In Le Blog de Bernard Desclaux :
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Troisième article qui développe mon intervention lors de la conférence proposée par Educpros : « Orientation : comment toucher vos futurs étudiants ? ». Mon hypothèse : une partie des difficultés rencontrées lors de l’orientation post-bac provient du fonctionnement de nos procédures d’orientation.
Le fonctionnement de nos procédures
La progression et la circulation des élèves dans notre système scolaire, dans le secondaire sont organisées par ce qu’on appelle des procédures d’orientation. Il s’agit d’une réglementation qui s’impose à l’ensemble des acteurs, enseignants, chefs d’établissement, parents, élèves. Actuellement, c’est l’article D331-36 du Code de l’éducation qui régit la procédure. On pourra comparer la simplicité de ce texte avec la présentation de l’ensemble des articles qui organisent la procédure. Voir sur Eduscol, ainsi que le blog tenu par Bruno Magliulo, inspecteur d’académie honoraire et auteur de plusieurs livres.
Je résume cette procédure en trois principes :
- les adultes décident pour les enfants (mineurs), les parents demandent, les enseignants décident ;
- le critère essentiel de fait est la réussite disciplinaire, les notes… chaque enseignant étant maître de ses modalités d’évaluation ;
- la question essentielle est quelle classe pour l’année prochaine. En fait il n’y a pas de réelle perspective professionnelle.
Eléments d’histoire
En France, l’origine de cette procédure est très ancienne, 1880, et concernait le secondaire et les lycées. Elle reposait sur les moyennes des compositions trimestrielles. Vous trouverez un développement de l’histoire de nos procédures dans mon article « Aux origines du conseil de classe » sur ce blog.
Antoine Prost vient de publier Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours. Le Seuil, 2013. Il consacre un chapitre à la question de l’orientation où il indique que l’orientation scolaire comme question d’Etat apparait au sommet de celui-ci. Suite à la démocratisation du collège. « … paradoxalement, la même équipe gouvernementale qui a voulu la croissance du premier cycle veut limiter celle du second » note A. Prost (p. 99). Il rapporte les propos du président de Gaule (4 mai 1965) : « On va dépenser une masse de crédits pour absorber une masse de crétins qui, normalement, n’auraient pas eu accès à l’enseignement supérieur. » (p. 100). A cette époque, parler de l’enseignement supérieur désigne pour l’essentiel l’Université, dont l’accès est « automatiquement ouvert par l’obtention du bac. Le bac en lui-même n’est pas suffisant pour protéger l’Université. Il faut un barrage préalable, à la fin du collège en particulier.
C’est également le moment du Plan et de la création de de l’échelle des qualifications (1961). Des besoins en qualification on peut passer à des volumes d’effectifs dans les formations scolaires.
Ces deux préoccupations, protéger l’Université et former selon les besoins, sont portées au sommet de l’Etat, le président Charles de Gaule et son premier ministre George Pompidou. Qui mettra en œuvre la sélection-orientation ?
De Gaule voudrait que les enseignants appliquent les quotas. Pompidou refuse d’encaserner la jeunesse, et sans doute de réduire la liberté de l’enseignant. Reste les conseillers d’orientation qui viennent d’être intégrés au sein de l’éducation nationale (1959) et qui participent de droit aux conseils d’orientation. De plus ils étaient limités aux cas individuels par leur pratique des tests. Mais, « au même moment, la psychologie expérimentale montrait que les tests papier-crayon aboutissaient aux mêmes conclusions que les tests pratiques individuels. » (105). Mais peut-on leur faire confiance ?
Antoine Prost rapporte la position de Pompidou : « A mon avis il faut en faire des « avocats du technique » […], et s’en tenir là. Il ne faut pas les multiplier, ce sont forcément des esprits faux. L’orientation est le fait des professeurs, sauf le fait que ceux-ci peuvent ne pas avoir le courage de dire à un enfant qu’il n’est pas fait pour l’enseignement général long. » (105).
Du côté de l’Université la réforme de 1966 créé les IUT. Ils sont clairement à la fois une dérivation-protection de l’Université, et un élément d’adaptation aux besoins économiques, le besoin de cadres intermédiaires est important. Mais cette réforme permet également le renforcement d’une organisation basée sur les disciplines, renforçant les départements (p. 112).
Le baccalauréat est réorganisé en 1965, et se pose la question de la sélection-articulation avec le supérieur. L’idée d’un diplôme validant seulement le niveau atteint apparait, l’entrée dans le supérieur étant géré par une commission (p. 117). De même du côté du secondaire, tout est prêt pour que ce soit une commission extérieure à l’établissement qui décide de l’orientation. Mais 1968 balaye ces projets de maîtrise. En 1973, les nouvelle procédures d’orientation ramènent la décision au sein de l’établissement et au niveau de chaque classe.
Il s’agit de protéger l’enseignement général des effets de la démocratisation du collège en limitant l’accès au bac par les procédures d’orientation et notamment le palier troisième.
Aujourd’hui
Les deux étages aujourd’hui de la sélection sont pour l’essentiel, la troisième qui constitue une bifurcation, et le baccalauréat, ou plus exactement les types de baccalauréats. La classe de seconde en LEGT fonctionne comme un deuxième filtre.
Ceci fait qu’il y a une préoccupation de tous sur la « réussite scolaire » et en particulier dans les deux matières nobles (mathématiques et français). Est-ce que l’élève peut poursuivre dans la classe supérieure ? Si oui, il continu et si non il est orienté. Ce dernier doit alors réfléchir à son avenir (dans de mauvaise conditions, il est rejeté, il est étiqueté « mauvaise élève », etc…) et celui qui continue est un survivant, il est passé, mais il n’a pas à réfléchir vers quoi, à long terme il va. Comme dirait Coluche « Tant que je gagne, je joue ! » ou ou Alain Souchon : « On avance, on avance. »
L’orientation, c’est le choix de l’étape (« scolaire », de formation….) suivante et non de la projection dans l’activité professionnelle future.
Ajoutons que l’enseignement général est bien celui qui se situe au loin d’un utilitarisme. C’est cette particularité qui met à distance en France l’enseignement et l’entreprise.
Il est alors assez compréhensible qu’à la suite d’un tel formatage, le survivant raisonne encore de la même façon : poursuivre dans la/les matière(s) où l’on est à l’aise.
Bernard Desclaux
Ressources
Bernard Desclaux : « La procédure d’orientation scolaire : une évidence bien française, » in TransFormations n° 3 mars 2010, pp. 77-96
Bernard Desclaux : « Pourquoi faut-il supprimer les procédures d’orientation »
Bernard Desclaux : « Contribution pour la refondation de l’orientation »