PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In L’école et les temps de l’enfant – Eduquer pour instruire :

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Lille, 14 mars 2013

Rencontre animateurs

Claire Leconte

 

Pourquoi parler d’aménagement des temps de l’enfant plutôt que de rythmes scolaires ?

Le temps strictement scolaire, qui est de 864 heures annuelles (dont 72 heures de récréations !), ne correspond en fait qu’à moins de 10% du temps de vie des enfants.

Un nombre important d’entre eux passe même plus de temps en collectivités, puisque pour ceux qui viennent en garderie le matin, en restauration scolaire le midi, en garderie le soir, en centre de loisirs le mercredi, pendant certaines petites vacances, ce sont plus de 1000 heures ainsi passées, soit bien plus que le temps passé en classe.

Il ne paraît pas normal de considérer que seul le temps scolaire mérite d’être réaménagé, ce serait donné à considérer que ce n’est qu’au cours de ce temps que la vie de l’enfant se construit.

Rappelons nous qu’en avril 1792, Condorcet remet un rapport intitulé L’Organisation générale de l’instruction publique.

Cette déclaration reconnait à l’éducation une finalité civique : « L’instruction permet d’établir une égalité de fait et de rendre l’égalité politique reconnue par la loi ». Condorcet prône une instruction en deux temps : 1) l’éducation de l’école primaire 2) L’éducation tout au long de la vie, et pour lui, cette éducation concerne évidemment aussi celle qui se fait en dehors de l’école.

Les révolutions parisiennes de 1830 et 1848, qui ont mêlé sur les mêmes barricades étudiants (issus à l’époque de la bourgeoisie et de la noblesse), artisans et ouvriers, vont entraîner la formation de premières grandes associations laïques d’éducation populaire.

Mais c’est avec la création de la Ligue de l’enseignement en 1866, qui fonctionne sur toute la France et se prolonge par des comités scolaires et des bibliothèques, que le vrai départ est donné.

Je voulais ici simplement rappeler que l’éducation populaire, la Ligue de l’enseignement, ont précédé l’école obligatoire, dont je ne nie absolument pas l’importance ne serait-ce que pour permettre un brassage social et un apprentissage de la vie en collectivité pour tous les enfants, mais on ne doit pas non plus oublier qu’il a fallu plus qu’un certain temps avant que réellement tous les enfants restent vraiment présents en classe tout au long de l’année.

C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de longue date de supprimer certains mots de mon vocabulaire, comme rythmes scolaires, qui n’a pas de sens d’un point de vue scientifique et qui, comme je le rappelle dans mes historiques, signifie uniquement qu’il faut adapter les emplois du temps scolaire aux besoins connus des enfants du point de vue de leurs rythmes biologiques ; mais aussi le terme périscolaire, qui laisse entendre que l’éducation réalisée en dehors du temps de classe n’a de validité qu’en fonction de ce dernier temps. Or depuis que je travaille avec le terrain, je n’ai pu que constater que c’est bien la continuité éducative qui donne du sens aux apprentissages que fait l’enfant tout au long de sa journée. Je parle donc désormais d’activités éducatives scolaires et d’activités éducatives non scolaires.

C’est la raison pour laquelle pour moi, cette réforme, à condition qu’on la considère comme un réaménagement des temps de vie de l’enfant et pas uniquement comme une réorganisation des rythmes scolaires, est une véritable première pierre de soubassement pour la refondation de l’école.

Il n’est pas pour autant question de modifier les emplois du temps scolaire pour faire que l’école française ressemble à l’école allemande. J’ai toujours contesté la comparaison qui était faite par les journalistes m’interviewant quand je présentais le groupe scolaire Duruy De Comines.

Si l’école (le temps de classe) finit plus tôt qu’elle ne le fait actuellement ou libère des périodes dans la semaine, les temps ainsi libérés ne doivent en aucun cas être obligatoirement des temps libres. Toute famille ne pouvant reprendre l’enfant une fois la classe terminée doit pouvoir compter sur son accompagnement par la collectivité au sein de temps éducatifs aménagés, à charge pour le Territoire, – accompagné pour ce faire par l’état (en particulier en interministériel), ce serait mieux, -, d’aménager au mieux ces temps afin qu’ils participent au développement harmonieux de l’enfant. Cela ne peut s’entendre qu’avec des activités de qualité encadrées par des animateurs de qualité, formés et/ou experts. Des recrutements permettant une résorption du chômage des jeunes peuvent ainsi être prévus.

On ne peut oublier que des Projets Éducatifs Locaux  ou Globaux qui font déjà leurs preuves depuis plusieurs années comme c’est le cas à Lille, peuvent évidemment servir de modèles de base en vue d’appuis pour s’ouvrir à un partenariat avec l’Éducation nationale.

On ne peut que comprendre que les communes durablement impliqués sur leurs territoires au titre des projets éducatifs locaux  militent pour une réforme ambitieuse dans laquelle elles pourraient prendre une place plus importante au-delà des expérimentations menées ici ou là. Elles ont l’ambition d’un dispositif éducatif (comprenant le temps scolaire et l’ensemble des actions éducatives réalisées sur les temps « péri » et « extra » scolaires) visant à traiter de manière égale les enfants.

Pour ce faire les communes doivent s’engager en garantissant contractuellement :

– un projet concerté articulant les différents temps de l’enfant

– un dispositif de pilotage et d’évaluation de la démarche et des actions éducatives

– un travail conjoint de conception des projets par les différents acteurs éducatifs

– une qualification des acteurs associatifs.

Nombreuses sont les erreurs éducatives qui sont faites par manque de connaissances, que ce soit chez l’enseignant ou le professionnel acteur de l’éducation qui intervient à côté de l’école, mais aussi chez les parents. Or on ne peut bien aménager les temps que si on connaît le fonctionnement des rythmes biologiques chez l’enfant et l’adolescent, mais aussi les effets des pratiques pédagogiques et éducatives sur la distractibilité et la fatigabilité de l’enfant.

Il me semble donc indispensable que des modules de formation soient inscrits dans la formation des enseignants comme dans celles de tout animateur social ou tout éducateur, concernant les rythmes biologiques. Sans doute d’ailleurs ces modules pourraient-ils être proposés en commun aux différents professionnels en formation, ce qui leur permettrait d’échanger et d’avoir sur ce plan une culture commune. Il en est de même pour certaines pratiques éducatives, comme par exemple l’observation des comportements des enfants, les erreurs pédagogiques à ne pas faire face à un enfant fatigué ou ayant des difficultés à se concentrer.

Pour les enseignants, la pédagogie doit reprendre sa place au sein de leur formation initiale, mais surtout les différentes pédagogies utiles à connaître, pour leur laisser ensuite le choix de celle avec laquelle ils adhèrent le plus. C’est ainsi qu’ils pourront capter le mieux possible l’écoute et l’attention de leurs élèves, en évitant à ceux-ci une fatigue inutile. Mais dans cette formation il est important que soit transmises les connaissances permettant de développer chez l’enfant des stratégies de transfert d’apprentissages. En apportant ces mêmes connaissances aux autres professionnels chargés des enfants dans les temps libérés, on rendra capables les enfants de réaliser par eux-même les transferts d’apprentissage, tant au sein des contenus scolaires qu’entre contenus scolaires et contenus non scolaires, c’est ce qui permettra de faire du lien entre les apprentissages formels et non-formels.

Pour les professionnels intervenant sur les autres temps que scolaires, une formation spécifique est nécessaire aussi, outre celle qu’ils auraient en commun avec les futurs enseignants, sur les pratiques pédagogiques à mettre en œuvre devant un groupe d’enfants qui ont souvent besoin de ces temps là pour déstresser, pour se décontracter tout en prenant plaisir à découvrir de nouvelles activités. Ils doivent aussi apprendre à mettre en place une organisation permettant qu’au cours de ces activités, les enfants apprennent à découvrir en eux de nouvelles compétences, de nouvelles potentialités, mais apprennent aussi à respecter l’autre et à respecter les lieux et matériels mis à disposition tout comme ils le font en classe. C’est ce qui permet, entre autres, de donner de la cohérence entre ces différents temps, mais c’est aussi ce qui permet de développer chez chaque enfant son estime de soi, la confiance en soi et encore un mieux vivre ensemble.

Au sein des collectivités et des territoires, un projet éducatif doit encadrer l’aménagement de tous les temps éducatifs des enfants (scolaires et non scolaires), ce qui impose que ce projet soit rédigé concomitamment entre les enseignants, les partenaires éducatifs, les collectivités et les parents. Mais une fois la rédaction du projet réalisé, il faut que le partenariat enseignants-animateurs se poursuive, qu’il y ait des échanges bien réels entre les activités scolaires et celles réalisés dans les temps éducatifs libérés. Il n’est nullement question de confondre les activités professionnelles des uns et des autres, mais l’école a tout à gagner si elle peut compter, en complément de sa transmission de savoirs et de connaissances, sur des acquisitions faites par les enfants en dehors de leurs temps d’élèves. C’est dans les échanges entre ces professionnels que des transferts d’acquisitions pourront se réaliser et permettre aux enfants d’acquérir plus rapidement une autonomie dans leur travail scolaire. L’activité faite en arts plastique dans les temps éducatifs peut tout à fait venir en interactions avec celle qui est faite en classe, et/ou se faire sur d’autres modalités, il en est de même pour toute activité dite d’éveil, que ce soit la musique, ou encore l’EPS. Pour l’enfant, ce sera une richesse de faire des activités qui se ressemblent sous des formes et avec des encadrements différents. Il perçoit mieux dans ces conditions, ses réelles capacités.

De plus pour qu’un tel partenariat existe et perdure, outre la bonne volonté des différents professionnels, il faut que puisse être institutionnalisé un temps de rencontre.

Il me semblait tout aussi important, pour que cette construction réussisse, que ce dossier soit porté en interministériel, pas uniquement par l’Éducation nationale car la Culture, la Jeunesse et Sports et Éducation populaire, mais aussi la Famille, et même la Santé entre autres, ont évidemment non seulement des suggestions à apporter mais également des moyens possibles à mettre à disposition.

Ce n’est pas le cas pour l’instant, mais on a encore le droit de rêver !

Aménager les temps des enfants autrement nécessite d’organiser sur la semaine ses journées en Jours éducatifs comportant des temps éducatifs scolaires et des temps éducatifs non scolaires et permettant de gérer différemment les matinées d’apprentissage et les après-midis que ce qui se fait actuellement.

En 1906 déjà, Binet, (co-créateur d’un test permettant de  dépister des difficultés d’apprentissage) déclarait : « Le travail du matin est celui qui produit le maximum de rendement, il faut donc réserver la classe du matin pour le travail le plus difficile. Il faut interrompre les exercices toutes les heures par des récréations afin de ne pas trop épuiser l’attention. Il faut éviter de trop longtemps prolonger le même type de travail ».

L’autre intérêt d’un allongement de la matinée consiste à donner du temps aux ateliers éducatifs qui prendront le relais après le temps scolaire : c’est particulièrement important si on veut que ces ateliers permettent aux enfants de découvrir réellement des activités nouvelles, de montrer aux autres – enfants comme adultes – qu’ils ont des compétences même quand ils ne sont pas les meilleurs, loin s’en faut, à l’école, de permettre que des parcours éducatifs soient mis en place et pas uniquement une succession d’activités ponctuelles. C’est une bonne occasion de faire participer les associations et clubs de la collectivité locale, ce qui leur permettra de faire découvrir ce qu’ils font et de donner envie à des enfants de s’y inscrire en dehors de l’école. Du temps ainsi accordé permet de mettre en place des activités telles que la découverte et la protection de l’environnement, la construction d’un journal, d’une pièce de théâtre, d’un castelet de marionnettes (avec la pièce accompagnante), etc. Les associations relevant des mouvements d’éducation populaire ont une très bonne expertise en la matière dont il conviendrait de bénéficier au mieux.[1]

Peut-être pourrait-on aussi imaginer que de tels projets permettent que les activités extra-scolaires habituelles des enfants (choisies et financées par les familles) puissent être organisées dans ce cadre, ce qui éviterait les activités sportives tardives de fin de journée en particulier chez les enfants de l’école primaire. De même cela permettrait de donner une cohérence temporelle à toutes les activités actuellement parcellisées pour un enfant donné.

Enfin il est évident qu’une telle organisation des journées permettrait aux enfants porteurs de handicaps de bénéficier des compléments nécessaires à leur bon développement (orthophonie, psychomotricité par exemple) sur des temps mieux adaptés tout en ne leur faisant pas perdre de temps scolaires.

Cette organisation avec matinées de 4h organisées autour de deux pauses, ce qui permet d’alterner intelligemment toutes les séquences pédagogiques, fonctionne ainsi depuis 1996 dans le groupe scolaire Duruy De Comines, pour la plus grande satisfaction des enseignants de toutes les classes et des parents. Commencer assez tôt le matin n’est en rien difficile à ces âges là, d’autant moins quand un travail éducatif a été mené pour faire respecter la régularité du veille-sommeil, car ces enfants sont, physiologiquement, plutôt des matinaux, cela change à l’adolescence, mais pas à cet âge.

C’est, il faut le savoir, un des facteurs du succès de l’ARVEJ. Cela a été repris par un groupe scolaire de Lomme, qui fait le même constat de bien-être dans les apprentissages grâce à une disponibilité constante, chez les élèves depuis le passage à la matinée de 4 heures.

Libérer complètement des temps pour assurer les activités éducatives non scolaires permet non seulement de valoriser les activités ainsi mises en place mais permet également aux enseignants d’avoir des temps libres pour gérer par eux-même toutes leurs activités « invisibles », ce qui a beaucoup plus d’intérêt pour leur qualité de vie professionnelle que de ne leur laisser que des temps contraints pour réaliser ces mêmes tâches.

Autre point sensible, il faut organiser la pause méridienne au mieux des besoins des enfants et des jeunes.

Mais il faut rappeler que cette pause méridienne correspond à une baisse de la vigilance physiologique, indépendante de la digestion, vraie à tout âge, c’est en fait le milieu du cycle circadien qui apparaît donc 12 heures après le creux de la nuit. On sait que le taux de cortisol connaît également une baisse à ce moment là de la journée.

C’est dire qu’il ne suffit pas de donner une obligation de durée pour ce temps, il faut aussi impérativement prévoir un aménagement des espaces, des contextes de vie, des possibilités de relaxation (voir Mainguy, 2011, la relaxation pour goûter la saveur du temps), prévoir un encadrement formé pour ne pas pousser à l’activisme et au contraire pour assurer la sécurité aux enfants qui ne veulent « rien faire ». Y compris chez les collégiens et lycéens,

Il faudrait permettre des lieux de rencontres et échanges entre copains, des lieux de lecture, de jeux choisis, d’activités calmes. Sans compter qu’il est indispensable que le lieu de restauration soit aménagé de sorte à ne pas devoir faire prendre le repas sous la pression du temps ou dans un bruit de fond (jusqu’à 85db) difficilement compatible avec le besoin de décontraction, de déconnexion. L’idéal serait que l’aménagement de ce lieu bien repensé donne envie à certains enseignants d’y rester et de pouvoir ainsi partager un temps d’échanges agréable avec ses collègues.

Par ailleurs, contrairement à ce que d’aucuns affirment, la « reprise attentionnelle » des élèves en fin d’après midi n’est pas aussi manifeste que certains voudraient le faire entendre. Voir mes argumentaires dans mon texte « refonder l’école». Il suffit d’ailleurs d’écouter les enseignants qui ne constatent jamais cette reprise, moins encore quand les enfants ont eu une période mal gérée en début d’après midi.

Enfin puisqu’un choix devra être fait, on ne peut ignorer que la longue coupure du week end génère une désynchronisation chez les enfants qui se répercute toute la journée du lundi. De plus la suppression du samedi a éliminé les rencontres spontanées entre parents et enseignants (qui n’ont pas le même sens que les rencontres avec demandes de rendez vous), entre parents, la possibilité de faire des ateliers en co-éducation dans les écoles, ne permet pas au parent séparé qui n’a son enfant que le week end de maintenir un lien, si important pour l’évolution scolaire de l’enfant, avec l’enseignant et l’école. Du point de vue des apprentissages, cette fin de semaine, souvent reconnue comme générant un climat d’école beaucoup plus serein que les autres jours, permettant de finaliser les apprentissages programmés sur toute la semaine, manque à l’appel et est souvent regrettée des enseignants qui en ont bénéficié. Sans compter qu’on oublie trop souvent tous les travailleurs du samedi, aussi importants en nombre que ceux du mercredi. Jusqu’en 2008 c’était le fonctionnement traditionnel en France.

C’est bien un réaménagement complet des temps de vie de l’enfant qu’il est nécessaire de réaliser, tous les acteurs éducatifs qui accompagnent l’enfant dans ces différents temps sont concernés, c’est donc ensemble qu’il faudra construire les projets à venir. D’autant qu’on ne peut ignorer que cette construction partenariale va générer un vivre ensemble nouveau au sein des quartiers qui ne peut que servir l’intérêt de chaque enfant.

 

 


[1] Notons ici que la journée scolaire continue est fréquente dans les autres pays d’Europe. Elle n’est critiquée que quand elle laisse les enfants livrés à eux-même à la fin de la classe. Ce n’est en rien l’idée défendue dans ces propositions qui pensent l’organisation de la journée comme intégrant des temps éducatifs scolaires et non scolaires.

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