In Localtis.info – le 20 juin 2014 :
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Une évaluation partenariale de la lutte contre le décrochage scolaire a rendu son verdict le 18 juin : des objectifs peu clairs, un pilotage fragile, des résultats limités faute d’un manque de prévention et des indicateurs à perfectionner. Le rapport appelle à bâtir une politique plus intégrée.
Il reste trois ans au président de la République pour honorer sa promesse de diviser par deux le nombre de décrocheurs scolaires. Le ministère de l’Education nationale a publié le 18 juin un rapport d’"évaluation partenariale de la politique de lutte contre le décrochage scolaire". Fruit d’un diagnostic partagé "par tous les acteurs impliqués dans la lutte contre les 150.000 sorties sans qualification par an du système scolaire" (ministères de l’Education, de l’Emploi, de la Ville, collectivités, associations et usagers), cette évaluation entend aussi démontrer le volontarisme du gouvernement en la matière. "Il s’agit d’unir nos forces pour donner des perspectives d’avenir à chacun", situent les auteurs du rapport, "la France ne peut laisser sur le bord du chemin près d’un jeune sur cinq, ni accepter le poids des déterminismes sociaux sur les parcours". Les résultats de l’évaluation seront ainsi discutés lors de la conférence sociale des 7 et 8 juillet, à l’initiative de Benoît Hamon, pour alimenter un plan d’actions annoncé à l’automne.
Les objectifs ne sont "pas toujours clairs"
Sur la stratégie d’ensemble, le diagnostic est plutôt sévère, soulignant que les objectifs fixés "ne sont pas toujours clairs, ni pour les bénéficiaires, ni pour les institutions". La Commission européenne a ainsi défini une stratégie visant à réduire l’abandon scolaire à 10% en 2020, François Hollande a promis de diviser par deux le nombre de décrocheurs d’ici 2017, tandis que le ministère de l’Education nationale s’est engagé sur un volume de "jeunes décrochés" à faire revenir en formation initiale (20.000 en 2013, 25.000 en 2014). Un manque d’articulation entre les échéances et une imprécision sur les populations cibles qui se répercutent sur la mesure même du phénomène. Le rapport estime donc qu’une "stabilisation des indicateurs et outils de pilotage" est nécessaire.
En outre, ces "indicateurs n’incluent pas systématiquement l’Outre-Mer", alors même que les territoires et départements d’Outre-Mer sont considérés comme "davantage exposés au risque de décrochage", au même titre que les zones d’éducation prioritaire et les territoires très ruraux.
Une politique "en construction", aux "effets limités"
Plus grave, ces objectifs de lutte contre le décrochage passent peut-être tous à côté du véritable enjeu : ils "portent principalement sur la remédiation et ne concernent pas directement la prévention". Des buts plus qualitatifs pourraient permettre de se concentrer davantage sur la "réactivité du dispositif de repérage et de prise en charge des décrocheurs" et d’effectuer un suivi dans la durée des jeunes "raccrochés".
De fait, la politique de lutte contre le décrochage est encore "en construction". A la différence du Québec, par exemple, où un programme intitulé "L’école, j’y tiens" décline "de façon cohérente les champs de la prévention, de l’intervention et de la remédiation". En France, l’action menée est "centrée sur la remédiation et l’intervention". Sur 200.500 jeunes repérés par le système interministériel d’échanges d’informations (SIEI), 90.050 ont été accompagnés dans le cadre des plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD) par différents acteurs (missions locales, réseau Foquale et autres partenaires), pour des "résultats limités".
Quant au volet prévention, "les réponses restent peu structurées, même si certaines initiatives locales sont riches d’enseignements sur ce qui pourrait être mis en œuvre et généralisé à l’ensemble du territoire français". Le rapport recense plusieurs expérimentations intéressantes, "rarement ‘fléchées’ sur la lutte contre le décrochage", à l’initiative de différents acteurs (ministère de l’Education nationale, collectivités, ministère de la Ville…).
Un pilotage fragile
A l’origine de ces tâtonnements, une gouvernance fragile, déplore le rapport. Avec un pilotage national "embryonnaire", "la lutte contre le décrochage peine à prendre toute son ampleur, du fait notamment de son relatif éclatement" entre "des cadres dédiés à des politiques interministérielles plus larges, et intégrant un volet décrochage" (*).
Quant à la gouvernance locale, le rapport note que "l’absence d’impulsion interministérielle claire au niveau national se ressent aux niveaux académique et départemental : la situation est assez hétérogène en fonction des territoires". Alors que certaines régions abordent la question du décrochage dans le cadre du contrat de plan régional de développement des formations professionnelles (CPRDFP) ou du pacte régional de réussite éducative, d’autres régions ne s’en occupent pas.
Au niveau communal, "un travail partenarial formalisé" est parfois conduit dans le cadre du projet éducatif territorial (contrat entre la commune et l’Education nationale), comme en Seine-Saint-Denis entre l’académie de Créteil, la région Ile-de-France et le conseil général. "Pour autant, ce type de conventions n’est pas généralisé sur le territoire", souligne le rapport, tout en reconnaissant par ailleurs que "la mise en place des PSAD a renforcé la qualité du partenariat, notamment entre acteurs de l’Education nationale et missions locales". Enfin, de façon globale, "des acteurs importants [sont] absents du pilotage": les élèves et leurs parents, les enseignants et les corps d’inspection ainsi que les entreprises.
Des politiques éducatives en mal de cohérence
Le rapport appelle donc à davantage de partenariat entre les acteurs et d’articulation entre les instances, mais aussi à renforcer la cohérence entre la politique de lutte contre le décrochage scolaire et les autres politiques éducatives : l’éducation prioritaire, la réussite éducative, l’organisation du temps scolaire, les outils du numérique éducatif et les programmes scolaires eux-mêmes. Les priorités de la politique de réussite éducative -"approche globale et interprofessionnelle", relations école-familles, ouverture culturelle et sportive, santé, persévérance scolaire, etc. – se rapprochent des actions de lutte contre le décrochage. "Aujourd’hui, même si un comité de pilotage national de la réussite éducative rassemble les principaux partenaires (ministères de la Ville et de la Famille, collectivités, Acsé, Anaré, Cape, Andev, etc.), la co-construction stratégique de la politique nationale doit pouvoir être renforcée", préconise le rapport.
Les régions coordonnent "la partie remédiation", un "portage bien identifié" attendu
Ce dernier rappelle que la région a désormais un rôle de coordonnateur, "en lien avec les autorités académiques, sur la partie remédiation". Avec la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle, la région est en effet "compétente vis-à-vis des personnes ayant quitté le système scolaire pour organiser les actions de lutte contre l’illettrisme et les formations permettant l’acquisition des compétences clés". Mais, précise le rapport, l’Etat, au niveau national, reste chargé du "dispositif de collecte et de transmission des données".
Pourtant, parmi de nombreuses préconisations, "la politique de lutte contre le décrochage doit bénéficier d’un portage bien identifié et concilier objectifs affirmés, autonomie dans les déclinaisons locales, soutien et appui des acteurs engagés et souplesse réglementaire". Beaucoup de chantiers en perspective, donc, et la mission d’évaluation partenariale entame une "nouvelle phase" destinée à préciser avec les acteurs concernés les évolutions envisagées.
Caroline Megglé
(*): Politique en faveur de la Jeunesse, au sein du comité interministériel pour la jeunesse (CIJ), ou du fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ) ; politique de la ville, avec les programmes de réussite éducative (PRE) ; politique de l’emploi, dans le cadre de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 7 avril 2011, qui prévoyait un accompagnement renforcé des "jeunes décrocheurs" par les missions locales ; garantie Jeunes, expérimentée à partir de 2014, qui prévoie un travail partenarial entre les missions locales, les conseils généraux, l’Etat et les entreprises ; politique de prévention de la délinquance, dans le cadre du comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD) et du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).