In Le Monde Politique – le 17 mai 2013 :
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Dans un chat au Monde.fr, vendredi, Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, a défendu le projet de loi décentralisation et le maintien d’un statut particulier pour les fonctionnaires.
Arnold W : Vous sentez vous menacé par un remaniement ministériel suite aux multiples cahots de votre ministère (jour de carence, loi décentralisation) ?
Marylise Lebranchu : Sympathique, votre question ! Je ne me sens pas menacée, et pour moi, il y a un principe essentiel : la carrière est un élément qui ne doit pas entrer dans le travail d’un ministre.
Arnold W : Pourquoi voulez-vous supprimer le jour de carence pour les fonctionnaires alors qu’il en demeure trois dans le privé ? Pourquoi ne pas avoir la même règle pour tous les travailleurs ?
Marylise Lebranchu : 77 % des salariés du privé des grandes entreprises, 47 % des salariés du privé des petites entreprises n’ont pas de jour de carence car ils ont un système de prévoyance. Ce système n’existe pas pour la fonction publique, donc la mesure était plus dure pour les fonctionnaires, et enfin, je ne voulais pas ouvrir un chantier de mesures de prévoyance qui n’aurait pas manqué d’être demandé par les organisations syndicales. En revanche, et avec l’accord des organisations syndicales, nous avons mieux encadré les mesures de contrôle.
Je rappelle que les fonctionnaires ont des droits, mais aussi des devoirs (mobilité, obligations, déontologie). Il restera toujours un statut différent pour la fonction publique. D’ailleurs, je présenterai en juillet une réécriture du statut pour réaffirmer les engagements des fonctionnaires, leurs droits, bien sûr, mais aussi leurs règles de déontologie, en rappelant les principes qui sont la probité, l’impartialité, la réserve et la laïcité. Je veux moderniser la fonction publique tout en gardant son statut.
Visiteur : Est-il socialement acceptable de maintenir un écart en terme de pression et d’efficacité entre le privé et le public territorial ?
Marylise Lebranchu : Les fonctionnaires territoriaux, quand on interroge directement les citoyens sur la fonction publique, sont ceux qui sont le plus appréciés. Crèches, écoles, entretien de la voirie, transports en commun, ramassage des déchets, etc. sont des fonctions indispensables. Les fonctionnaires territoriaux ont un salaire médian de 1 890 euros, ce sont les moins bien payés de la fonction publique. Et quand on regarde le transfert de la gestion de l’eau, de l’assainissement, des déchets au privé, à chaque fois, le coût net pour le contribuable-usager est supérieur puisque les entreprises qui prennent ces marchés doivent verser des dividendes à leurs actionnaires, ce qui n’est pas, bien sûr, le cas de la fonction publique.
Visiteur : Le point d’indice de traitement est toujours gelé. A quand le dégel ?
Marylise Lebranchu : Les fonctionnaires subissent effectivement un gel du point d’indice depuis trois ans. C’est pourquoi je trouve si injuste de voir toujours se multiplier les critiques à leur encontre. Compte tenu de la situation des comptes publics, je ne peux pas m’engager sur le dégel, mais en revanche, je veux améliorer la situation des plus basses rémunérations, les conditions de travail et les parcours professionnels. C’est pourquoi, pendant deux mois, j’ai conduit un exercice de consultation des agents ("Innover et simplifier avec les agents publics") qui s’est clos le 30 avril.
Nous étudions, aujourd’hui, les propositions qui ont été faites, en particulier en matière de management des équipes et d’accompagnement à la mobilité.
Didier Cumin : La réforme des retraites va-t-elle aussi toucher les fonctionnaires ? Si la durée de cotisation du privé augmente, augmentera-t-elle aussi pour la fonction publique ?
Marylise Lebranchu : Si le choix est fait, ce que personne ne peut dire aujourd’hui, puisque les partenaires sociaux vont être appelés à discuter entre eux de ce sujet, d’allonger la durée de cotisation, je discuterai aussi avec les organisations syndicales de la fonction publique de ce sujet.
Mais je rappelle que le chantier que nous avons ouvert de réformes dynamiques des parcours professionnels, des carrières, de l’amélioration de l’emploi des seniors et de la reconnaissance de la pénibilité de certaines fonctions permettra de discuter sereinement aussi du dossier des retraites.
Luc Bouvier : Combien de sous-préfectures allez-vous supprimer ?
Marylise Lebranchu : Le ministre de l’intérieur a posé la question de l’existence des sous-préfectures dans les milieux urbains et suburbains, où elles sont très peu "utilisées" par les citoyens qui ont des services publics nombreux à leur disposition ou des moyens de transports en commun. Je suis d’accord avec lui pour que les sous-préfectures en milieu rural soient gardées et ouvertes à d’autres services publics pour devenir des "maisons de services de l’Etat".
"LA DÉCENTRALISATION RESTE UNE PRIORITÉ DE FRANÇOIS HOLLANDE"
Territoire : François Hollande n’a pas mentionné l’importance des territoires lors de sa conférence de presse d’hier. La décentralisation n’est plus une priorité pour le gouvernement ?
Marylise Lebranchu : La décentralisation reste une priorité de François Hollande pour deux raisons. Parce que donner priorité à la croissance et à la compétitivité, c’est reconnaître le rôle des collectivités locales – régions et villes en particulier, mais aussi agglomérations et communautés de communes – dans l’accompagnement des entreprises, dans la recherche de l’innovation, dans l’accompagnement de l’enseignement supérieur. Plus de 70 % de l’investissement public est supporté par les collectivités territoriales.
Deuxième raison : quand le président parle de priorité à l’emploi et à la jeunesse, il me demande, sous l’autorité du premier ministre, de conforter le rôle des régions en transférant la formation professionnelle et l’apprentissage.
Brice : Quel est le coût pour l’Etat de maintien de ces 36 000 communes et 100 départements ? Quels seraient les gains sur les coûts de gestion en rationalisant tout cela ?
Marylise Lebranchu : Il n’existe aucune étude d’impact précise de la diminution du nombre de communes, parce que le choix a été fait de répondre à une vraie question, le nombre, par l’intercommunalité. L’ensemble des familles politiques a fait ce choix de transférer près de 80 % des compétences de communes à leurs regroupements. Il reste à régler dans la loi qui viendra la question de la mutualisation des services, qui sera sans aucun doute la meilleure source de rationalisation de la dépense locale.
"DE NOUVELLES RESSOURCES POUR LES DÉPARTEMENTS"
Aline Sombre : Selon la Cour des comptes, l’Etat ne donne pas aux départements les moyens d’accomplir les missions de solidarité qu’il leur a confié. Comptez-vous accorder de nouveaux moyens aux départements ?
Marylise Lebranchu : C’est exact. La différence entre la dotation de l’Etat et la dépense concernant les allocations solidarité (personnes âgées, personnes handicapées et RSA) a été estimée à 4,6 milliards d’euros a minima, 5,2 milliards au plus. Sous l’autorité du premier ministre, un groupe de travail a validé ces chiffres, donc le diagnostic est partagé. D’ici à la fin du mois de mai, mon ministère et le ministère du budget devons faire des propositions concernant les différentes ressources qui pourraient être transférées aux départements, soit sous forme de base fiscale, soit sous forme de dotation.
Mathieu Villalpando : Pourquoi ne pas supprimer définitivement les départements pour simplifier les strates administratives et faire des économies d’échelles dans la dépense publique ?
Marylise Lebranchu : L’association des départements de France avait fait une étude sur l’impact de la suppression des départements en 2009. Il en ressort qu’il faut transférer la gestion des allocations de solidarité (à qui ?), retrouver de nouvelles bases fiscales pour les financer, partager entre les collectivités les dettes qui ont été générées par la construction des collèges ou la rénovation de routes, transférer des personnels en transférant les compétences, ce qui, à court terme, coûte plusieurs milliards d’euros (c’était 6,5 milliards en 2009).
Il est donc impossible d’envisager une suppression des départements en pleine période de crise, puisque, au-delà du coût, nous savons qu’il y aurait un ralentissement important de l’investissement des collectivités territoriales pendant plusieurs années.
Enfin, je pense que l’expertise des départements en termes de solidarité est essentielle à la cohésion de notre pays, et que le transfert de cette culture ne se ferait pas sans dommage pour les citoyens les plus fragiles. Je trouve donc plus raisonnable, pour les années qui viennent, de demander en plus aux départements d’ajouter à la solidarité entre les citoyens la solidarité entre les territoires.
Autre argument : si je voulais supprimer les départements dans la loi actuelle, je suis certaine que les textes ne seraient pas votés par le Sénat, et que nous n’aurions donc aucun autre progrès possible.
Jean Dabition : La région dispose de peu moyens financiers pour accomplir sa mission de développement économique. Que comptez-vous faire pour que cela change ?
Marylise Lebranchu : Les régions, effectivement, exercent des compétences importantes sans ressources fiscales, et ont même des ressources aberrantes, puisque chargées des transports ferroviaires, elles tirent ressource de la TIPP, la taxe sur les produits pétroliers. Ce qui veut dire que plus elles sont efficaces, moins elles ont de ressources. Nous nous sommes engagés à proposer à la discussion pour cet été des bases fiscales à partir de tous les systèmes de réseau, qu’ils soient de transport, numériques…
Bastien H : Après un effort de 4,5 milliards d’euros de baisse de dotation d’Etat vers les collectivités, les territoires seront-ils à nouveau mis à contribution ?
Marylise Lebranchu : L’effort des collectivités locales a été décidé pour l’année à venir. 1,5 milliard en 2014, puis 1,5 milliard en 2015. Nous avions choisi de ne pas baisser nos dotations en 2013, pour permettre que l’investissement des collectivités amortisse la crise économique actuelle. Cette baisse des dotations est accompagnée de deux décisions importantes : l’ouverture d’une enveloppe de 20 milliards d’euros, via la Banque postale et la Caisse des dépôts, pour des emprunts à long terme permettant les plus lourds investissements dans de bonnes conditions ; et la création d’une agence de financement des collectivités locales leur permettant, par leur force d’emprunt, d’obtenir des taux plus intéressants via leur mutualisation.
Nous espérons ainsi soutenir l’investissement tout en répondant à l’objectif de réduction des déficits publics.
"LE PACTE DE GOUVERNANCE N’EST PLUS DANS LA LOI"
Didier Cumin : 1,5 milliard d’économies pour les collectivités locales par an, cela représente moins de 0,5 % d’économies. Comment se fait-il que l’on ne puisse pas faire mieux ?
Marylise Lebranchu : 1,5 milliard pour 2014, puis pour 2015, ce sont les économies sur les dotations de l’Etat. Quand en même temps nous avançons sur une rationalisation de l’action publique locale, par exemple par la mutualisation des services, par une meilleure écriture des périmètres intercommunaux, par une gouvernance mieux partagée des compétences, nous attendons aussi de la part des collectivités territoriales une meilleure efficacité de l’action publique.
Territoire : La commission du Sénat a élagué votre projet sur les métropoles. Votre proposition de conférence territoriale de l’action publique a été complètement réécrite, votre pacte de gouvernance territoriale supprimé. Quelle sera votre attitude en séance ?
Marylise Lebranchu : La conférence territoriale de l’action publique n’a pas été supprimée. C’est le pacte de gouvernance qui n’est plus dans la loi. Je me battrai en séance parce que si je fais confiance aux élus a priori, j’estime qu’il faut être plus clair et plus offensif sur la gouvernance des compétences partagées. Nous sommes au début du débat parlementaire.
Territoire : Votre projet de loi sur la décentralisation a été scindé en trois parties. La commission des lois du Sénat a déjà réécrit la première sur les métropoles. Les autres volets sur les communes, les départements et les régions sont-ils renvoyés aux calendes grecques ? Allez-vous les réintroduire dans le premier texte ?
Marylise Lebranchu : Avec la discussion que j’ai pu avoir ce matin en présence du président de la Commission des lois du Sénat, j’entends au contraire que ce qui concerne le développement territorial rural ou bien la rationalisation de l’action publique intercommunale est attendu. Il m’est demandé de plaider pour le passage de la totalité des projets le plus tôt possible, ce qui ne dépend pas de moi, mais du calendrier parlementaire lui-même.
J’ajoute que le rapport que j’ai lu ce matin du travail de la Commission des lois du Sénat n’est pas une réécriture du projet, mais de deux points qui ont fait débat : le pacte de gouvernance d’une part, et le plancher démographique de création de métropole d’autre part.
Jean Bar : Quelle influence le Président de la république a eu sur le texte décentralisation ?
Marylise Lebranchu : Le président de la République et le premier ministre ont ensemble apporté leur concours au choix de la reconnaissance du fait urbain. Mais, l’un comme l’autre, ils ont été attentifs à tous les aspects de ce texte, non pas, comme je le lis souvent, en tant qu’ancien président de conseil général pour l’un et ancien maire de Nantes pour l’autre, mais en tant que porteurs de la reconnaissance du rôle des collectivités territoriales dans 60 % des engagements du président. C’est la première fois qu’un président de la République reçoit à l’Elysée toutes les associations des collectivités territoriales.
"NOUS NE POUVONS PAS CONTRAINDRE LA DÉPENSE PUBLIQUE LOCALE"
Arthur P : Jean-Marc Ayrault a-t-il poussé pour que le texte sur la décentralisation ratifie l’indépendance des métropoles concernant le développement économique ?
Marylise Lebranchu : Non, Jean-Marc Ayrault n’a pas parlé d’indépendance des métropoles au développement économique, au contraire, il a parlé de cohérence entre régions et unités urbaines.
Christian Bassard : Les communes, communautés de communes, agglomérations… cumulent les doublons par exemple dans le tourisme, la voirie, l’urbanisme et financent leurs emplois avec l’impôt. L’Etat n’a-t-il pas de levier pour contraindre les élus à une gestion de leurs ressources plus stricte ?
Marylise Lebranchu : Le projet de loi que je défends actuellement prévoit l’obligation, quand il y a transfert de compétences des communes vers l’intercommunalité, de mutualiser les services. Le meilleur contrôle de la gestion des collectivités locales, c’est celui des citoyens qui votent pour les équipes sortantes ou les sanctionnent. La libre administration des collectivités est un principe constitutionnel. Nous pouvons donc encourager la régulation de la dépense publique locale, mais nous ne pouvons pas la contraindre.
Brice : Pourquoi ne pas imposer le regroupement des collectivités locales ? Pourquoi faut-il demander aux Alsaciens ou aux Corses s’ils veulent supprimer leurs départements ?
Marylise Lebranchu : Et pourquoi pas une dictature ? Pour certaines agglomérations – Paris, Lyon et Marseille –, nous avons estimé qu’il était urgent de revoir le périmètre des compétences et la gouvernance de ces grandes agglomérations de taille européenne. J’encourage tous les autres à réfléchir à leurs propres structures. Mais l’échec de la consultation en Alsace nous rend tous prudents sur des évolutions très conceptuelles mais très évidemment éloignées du vécu de nos citoyens.
Ce sont eux qui apprécient à la fois les services publics et la participation fiscale qui leur est demandée. Posons-nous ensemble la question d’une meilleure association des citoyens aux perspectives de notre décentralisation. Je rappelle quand même que nous venons d’achever une révision de la carte intercommunale de la France pour laquelle l’Etat avait le dernier mot.
Bastien H : N’avez-vous pas été déçu que le maire socialiste de Strasbourg, Roland Ries, n’ait pas soutenu le projet d’un conseil unique d’Alsace ?
Marylise Lebranchu : Je ne me permets pas, en tant que ministre, de donner des leçons aux élus de France. Chacun, dans son territoire, a sans doute plus d’éléments que moi pour construire sa position. Quand je suis en désaccord, je le leur dis, mais je ne donne pas d’ordre, et, qui plus est, je ne peux pas commenter une consultation locale initiée par des autorités locales.
Sylvain : Pensez-vous que le Pays basque devrait se séparer du Béarn pour former une région ou un département de la République ?
Marylise Lebranchu : Les Basques ne sont pas séparatistes. Ils me demandent simplement de trouver une écriture institutionnelle de leur histoire et de leur identité. C’est un sujet que j’ai souvent rencontré en Bretagne. Je pense que la reconnaissance de la diversité fait la force de notre République, et qu’elle ne passe pas seulement par les institutions. Elle passe par l’engagement que nous avons pris de travailler à la reconnaissance des langues et cultures minoritaires dans le texte de décentralisation lui-même.
Eric Nunès