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Au moment où s’ouvre le salon APB, Bruno Devauchelle revient sur la place du numérique dans le processus d’orientation. Après un hommage aux logiciels de type portfolio il revient sur la place d’Internet . " Le fait que chacun puisse aller voir par lui-même au delà des sentiers balisés pour découvrir la vraie couleur du paysage professionnel est un des apports essentiels du numérique."
L’utilisation du numérique pour améliorer le processus d’orientation n’est pas vraiment nouveau. Entre les applications d’aide à la connaissance des métiers, celles d’aide au choix ont été rejointes par les sites web et les applications en ligne pour aider à l’orientation, à l’information sur l’orientation. Dans le même temps des expérimentations ont été menées pour améliorer le processus d’orientation des élèves en particulier à la fin du collège avec les essais d’informatisation du type PAM (pré-affectation multicritère) et à la fin du lycée avec l’application (mais qui a une autre finalité que la précédente) post bac (APB) dans laquelle chacun et chacune des élèves de terminale vont devoir entrer dans les jours prochains. Plus récemment est apparu un objet nouveau le "webclasseur" qui après avoir été expérimental est désormais en voie de généralisation dans tous les établissements. Cet instrument au service des enseignants, des élèves et de leurs parents permet la tenue d’un carnet de bord par l’élève et ainsi de l’aider à construire son projet d’orientation. Ce dernier dispositif s’inscrit dans la continuité du texte officiel de 2008 sur le Parcours des Métiers et de la Formation (PDMF) qui incite les équipes enseignantes à travailler l’orientation de la classe de cinquième à la terminale en s’appuyant sur trois piliers : connaissance de soi, connaissance des métiers, connaissance des filières.
Si on analyse les applications développées et proposées on peut les caractériser ainsi : les aides à l’information, les aides au diagnostic, les aides à l’élaboration de projet. Autour de ces trois axes, il y a les pratiques personnelles et parfois sauvages des jeunes et de leurs parents souvent déroutés par un avenir qui fait peur. Il y a aussi des enseignants qui sentent bien que cette tâche est difficile et qui aimeraient être aidés. Les travaux sur l’orientation scolaire sont nombreux, mais on retiendra en particulier ceux du CEREQ (centre d’étude et de recherche sur l’emploi et les qualifications) qui nous donnent des indications sur les comportements des différents acteurs de l’orientation et en particulier les jeunes (à l’instar d’autres enquêtes sur l’orientation). On y apprend en particulier que les systèmes d’entraide entre jeunes sont de plus en plus fréquents, et que les réseaux sociaux y participent désormais de plus en plus souvent. Mais surtout on y apprend que l’orientation est une grande source d’angoisse et que nombre de jeunes et parfois leurs parents, ont on sentiment de subir le processus d’orientation bien plus que d’en être l’acteur principal. Il faut dire que le système scolaire français, par sa filière générale, est perçu comme un "écrémage" par beaucoup et qu’il est très difficile de l’affronter.
On peut penser que dans ce domaine, comme dans d’autres, le numérique peut révéler certains aspects importants du problème à défaut d’apporter des solutions. Pour ce faire examinons en premier les pistes qui se développent.
L’aide à l’information est évidemment la première pièce du dossier. L’ONISEP s’est depuis longtemps employé à fournir la plus précise possible. Désormais de plus en plus numérisée, et mise en image par des vidéos disponibles même sur tablettes et smartphone, cette offre de formation est loin de combler les usagers, même si elle est indispensable. En fait il y a une difficulté intrinsèque : pour un même métier, deux personnes peuvent déclarer des fonctionnements bien différents. Pour s’en convaincre il suffit d’écouter les témoignages des acteurs eux-mêmes. Il est donc difficile de généraliser une information et cela peut décevoir où donner une image délicate de tel ou tel métier. Les stages en milieux professionnels, pour peu qu’ils soient réellement utilisés dans les établissements sont de bonnes bases de travail pour compléter cette information. Mais peu d’établissement ont engagé l’idée d’un rapport de stage numérique qui serait partagé sur l’ENT, constituant une base documentaire fondée sur l’expérience même des jeunes. L’information, sur Internet, est pléthorique, et il est bien difficile de s’y retrouver. A l’image d’une réalité complexe et peu organisée, l’information sur les métiers, les filières, les emplois sont difficiles à lire pour les jeunes et leurs familles. Si on y ajoute les sites des établissements d’enseignement supérieur et leurs organisations bien spécifiques et souvent difficilement lisibles, on comprend que s’informer sur les métiers et les filières relève davantage du "rallye raid" que de la simple promenade du dimanche.
Les aides au diagnostic, sous forme de logiciels interactifs ou de sites web basés sur des jeux de questions réponses sont de toutes natures et posent de sérieux problèmes. Leur première caractéristique est qu’ils ne peuvent être mis entre toutes les mains sans accompagnement sérieux et sans démarche réfléchie. Certains produits ressemblent à des tests psychologiques dignes des revues grand public, d’autres sont davantage dans l’outil d’enquête fouillée, mais presque trop compliquée Mais surtout le principal écueil de ces produits c’est qu’ils se basent principalement sur le déclaratif de l’usager. Autrement dit je réponds aux questions du logiciels ce que j’ai envie et je regarde ce qu’il me dit… pour avoir des idées, ou pour conforter celles que j’ai déjà, mais pas vraiment pour étayer un diagnostic si tant est que cela soit possible. Car souvent la question posée est davantage celle d’une demande d’aide à la décision plutôt qu’un outil d’enrichissement en vue de prendre une décision. Car c’est en fait souvent une question majeure : faire le choix. Ce n’est pas pour rien que l’on parle encore souvent d’éducation au choix pour l’orientation scolaire. Difficile donc de trouver le produit parfait, en tout cas l’expérience montre que ces outils ne valent que s’ils sont intégrés à des dispositifs accompagnés et construits.
Les outils logiciels d’aide au projet sont avant tout des outils pour permettre une activité réflexive de l’élève. Le webclasseur, le carnet de bord, le portefeuille de compétence, le portfolio sont parmi d’autres des outils numérisés qui se veulent au service d’une démarche qui s’appuie sur la recherche d’information, son organisation et ensuite sur la mise en adéquation de la personne avec l’information sélectionnée. En d’autres termes il s’agit d’aider l’élève à se construire un axe de réflexion (ou plusieurs) et ensuite de l’étayer aussi bien par désir que par adéquation. La démarche portfolio, qui se développe depuis plus dix ans est souvent considérée comme très lourde à mettre en œuvre, mais elle semble prometteuse. L’approche webclasseur est un compromis principalement scolaire. Attendons la publication du livre blanc du eportfolio par le ministère de l’enseignement supérieur pour, peut-être y trouver des indications pour l’avenir. Mais dans tous ces outils il y a un problème en amont qui est peu abordé et qui n’a rien de numérique, c’est la notion de projet d’orientation. Entre l’injonction à choisir et la simple découverte d’un environnement professionnel pour curiosité on observe toutes les palettes du sujet. L’injonction au projet est quelque chose qui irrite souvent les jeunes et ils préfèrent bien souvent "naviguer" et saisir telle ou telle opportunité pour prendre telle ou telle direction.
On s’inquiétera cependant des logiciels type PAM ou APB et de ce qu’ils créent comme représentations chez les jeunes et leurs parents. Loin de rendre humain le projet d’orientation ces outils ont technicisé une démarche, voir même instrumenté à un point tel que les acteurs peuvent se sentir démunis devant les lois de "l’application informatique", au risque de faire croire que la machine décide pour la personne. Ce ressentiment est légitime, tout comme l’est le souci de transparence et de rationalisation. Mais en cherchant cette transparence (égalité technicienne de traitement), on a davantage opacifié le processus et peut-être risqué de renforcer l’idée que ce n’est pas de l’orientation mais de la sélection…
S’orienter est une alchimie dont peu de jeunes de 16 ans peuvent dire qu’ils en sont assurés (25% maximum savent ce qu’ils veulent faire et une parte qui confirmeront plus tard ce choix). En réalité nombre de jeunes ne "savent pas ce qu’ils veulent faire plus tard" et semblent errer, au grand dame de leurs éducateurs, parents et enseignants et les outils numériques n’y peuvent rien, a priori. En fait si ces outils sont bien intéressants et permettent de fournir un cadre, ils sont à mettre en lien avec ce qui est à la base des choix d’orientation : l’inclination, C’est à dire le fait qu’à un moment il faut que l’intéressé définisse en bosse (positif, on veut faire) ou en creux (négatif, ce qu’on ne veut pas faire) les champs professionnels dans lesquels on pourrait se sentir "bien". Mais au delà de l’inclination explicite, il y a de nombreux éléments implicites et imaginaires qui entrent en ligne de compte : désir des adultes, parents, profs, famille; histoire familiale; contexte socio économique; contexte géographique etc.
Si le numérique apporte une chose essentiel c’est un environnement informationnel et relationnel qui va permettre au jeune de se construire sa représentation. Le fait que désormais des informations de toutes natures et de source variées, institutionnelles ou personnelles, soient disponibles complique en partie la tâche. Mais dans le même temps le fait que chacun puisse aller voir par lui-même au delà des sentiers balisés pour découvrir la vraie couleur du paysage professionnel est un des apports essentiels du numérique. Mais pour compléter le tableau, il faudrait inciter de plus en plus les espaces internet du monde professionnel a mieux renseigner les rubriques sur leur activité afin de permettre aux jeunes de trouver une "autre information". On peut même imaginer que des fédérations ou groupements professionnelles utilisent Internet et entre autres les réseaux sociaux pour inviter les jeunes à aller vers les métiers. Or cela se fait déjà, mais principalement pour attirer les cadres (filières d’excellences). Pour les autres il faudra encore attendre que ces mondes se concertent et mettent en place davantage d’information. Si cela ne se fait pas; la tache des éducateurs et conseillers s’en trouvera rendue plus difficile au risque de les voir se replier sur quelques outils labellisés et ignorer ce foisonnement si riche et si, potentiellement, capable d’aider les jeunes à y voir un peu plus clair…
Bruno Devauchelle