Source :
Accéder au site source de notre article.
M. Hamon, pourquoi copiez-vous Darcos plutôt que Jospin ?
- Le 25/04/2014
Mes réactions au texte à paraître
Claire Leconte
Quel drôle de pays que la France qui s’obstine à chercher des solutions sur des problèmes qu’elle est seule à se créer. Aucun autre pays au monde ne se préoccupe des « rythmes scolaires », pour améliorer le fonctionnement de l’école. La France est focalisée là dessus depuis des décennies, tout en ne trouvant jamais le bon « rythme », parce qu’elle ne le cherche pas là où il faudrait le chercher.
Pourquoi le gouvernement actuel, dit de gauche, donc en principe avec d’autres valeurs pour défendre l’école publique française que le gouvernement précédent dont le seul objectif était de récupérer des postes, s’obstine-t-il à copier le décret Darcos plutôt que de reprendre les textes Jospin ?
Ce décret de 2008 disait : L’article 10-1 du décret du 6 septembre 1990 susvisé est modifié ainsi qu’il suit : V – Au sixième alinéa, les mots : “5 jours” sont remplacés par les mots : “9 demi-journées”.
Après la loi Jospin en 1989, le Décret no 91-383 du 22 avril 1991 relatif à l’organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires décrétait : Art. 2. – Il est ajouté au décret du 6 septembre 1990 susvisé l’article 10-1 suivant: 4o De porter la durée de la semaine scolaire à plus de cinq jours
Quant à l’instruction N° 97 – 018 JS, pour la rentrée 1997-1998 et pour instruire les dossiers de candidature « sites pilote », elle pointait comme critère de labellisation de respecter que « la semaine scolaire soit organisée sur au moins cinq jours ».
Ça n’est donc que le décret Darcos qui a cru bon revenir sur ce découpage de la semaine et décider de la découper en 9 demi-journées. Pourquoi ?
D’autant que deux ans plus tard, un rapport parlementaire co-rédigé par Yves Durand (rapporteur de la loi de refondation de l’école de Vincent Peillon) écrivait : « On peut toutefois se demander si une organisation en demi-journées ne tendrait pas à rigidifier la gestion du temps scolaire, à la différence d’un système dans lequel les enseignements et les autres activités pourraient être répartis librement du lundi au vendredi, voire au samedi.
Les avantages d’une semaine scolaire de cinq jours ne seraient pas négligeables en effet ».
… « D’autre part, sur le plan éducatif, l’école à la journée a pour ambition de développer des compétences chez l’élève (« individuelle, méthodologique, sociale, etc. »), en alternant l’enseignement et les activités périscolaires, de façon à ne pas séparer la socialisation de la pédagogie, et en faisant ainsi de l’école un « lieu de vie » et non de cours. »
De fait qui a un jour entendu parler de semaine de 8 demi-journées pour évoquer la semaine de 4 jours ?
La proposition de texte de Benoit Hamon ne s’intéresse à nouveau qu’à des aspects quantitatifs, d’horaires, d’emplois du temps, et nullement à ce qu’un ministère de l’Éducation nationale devrait faire, à savoir quels contenus, pour quoi faire et comment ?
Comment utiliser au mieux les temps strictement scolaires pour qu’ils permettent aux enseignants de se repositionner dans leurs pratiques et méthodes d’apprentissage, dans les systèmes d’évaluation également, afin de développer chez chaque enfant le désir d’apprendre, le plaisir d’apprendre, de comprendre, de découvrir, développer sa motivation intrinsèque au final.
De nombreuses études ont montré que l’une des difficultés actuelle de tous les enfants est leur incapacité à maintenir leur attention qui doit être reconquise par les enseignants. Ce ne peut se faire que si ces enfants perçoivent un réel intérêt dans les apprentissages qu’on leur fait faire, intérêt qui ne doit pas être que scolaire, mais aussi si ils se sentent participants, « acteurs de leurs apprentissages » comme le disait déjà Freinet. Cela nécessite d’autres organisations des temps scolaires que celles qui continuent de découper ces temps sur le plus de demi-journées possibles. Paul Fraisse (1975) a pourtant bien montré que l’intérêt pour une activité est dépendant de la durée de cette activité : « La durée apparente des tâches décroit à mesure que les activités sont moins morcelées, c’est-à-dire les changements moins nombreux (…). Plus une tâche a d’unité, plus elle risque de paraître intéressante. L’unité renforce la motivation (…). Plus une tâche a une unité, plus elle paraît courte ».
Ce pour quoi nous avons pu montrer que cinq longues matinées de 4 heures autorisent cette mobilisation attentionnelle. Non Monsieur Hamon, contrairement à ce que vous pensez ou qu’on vous fait penser, l’attention des enfants et leur disponibilité aux apprentissages ne se situent pas qu’entre 9h et 11h, mais cela dépend fortement de la qualité de l’organisation pédagogique des différentes séquences d’apprentissage.
On a l’impression que le ministre répond d’abord à la fronde des communes qui ont déclaré refuser de partir en 2013, puisqu’il semble répondre entre autres aux demandes de communes de zones rurales qui ne peuvent recruter d’animateurs pour des ateliers très courts, ce que je ne vais pas contester puisque je n’ai sans cesse moi-même dit que libérer complètement des après-midis permet aux communes rurales de mutualiser le peu de ressources que chacune possède et de les mettre au service de tous les enfants de toutes les communes en ne libérant pas les mêmes après-midi.
Mais alors pourquoi bloquer les choses sur 8 demi-journées, avec qui plus est des matinées de pas plus de 3h30 ? Où est le problème pour les écoles qui depuis de très nombreuses années, fonctionnent sur des matinées de 4 h, comme ce fut le cas en Alsace entre autres ? Le ministre est-il allé voir dans les autres pays, d’Europe, mais aussi au Canada, en Afrique, etc, où les longues matinées de classe sont une habitude acquise depuis très longtemps ? En France on continue de penser que l’après-midi est équivalent à la matinée, alors que Binet, psychologue de l’enfant, disait en 1906 aux enseignants de « faire bénéficier leurs écoliers de la clarté mentale de la matinée » ! Car avec 8 demi-journées, si les matinées ne peuvent être que de 3h30, on aura alors encore forcément 3 AM de plus de deux heures d’enseignement. Et quelle durée pour l’après-midi d’activités ? 2h10 comme les autres ? donc pas trois heures d’activités comme initialement prévues.
Les enfants de maternelle en particulier perdent ainsi beaucoup de temps d’apprentissages, car les après-midi sont presque inutilisables. Mais les autres aussi puisque les travaux de Testu souvent pris en référence montrent bien que seuls les enfants de Cours Moyen voient leurs capacités attentionnelles en bonne reprise (quoi que pas forcément aussi bonnes que le matin) après le creux méridien.
Quand je dis penser au fait qu’on répond avant tout à la fronde des communes, c’est qu’il est aussi dit que des « adaptations du calendrier scolaire » pourront permettre à quelques communes de prévoir le report de quelques demi-journées de classe sur les vacances d’été : on pense là forcément à la demande émanant d’une députée de Haute Savoie, qui a obtenu que 8 mercredi entiers soient libérés au cours de la saison d’hiver pour permettre aux enfants des communes de Combloux, Megève, Praz sur Arly, entre autres, d’emmener leurs enfants, forcément les futurs champions français, faire du ski tout ce mercredi.
Mais alors, pourquoi accepter des adaptations particulières pour ces communes, plutôt que de leur souffler qu’elles pourraient faire l’école le samedi matin ! Et ne pas avoir ainsi à revenir une semaine plus tôt en août.
Mais à côté de ces adaptations très particulières, pour des projets jugés par le ministre, « de qualité », on refuse les vrais projets de qualité construits par d’autres toutes petites communes de Haute Savoie mais qui elles, au contraire, veulent pouvoir faire découvrir à leurs enfants d’autres activités que le ski qu’ils font régulièrement. Mais ces activités nécessitent qu’on les emmène à l’extérieur de la commune, donc demandent du temps, et ces communes ont libéré deux après-midi pour se faire, les enseignants ayant réparti leurs 24 h au mieux des besoins des enfants, en particulier en renforçant les 5 matinées de classe.
Et ce qui est aussi assez choquant est de lire que visiblement ce travail demandé par les communes souhaitant expérimenter une autre organisation dans l’intérêt de leurs enfants, ne sera retenu que pour trois ans, et ensuite ? de plus des évaluations devront être menées (ce que je ne conteste pas, je suis la première à les réclamer, mais de vraies évaluations, pas celles au doigt mouillé consistant à demander aux maires s’ils sont satisfaits de ce qu’ils ont mis en place), pour prouver le bien-fondé d’une telle organisation alors que personne ne s’interroge sur celles mises en place sur 9 demi-journées, à la va-vite, en 2013 : pourtant le ministère aurait raison de s’inquiéter, car des emplois du temps où on ne met que deux heures le mercredi matin, pour ne pas rentrer en conflit avec les parents qui se plaignaient que leurs enfants perdent cette journée de repos, ceux où jamais rien de régulier ne se fait chaque jour, uniquement pour occuper plus longtemps les mêmes animateurs, mais au mépris le plus complet du bien-être des enfants, ou celles encore où on ne fait que deux très courtes après-midi pour donner du temps aux activités non scolaires, qui montrera que c’est vraiment mieux pour l’enfant ?
Une semaine de cinq jours, implique forcément l’obligation de cinq matinées, il n’est pas utile de le rappeler, mais cela donne aux enseignants la liberté de répartir leurs 24 h au mieux des besoins de leurs élèves, pas en restant sur la journée de l’écolier décidée en 1834.
On peut alors organiser ces 24 h sur 7, 8 ou 9 demi-journées, au choix des enseignants, des parents et des communes, mais on permet surtout à tous ceux qui veulent un vrai changement dans les méthodes d’apprentissage de pouvoir les mettre en œuvre. Cela ne créera pas plus de disparités que celles qui existent aujourd’hui avec les 9 demi-journées où on voit même des emplois du temps différents d’une école à l’autre dans une même ville.
Alors pourquoi interdire cette liberté pédagogique ?
Mais a-t-on vraiment envie de faire que chaque enfant puisse réussir au mieux de ses potentialités ?
Pourquoi par ailleurs ne rappelle-t-on pas le rôle incontournable des parents dans l’éducation de leurs enfants, y compris leur responsabilité dans la nécessité, reconnue par beaucoup d’études récentes, de respecter le plus possible une régularité dans le rythme veille-sommeil de leurs enfants ? L ‘importance également du petit-déjeuner avant d’entrer en classe ?
Mais pourquoi aussi n’insiste-t-on pas sur la nécessité de construire de façon partenariale des projets éducatifs ayant du sens pour les enfants, alors que visiblement on laisse encore la liberté aux collectivités de mettre ou pas quelque chose en place respectant les besoins de chaque enfant et de chaque famille. Ce qui, évidemment, nécessiterait que l’état s’implique dans ces constructions de projets, ce que visiblement, il ne veut pas faire.
On ne va donc pas résoudre les différences territoriales déjà visibles actuellement.
Par ailleurs que dira ce texte pour les communes parties précipitamment en 2013 et souhaitant revenir sur le modèle mis en place ?
Le texte acceptera-t-il que des communes, forcément pas prêtes pour le mois de juin prochain, pour présenter un autre modèle nécessitant plus de construction partenariale, puissent présenter un tel projet pour la rentrée 2015 ? Ce serait bien le moins pour respecter l’égalité de traitement entre écoles.
Le décret Peillon aménageait à la marge l’organisation des emplois du temps scolaires, le texte de Benoit Hamon semble aller vers un aménagement à la marge du décret Peillon, en le rigidifiant même sur certains aspects.
Parviendra-t-on enfin, après les prochaines consultations, à voir un texte autorisant de réelles modifications allant dans le sens de l’intérêt des enfants, et ne continuant pas de mettre sur le côté des projets existants depuis des décennies et ayant largement fait leurs preuves quant à la satisfaction de l’ensemble des personnes concernées dont les enfants ?
Jean-Paul Delevoye, qui a présidé le Comité d’Évaluation et de Suivi de l’Aménagement des Rythmes de l’Enfant mis en place par le ministère Jeunesse et Sports, écrit en 1999 : « Nos enfants sont notre vraie richesse, mais aujourd’hui comment assurer à chacun d’entre eux le maximum de chances voire de chances égales ? L’école de la rue et l’école parentale sont souvent en contradiction voire en opposition avec l’école républicaine qui ne peut suppléer ces défaillances sociétales. C’est pour cela que nous affirmons que notre réflexion sur l’aménagement du rythme scolaire est vouée à l’échec si elle ne s’inscrit pas dans le seul cadre qui vaille, « l’aménagement du rythme de l’enfant » pris dans sa globalité. [….]. Chaque vie a besoin d’un projet et il nous faut donner un sens à la vie. Ceci nous oblige à former nos enfants à être responsables et non dépendants : c’est tout le sens de la réflexion que nous vous livrons avec un seul objectif : l’enfant, son épanouissement et sa capacité demain à gérer ses propres choix, c’est-à-dire à être libre mais surtout à être libre dans la façon de vivre sa liberté ». (In ¨Pour une approche globale du temps de l’enfant », La Documentation Française, 1999, que je vous invite fortement à lire).
Monsieur Hamon, les élèves évalués pour Pisa en 2012, (parues en 2013) avaient 15 ans à l’époque de leur évaluation, c’est dire que tous les apprentissages premiers nécessaires à la réussite au collège ont été faits à l’école primaire avant 2008, soit avec les programmes de 2002 et sur une semaine de 4 jours et demi. C’est donc un changement en profondeur dans l’école qui doit être fait. L’adaptation des méthodes d’enseignement et des objectifs aux besoins de l’élève, grâce à une réorganisation complète des temps de vie de l’enfant dont font partie les temps scolaires est fondamentale si on veut réellement voir des changements se produire dans le rapport de chaque enfant à l’école. Ce n’est certes pas qu’un changement d’horaires, pas même un allégement dans le nombre d’heures, qui permettra d’atteindre cet objectif.
Cela impose également une réflexion sur l’organisation des pauses (récréations, pause méridienne), des espaces qui vont avec, ne plus laisser les enfants s’énerver le matin dans la cour avant d’entrer en classe, etc,
Et ce n’est pas juste le fait d’avoir 8 demi-journées bloquant les matinées à 3h30 qui permettra la mise en route de ce chantier pour refonder l’école, pourtant urgent à mener.
Revenez à un texte comme celui qu’avait écrit Lionel Jospin pour mettre en oeuvre la loi d’orientation de 1989, permettant d’organiser les temps scolaires sur 5 jours, du lundi au samedi. Ainsi en une phrase, vous insistez sur l’importance de 5 matinées sur la semaine, mais pourquoi vouloir formater davantage les temps scolaires ? quel intérêt ? Vous vous privez juste de projets éducatifs de qualité ayant associé, dans leur construction, tous les acteurs de la communauté éducative, les enseignants, les parents, les animateurs et professionnels d’associations, les ATSEM, les élus. En avez-vous vraiment beaucoup actuellement ? Que craignez-vous qu’il arrive si vous laissez davantage de liberté dans l’organisation de ces cinq jours ? Avez-vous repéré que vos 8 demi-journées n’empêcheront pas une commune peu vertueuse, (ça existe, j’en ai rencontré !) de faire terminer la semaine le vendredi à 11h ? Je vous fais grâce ici de toutes les aberrations que j’ai déjà vues avec les 9 demi-journées, qui pourtant avaient été imposées pour empêcher les enseignants de s’octroyer des après-midi. Mais est-ce mieux quand on ne fait qu’une heure quarante le mercredi matin ? Savez-vous que des communes ont obtenu le droit de ne faire qu’une heure vingt de pause méridienne, pour ne pas perturber le transport scolaire ?
Jacques Julliard, qui vous a écrit une lettre dans Marianne, vous demande de n’écouter que votre courage. J’avais quant à moi voici 15 mois demander à Vincent Peillon d’avoir de l’audace. J’ai envie de vous dire, faites preuve de bon sens, des organisations sur 7 demi-journées réparties sur 5 jours fonctionnent depuis plus de 20 ans, les personnes qui font tourner ces organisations sont-elles masochistes ? ou détestent-elles à ce point leurs enfants qu’elles leur imposent un fonctionnement inadéquat pour leur bien-être ? Pensez-vous que si vous autorisez une telle ouverture toutes les communes s’empresseront d »utiliser la possibilité de libérer deux après-midi en ne se préoccupant pas de ce qu’elles feront avec ces après-midi ? sachant que les parents sont évidemment avant tout en attente de prises en charge des enfants ?
Donc revoyez le texte pour libérer l’organisation des temps scolaires de la façon la plus intéressante pour les enfants mais permettre aussi que les associations et autres secteurs de l’animation puissent participer à la construction d’un projet éducatif ayant du sens pour ouvrir les enfants à des activités vers lesquelles ils n’iraient pas spontanément tout en leur prouvant qu’ils ont des potentialités n’attendant qu’à se dévoiler. Un tel projet construit de façon partenariale avec les enseignants et les parents permettra vraiment que la refondation de l’école se mette en route.
Pour chacun des enfants de ce pays, je vous en remercie.