De la crise scolaire au handicap
Dans un article récent du journal
Le Monde le célèbre sociologue de l’éducation François Dubet porte un regard critique sur notre système scolaire français en faisant de cette « crise » qui le traverse depuis une trentaine d’années, un problème politique. Il rappelle en effet que les inégalités scolaires reproduisent les inégalités sociales comme Bourdieu l’avait déjà montré en son temps, mais va plus loin en affirmant qu’en France non seulement l’école reproduit mais qu’« elle accentue la reproduction de ces inégalités. » Et pour lui la raison en est que la massification scolaire des années 60, puis celle des années 80 dans l’enseignement secondaires et les études supérieures, n’a pas été accompagnée d’un « changement de nature de l’école ». Ainsi « le collège unique en 1975 a été créé sur le modèle du lycée bourgeois, ne répondant pas ainsi aux besoins des élèves venus des classes populaires ».
C’est ainsi que « nous avons maintenu, voire accentué les hiérarchies scolaires conduisant à une orientation par l’échec, alors qu’il aurait fallu diversifier les modalités de formation et permettre aux élèves de circuler dans le système ». (…) « Nous n’avons pas compris que dans un système de masse le métier d’enseignant devait changer », ajoute-il un peu plus loin. Le fonctionnement de ce système scolaire resté inchangé, il le nomme « l’élitisme républicain » en faisant remarquer que « l’idéal élitiste détermine toutes les pratiques y compris celles des filières et des établissements qui n’accéderont jamais à l’élite, y compris celle des classes enfantines où les notes se portent bien. » Tout est dit dans les quelques lignes de cet article vigoureux qui dénonce cet élitisme français qui laisse sur le bord du chemin tous ceux qui n’entrent pas dans ce « système ».
Notons que ce qui est mis en cause c’est le métier même d’enseignant, ce qui signifie que ce sont les pratiques pédagogiques elles-mêmes qui devraient changer, en passant d’une pédagogie frontale proposant les mêmes contenus à tous les élèves à une pédagogie différenciée, soucieuse de prendre en compte « toutes les différences ». Nous reviendrons plus loin sur cet aspect pédagogique qui nous semble essentiel si l’on veut construire aujourd’hui une « école inclusive ».
Mais si les classes populaires sont victimes de ce système, que dire d’une population encore plus « défavorisée » qui est la population des élèves en situation de handicap ? Dans ce système élitiste qui favorise les meilleurs, quelle peut être la place de ceux qui, pour des raisons autres que sociales, ne peuvent pas entrer dans le moule ? Comme le souligne Charles Gardou dans son
livre sur la société inclusive, « ces personnes en situation de handicap sont mises, de manière radicale, au ban de leur communauté d’appartenance. On les éloigne comme pour éviter une contagion. La croyance inavouée qu’elles sont « naturellement autres » et leur supposée improductivité les condamnent à un huis clos. Cela en fait des êtres atopos, sans place dans la société. Maintenues dans des hors lieux. Dans un arrière monde, sorte d’espace blanc, que les sociétés traditionnelles associent à l’idée d’abandon et d’inexistence sociale. Rendues invisibles, ontologiquement gommées. » Certes certaines parmi ces personnes sont « intégrées » ou « incluses » en milieu ordinaire, mais il s’agit d’une minorité, bien souvent issue des milieux les plus favorisés et provenant de familles qui ont eu les ressources à la fois matérielles et sociales de s’engager dans un «
parcours du combattant ».
Pour mesurer l’ampleur du problème voici quelques chiffres : il y a actuellement plus de 200 000 élèves en inclusion à l’école ordinaire (dont certains très partiellement), mais sur un effectif total de plus de 12 millions, soit environ 1 sur 60, d’après l’Education nationale sur l’année 2011-2012 . Plus de 100 000 enfants dans des structures médico-sociales (source
DREES , 2010) et plus de 100 3 0enfants dans les
hôpitaux de jour . Environ 20 000 enfants handicapés à domicile, aucune statistique n’est clairement établie, mis à part le constat de 5 000 à 20 000 enfants avec une orientation en IME (Institut Médico-Educatif) mais sans place pour la rentrée scolaire de septembre 2013 d’après le
défenseur des droits …
Si une partie importante de ces enfants est officiellement scolarisée à l’école ordinaire, cette scolarisation est bien souvent très partielle avec quelques heures dans la semaine, un personnel insuffisamment formé, des aménagements aléatoires. Au fur et à mesure de l’avancée des classes d’âge, la proportion d’élèves handicapés se réduit (sauf pour les handicaps moteurs et sensoriels).
Ainsi pour les enfants avec troubles cognitifs et mentaux (TFC), qui sont majoritaires dans le champ du handicap, ils sont moitié moins présents dans le secondaire qu’à l’élémentaire : 60 513 (1er degré), 30 145 (2° degré). Cette population est celle qui pâtit le plus du manque d’égalité des chances : le rapport sénatorial de la commission des lois (juillet 2012) met en évidence que 20 000 enfants en France sont sans solution scolaire. Ce sont les enfants les plus atteints (polyhandicapés et autistes sévères), les moins autonomes, qui sont dans cette situation.
Pour améliorer cette situation et rendre l’école plus inclusive, il est certes très important de reconnaître la fonction des AVS (Auxiliaires de vie scolaire) comme un véritable métier, mais cela ne saurait suffire à améliorer la situation. Pour véritablement développer l’inclusion scolaire il faut aussi impliquer fortement les enseignants qui sont d’ailleurs les responsables des situations pédagogiques. Par ailleurs la formation de ceux-ci, comme des autres personnels (dont les AVS), doit être assurée par des spécialistes de l’inclusion scolaire et de la pédagogie adaptée.
Mais en quoi consiste cette pédagogie adaptée ? Pour répondre à cette question il nous faut définir au préalable avec précision cette nouvelle notion d’inclusion qui est aujourd’hui dans tous les discours et qui est devenue à ce point « politiquement correcte » que plusieurs associations gestionnaires d’établissements dans lesquels on accueille des enfants handicapés se revendiquent aujourd’hui comme adeptes de la pratique inclusive … Mais qu’est-ce que l’inclusion et en quoi l’inclusion se distingue-t-elle de l’intégration, puisque dans les pratiques et dans les discours l’inclusion a succédé à l’intégration. Nous faisons l’hypothèse qu’en développant une scolarité inclusive pour les élèves en situation de handicap il est peut être possible de résoudre la question de la crise scolaire.
De l’intégration à l’inclusion
Nous sommes en effet passés d’une pratique de l’intégration scolaire à une pratique de l’inclusion scolaire, mais ce changement n’a pas été suffisamment préparé, ce qui fait que nous restons dans une période de transition entre intégration et inclusion. Ce qui différencie ces deux pratiques est très bien expliqué par Charles Gardou dans son dernier ouvrage : « l’objectif de l’intégration est de faire entrer dans un ensemble, d’incorporer. (…) Un élément extérieur, mis dedans, est appelé à s’ajuster à un système préexistant. Ce qui est premier est l’adaptation de la personne : si elle espère s’intégrer, elle doit d’une manière assez proche de l’assimilation, se transformer, se normaliser, s’adapter ou se réadapter. Par contraste, une organisation sociale est inclusive lorsqu’elle module son fonctionnement, se flexibilise pour offrir au sein de son ensemble commun, un « chez soi pour tous ». (…) Ce chez soi pour tous ne serait toutefois que chimère s’il n’était assorti, dans tous les secteurs et tout au long de la vie, d’accompagnements et de médiations compensatoires, de modalités de suppléance et de contournement. »
Ainsi ce qui permet de distinguer l’intégration de l’inclusion c’est que dans la première c’est la personne handicapée ou différente qui doit faire l’effort, avec aide, de s’adapter au milieu qui l’accueille en se « normalisant », tandis que dans la seconde, c’est le milieu d’accueil qui fait cet effort d’adaptation pour répondre aux besoins particuliers de la personne. Il s’agit assurément d’une révolution culturelle en milieu éducatif dont on n’est loin d’avoir mesuré tous les effets… Nous sommes en train d’avancer tout doucement dans cette voie qui certes pourrait conduire à un changement assez radical de notre système éducatif… Car jusqu’à présent les besoins particuliers de tous les élèves étaient assez peu pris en compte dans notre système scolaire. Ainsi c’est en faisant l’effort d’accueillir des élèves différents que les enseignants prendront l’habitude d’ajuster leur pratique à la diversité des élèves et à différencier leur pédagogie… Ce qui signifie que l’accueil en milieu scolaire ordinaire d’élèves différents devrait conduire à un changement de notre système éducatif. Comme le fait encore remarquer Charles Gardou, « Une société inclusive n’est pas de l’ordre d’une nécessité liée au seul handicap. Ce qui prime est l’action sur le contexte pour le rendre propice à tous… » (p.38)
Des
auteurs québécois ont réfléchi à cette question de l’inclusion d’une façon plus pratique en donnant quelques « clés pédagogiques » pour construire cette école inclusive. Ils se réfèrent entre autres à cette déclaration de Salamanque de 1994 (UNESCO) dans laquelle il est affirmé que « chaque enfant a des caractéristiques, des intérêts, des aptitudes et des besoins d’apprentissage qui lui sont propres, (…) Les systèmes éducatifs doivent être conçus et les programmes appliqués de manière à tenir compte de cette grande diversité de caractéristiques et de besoins ».
Ainsi être capable de prendre en compte les besoins particuliers de chaque apprenant devrait permettre à l’école d’ouvrir ses portes à ces enfants qui ont des besoins éducatifs particuliers et qui sont en situation de handicap. Comme l’affirment ces auteurs une école inclusive est une école qui « répond aux divers besoins d’apprentissage des élèves par un enseignement différencié » (p.16). La pédagogie différenciée, voire même parfois individualisée, est celle qui doit être pratiquée dans ces écoles. Tant que la pédagogie reste générale et s’adresse à tous les élèves de la même façon, elle favorise une élite. Tant qu’elle propose les mêmes stratégies et les mêmes contenus pédagogiques à tous les élèves sans tenir compte de leur profil particulier, de leur stratégie d’apprentissage, de leur rythme propre, elle ne peut être inclusive, ni pour les élèves venant des milieux défavorisés ni pour ceux qui sont en situation de handicap.
Les principes d’une école inclusive
Aujourd’hui bien que l’inclusion soit dans tous les discours, elle est loin d’être majoritairement dans les pratiques des enseignants. En réalité nous en sommes restés à la pratique de l’intégration qui attend des élèves qui sont accueillis (élèves avec handicap compris) qu’ils fassent eux-mêmes l’effort de s’adapter au milieu qui les accueillent et qu’ils en respectent les normes.
S’ils n’y parviennent pas, alors au lieu de remettre en question la pratique de l’enseignant pour chercher à mettre en place les adaptations éducatives et pédagogiques nécessaires, on en fait porter la responsabilité à l’enfant, en prétendant soit qu’il n’est pas à sa place et qu’il serait bien mieux dans un lieu dédié au handicap avec des « spécialistes » qui sauront le « prendre en charge », soit qu’il est « en souffrance » et qu’il est injuste de le laisser dans cette situation… Comme le montre le schéma ci-dessus dans la démarche intégrative on offre le même cadre à tous, sans tenir compte des différences et de ce fait, on privilégie les élèves les plus doués. Dans la démarche inclusive, au lieu de partir d’une égalité de principe qui n’existe pas, on se propose de l’atteindre en adaptant les supports et les stratégies pour ceux qui ont plus de difficultés, ce qui permettra à terme que ces trois spectateurs qui n’ont pas les mêmes chances au départ, d’arriver au même résultat mais selon leurs compétences et leur rythme propre … Liberté Egalité Fraternité sont d’excellents principes éducatifs à condition de reconnaître que pour ce qui est de l’égalité, dans la loi de 2005 on parle « d’égalité des droits », avec les processus de compensation et d’accessibilité. Il s’agit davantage d’un objectif à atteindre que d’un point de départ comme il est encore envisagé aujourd’hui.
Comme l’expliquent ces auteurs québécois qui ont mis en application ces principes dans les écoles, « l’inclusion est un processus et non un aboutissement. Aucune personne ou aucune organisation ne peut affirmer être entièrement inclusive. » (p.17) Cela signifie que l’inclusion est une finalité éducative plus qu’un objectif. Les deux sont souvent confondus à tort car l’objectif contrairement à la finalité est ce que l’on peut atteindre (ou rater si l’on n’y met pas les conditions), tandis que la finalité est toujours hors de portée, elle est un horizon que l’on se fixe mais dont on sait que l’on ne peut que tendre vers lui sans jamais l’atteindre tout à fait. L’inclusion est comme l’autonomie, une « valeur éducative » qui correspond à un idéal qu’il faut avoir à l’esprit et vers lequel on tend, tout en sachant que l’on ne pourra jamais l’atteindre complètement. On ne peut que s’en rapprocher, ce qui est déjà beaucoup. Qui peut se prétendre parfaitement autonome, ou parfaitement « inclusif » ? Voilà ce que veulent dire ces auteurs lorsqu’ils posent l’inclusion comme un « processus ». Ce qui compte n’est pas d’atteindre le but, mais de mettre en place toutes les conditions pour s’engager dans cette voie. Ces conditions à mettre en place sont multiples et parmi elles, la collaboration entre les différents professionnels est importante, collaboration avec les parents, les professionnels de santé, des services sociaux… Mais surtout ce qu’il faut parvenir à installer au sein de l’école, c’est ce que ces auteurs appellent « une culture de l’inclusion ». Ainsi dans cette culture de l’inclusion il y a « ce respect de l’individualité et de la différence en le considérant comme un facteur d’enrichissement ». Ainsi au lieu de penser la différence comme un problème et un obstacle au bon fonctionnement de l’école, on la regarderait comme une chance qui est offerte. Certes il s’agit d’un véritable « défi », mais on l’accepte comme tel. Il se trouve au cœur de la culture inclusive. Et ce qui est important n’est pas que tous les élèves arrivent au même résultat, mais que tous progressent. Et pour les aider à progresser il est mis en place ce qu’on appelle « une évaluation inclusive ». C’est d’autant plus important que l’évaluation des élèves se trouve au cœur de la scolarité.
L’évaluation inclusive n’est pas une évaluation sommative avec des notes, c’est une évaluation pour aider l’élève à apprendre. C’est ce qu’on appelle l’évaluation formative en pédagogie. Comme l’explique ces auteurs, cette évaluation « souligne les réussites des élèves et détermine les priorités pour le futur. » Ce n’est pas une évaluation sanction telle qu’elle est encore majoritairement pratiquée dans notre système scolaire, mais une évaluation en cours d’apprentissage pour aider l’apprenant. Quant aux contenus pédagogiques, ils sont définis comme « des défis d’apprentissage appropriés », ce qui signifie que les élèves sont bien repérés dans leurs particularités et que ce qu’on leur propose est nécessairement à leur mesure.
Ainsi ce qui est recommandé aux enseignants :
« Établir des objectifs en faisant preuve de flexibilité quant au programme d’enseignement, selon les points de départ de la classe, du groupe ou de l’individu.
Concevoir un système de suivi qui récompense les efforts des élèves et dont les renseignements sont utilisés à des fins de planification ». (p. 70)
Dans un tel système tous les élèves sont valorisés, non selon leurs résultats, mais selon leurs efforts. Et en cas de difficulté, ils sont aidés.
Ensuite dans un tel cadre inclusif au lieu d’entretenir la concurrence entre les élèves, ce que produit notre propre système éducatif, on favorise l’entraide entre les élèves. On encourage les plus doués à accompagner ceux qui sont plus en difficulté. Ce qui s’appelle le tutorat dans notre système n’est pas assez diffusé, il reste une heureuse exception…
Un autre chercheur québécois,
Raymond Vienneau, utilise l’expression de pédagogie inclusive. Cette expression nous semble très appropriée. Voyons quel en est le contenu.
La pédagogie inclusive ou la pédagogie de l’inclusion
Pour Raymond Vienneau l’intégration scolaire a constitué une étape essentielle « en ce qu’elle a permis les premières expériences d’intégration physique (une classe spéciale intégrée dans une école de quartier) et d’intégration sociale (des élèves intégrés partageant les mêmes services comme la cafétéria de l’ école). Elle aura surtout permis de montrer que l’intégration pédagogique en classe ordinaire était chose possible, ne serait-ce qu’à temps partiel ou que pour certaines catégories d’élèves en difficulté. » (p.9)
En méditant sur cette citation on comprend qu’en France nous en sommes toujours à cette étape de l’intégration scolaire, même si l’on parle d’inclusion, y compris pour nommer ces classes spéciales dans les écoles que l’on appelle à tort des CLIS (classes d’inclusion scolaire) ou des ULIS (Unités locales d’inclusion scolaire) qui en réalité fonctionnent encore sur le modèle intégratif, à savoir une classe spécialisée, certes ouverte sur l’école ou l’établissement mais de façon très partielle …
Pour ce qui est de l’inclusion scolaire « celle-ci s’insère dans un plus vaste mouvement, une tendance de fond en pédagogie, qu’on pourrait qualifier d’émergente, vise essentiellement la gestion des nombreuses différences observées entre apprenantes et apprenants (concernant le rythme d’apprentissage, le style cognitif, les types d’intelligence etc.). L’inclusion en classe ordinaire d’élèves en difficulté n’a fait qu’accentuer ce besoin d’individualiser le processus d’enseignement-apprentissage au bénéfice de tous les élèves ». (p.9)
Ainsi on comprend où se situe la différence dans la démarche, l’inclusion concerne « tous les élèves » et pas seulement ceux en situation de handicap. Il s’agit d’une transformation du métier d’enseignant que François Dubet dans son article appelle de ses vœux. Car il insiste bien sur ce qu’il appelle « la crise d’efficacité pédagogique ». Il précise que « les agendas scolaires, le mode d’organisation du travail scolaire, la qualité de la formation des maîtres, la difficulté d’individualiser le travail des élèves peuvent être mises en cause puisque des pays qui connaissent les mêmes difficultés sociales que les nôtres ont de meilleurs résultats scolaires ».
Ainsi le fait d’accueillir des élèves différents non seulement ne fera pas baisser le niveau scolaire comme le craignent encore beaucoup d’usagers et d’enseignants en France, mais bien au contraire cela devrait contribuer à une amélioration de l’efficacité scolaire… Il y a là un enjeu très important pour notre société. François Dubet a raison de penser qu’il s’agit là d’un problème politique.
Les adeptes de l’inclusion telle qu’elle est définie ici abandonnent la notion d’intégration car selon eux, pour intégrer il faut d’abord avoir exclu. Ce qui signifie que dans ce régime d’intégration scolaire dans lequel nous nous trouvons toujours en France, l’existence de tous les services et institutions ségrégués est maintenu. Ces services et institutions continuent d’exister pour tous ceux dont on pense qu’ils n’ont pas leur place en milieu ordinaire… Comme l’explique Vienneau, « avec l’inclusion il en va tout autrement. Les partisans de l’inclusion totale (full inclusion), adoptent une philosophie éducative qui exclut toute forme de rejet (zero reject philosophy).
Bref l’école et la classe ordinaires doivent répondre aux besoins de tous les élèves » Nous serions tentée d’ajouter : tous les élèves sans exception. Car à partir du moment où certains, même si c’est une minorité, se trouvent exclus de ce système, où établir la frontière entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas ? Comme le fait remarquer Philippe Meirieu, en pédagogie comment peut-on savoir si c’est ou non possible tant que l’on n’a pas essayé ? Sachant qu’il vaut mieux s’appuyer sur le postulat d’éducabilité…ne pourrait-on pas parler aussi d’un postulat d’inclusibilité ? Démontrez-moi qu’il est inclusible ! Non, je n’ai pas à vous le démontrer, car un postulat ne se démontre pas. C’est un principe que l’on pose, en l’occurrence un droit pour tout élève quel qu’il soit d’être scolarisé avec ses pairs.
En outre, comme le précise Vienneau, la pédagogie de l’inclusion se distingue de celle de l’intégration scolaire « en ce qu’elle propose un modèle pédagogique pouvant bénéficier à l’ensemble des élèves de la classe ordinaire. En fait l’inclusion scolaire repose sur l’idée que chaque apprenant étant unique, les écoles et le processus d’enseignement-apprentissage doivent être structurés de manière à ce que chaque élève reçoive une éducation adaptée à ses caractéristiques personnelles et à ses besoins particuliers. » Il s’agit d’un « nouveau paradigme éducationnel ».
Ce nouveau paradigme éducationnel s’exprime de la façon suivante : à la place du paradigme classique du 1 X 30 (groupe relativement homogène de 30 élèves), le groupe classe devient : 30 X 1 (30 fois 1 ou 30 apprenants individuels). Ce qui serait une sorte de révolution culturelle de notre système éducatif. C’est ce paradigme de l’inclusion totale qu’il faut envisager comme un processus dans lequel on s’engage et qui représente pour l’école un véritable défi permanent.
Pour conclure …
Ce qui est important dans cette nouvelle approche pour la France, c’est la dimension pédagogique de l’inclusion. Contrairement à ce que pensent actuellement nos politiques qui considèrent que cette inclusion ne pourra se faire sans la collaboration avec les spécialistes du secteur médico-social, c’est en changeant notre système éducatif lui-même et en impliquant fortement les enseignants que cette inclusion scolaire pourra se développer dans notre pays. Rien ne pourra se faire sans le concours des enseignants. Et contrairement aux craintes de beaucoup de français, cette inclusion n’est nullement en contradiction avec les attentes d’excellence scolaire, bien au contraire. L’inclusion d’élèves avec handicap ou en grande difficulté d’apprentissage ne risque nullement de ralentir le rythme d’apprentissage du groupe classe. Elle invite chacun à travailler à son rythme et elle offre une belle occasion d’ouverture à toutes les différences. En développant le sens de la responsabilité des élèves et la relation d’aide entre pairs, elle peut aussi contribuer à améliorer les problèmes de comportement d’un certain nombre d’élèves décrocheurs… et à favoriser une culture de la coopération et de la solidarité entre tous les élèves.
Si l’on prive l’inclusion de cette dimension pédagogique comme on le fait aujourd’hui en France, en se contentant d’accueillir des élèves dans l’espace scolaire, mais sans modifier la pratique de l’enseignement, alors on reste dans une pratique d’intégration scolaire que l’on appelle à tort de l’inclusion. En misant tout sur les AVS (Auxiliaires de vie scolaire) sans impliquer suffisamment les enseignants, et en affirmant dans la nouvelle Loi sur la refondation de l’école que l’inclusion est désormais une priorité, le risque encouru est une fois de plus se contenter d’une affirmation de principe mais qui ne sera pas vraiment suivie d’effets, car on ne se sera pas donné les moyens « pédagogiques » de la mettre en place.
Comme le remarque un auteur cité par Vienneau « Il y a des enfants qui sont parachutés en classe ordinaire au nom de l’inclusion, alors qu’en fait, rien n’a été fait pour en faire une classe inclusive, sauf à y placer un élève avec handicap ou en difficulté. » (p .17)
Le seul placement dans une classe ordinaire d’un élève handicapé ne saurait suffire à faire de cette classe une classe inclusive. C’est une condition nécessaire mais non suffisante. C‘est donc bien la dimension pédagogique de l’inclusion qui fait toute la différence…
Certes la dimension « formation au handicap » aujourd’hui envisagée pour les enseignants ordinaires dans la nouvelle loi de la refondation pour l’école est également importante, mais elle ne saurait suffire… Cette transformation du métier d’enseignant nous apparaît encore plus décisive, et pourtant elle est totalement passée sous silence… Concluons en souhaitant qu’en France, dans les années qui viennent, « la pédagogie spéciale devienne générale et que la pédagogie générale devienne spéciale » !