In EducPros – le 12 juin 2013 :
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France, si prévisible… Touchez à la question de la langue, les passions se déchaîneront, comme lors du récent débat sur l’enseignement en anglais dans les universités et les grandes écoles. Il en ira de même si vous suggérez que les savoirs académiques se passeront bientôt du cours magistral en présentiel, avec l’émergence des MOOC (Massive Online Open Courses). Ces débats occupent le devant de la scène médiatique depuis plusieurs semaines. Pendant ce temps, une révolution peut-être plus radicale, en tout cas porteuse d’un potentiel considérable, se joue silencieusement. Il faut dire qu’elle touche à deux objets profanes : la main, et la matière.
Apparues aux États-Unis en 2010, les imprimantes 3D sont en train de reconfigurer aussi rapidement que spectaculairement le rapport à la technologie, notamment dans les écoles d’ingénieurs et les filières technologiques françaises. Pas une semaine sans que soit annoncée l’ouverture d’un "fab lab", ces "laboratoires de fabrication" héritiers d’une initiative lancée au MIT dans les années 90. Vous y trouvez de la matière (bois, métal, vinyle, plastique…), de quoi la travailler (fraiseuses, outils de découpe laser, imprimantes 3D donc…) et de quoi modéliser (ordinateurs avec logiciels 3D).
Ces technologies mettent à la portée de toutes les bourses la fabrication d’objets ou de prototypes, sans qu’il soit besoin de s’adresser à des sociétés dédiées ou à des industriels. Dans leur forme idéale, ils sont ouverts à tous. Bricoleurs, inventeurs façon concours Lépine, futurs ingénieurs, étudiants en technologie, lycéens, se côtoient, échangent, résolvent ensemble les problèmes auxquels ils sont confrontés – le fab lab s’inscrit dans la dynamique de l’innovation ouverte (open innovation).
La dissémination de ces fab lab, également baptisés Tech Shop, fédère une mouvance informelle de "doers" ou de "makers" ("fabricants"), dans le monde entier. Le journaliste américain Chris Anderson, rédacteur en chef de la revue culte Wired, qui leur a consacré son dernier livre Makers (Pearsons, 2013), estime que le potentiel de cette révolution excède peut-être celle qu’ouvrit au milieu des années 70 l’invention de l’ordinateur personnel. Il rappelle qu’à l’époque les contempteurs du PC, l’œil rivé sur leurs certitudes, estimaient qu’une machine servant à gérer des paies et de la comptabilité ne trouverait jamais sa place chez des particuliers – l’idée que les usages de l’ordinateur seraient différents de ceux qui prévalaient dans le monde de l’entreprise ne les effleurait pas.
Au moins sait-on déjà une chose des imprimantes 3D : elles fascinent, amusent, intriguent, bref déclenchent le désir, ce qui est tout de même le meilleur point de départ en matière d’enseignement.
Aujourd’hui, avec des machines accessibles à partir de 500 euros, l’imprimante 3D est prête à s’installer dans nos foyers, mais aussi dans nos écoles, nos collèges et nos lycées. Et à réinventer le rapport à l’enseignement de la technologie, ce qui pourrait constituer une bouffée d’air salvatrice pour toutes les formations professionnelles, technologiques et industrielles qui, aujourd’hui, peinent à séduire les élèves, alors même que dans bien des cas l’emploi est au rendez-vous.
Peut-être est-il d’ailleurs préférable, tout bien considéré, que cette révolution se joue silencieusement, si l’on ne veut pas lui voir subir le sort que tant de vaines polémiques ont infligé aux tentatives de réformes des programmes ou de la pédagogie depuis quarante ans.
Cette chronique a été publiée par l’Echo Républicain.