilisation collective nourrie par un projet d’ensemble et une vision dont les valeurs et les espérances méritent l’engagement de chacun.