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Tout au long de ce travail, nous avons vu que les accueillants insistaient sur une définition des LAEP comme des lieux « en creux », des « contenants vides », des « lieux de possibles ». La réticence ou la prudence par rapport aux conseils reflète la conviction qu’il n’existe pas un bon modèle de pratiques éducatives à adopter, mais un cheminement tant du parent que de l’enfant à accompagner. Cela ne signifie nullement que ces lieux ne sont pas porteurs d’une vision forte de l’enfant et des relations interpersonnelles. La conception de l’enfant qui ressort des discours est celle d’un enfant sujet, sujet de droit et sujet de parole. Cela se retrouve qu’on se place du côté de la citoyenneté et des droits de l’enfant, ou de la psychanalyse et de la parole adressée à l’enfant… et on sait que tous les lieux sont à des degrés divers des héritiers de Françoise Dolto. Autrement dit, par-delà sa place générationnelle, il lui est reconnu une qualité de sujet (ou de « personne », pour paraphraser le titre du film documentaire de Bernard Martino81). Cette place reconnue à l’enfant est liée à l’idéal de dialogue familial qui caractérise la famille contemporaine, ainsi que Gérard Neyrand le développe dans son récent ouvrage : « Le dialogue familial constitue à la fois un idéal et un principe de régulation, c’est-à-dire qu’au sein du cercle familial, il représente un modèle relationnel vers lequel tendent nos contemporains et une façon de se comporter. Cet idéal est désormais profondément enraciné, tant il participe de la diffusion dans la sphère privée des valeurs constitutives de notre système social républicain et démocratique, aussi bien que de la logique d’individualisation de la sphère marchande » .
Les LAEP sont des lieux de dialogue, dialogue qui suppose une égalité des positions subjectives. Cette égalité n’est pas à confondre avec une équivalence des places : parler d’accompagnement à la fonction parentale comme nous l’avons développé dans le chapitre précédent repose bien sur une différenciation des générations, mais en coprésence et en interrelation. Dans un ordre d’idée différent, nous avons vu également que la position des accueillants n’était pas équivalente à celle des accompagnants. Parler d’égalité des positions subjectives signifie reconnaître chaque personne comme sujet, et c’est à ce titre qu’on peut définir les LAEP comme des lieux de démocratie. Par conséquent, ils sont sans doute aussi des lieux d’exercice et d’appropriation du modèle relationnel du dialogue, que les mutations sociétales et familiales actuelles demandent à maîtriser, ce qui est plus ou moins aisé selon les milieux.
L’idée que les LAEP sont des lieux de démocratie se retrouve également dans un article de Luce Dupraz qui en parle comme d’espaces politiques, en s’appuyant pour cela sur une lecture de Hannah Arendt : « Les lieux d’accueil parents-enfants sont des enjeux de société. Les adultes construisent un monde commun. Il y a cet espace de l’entre-deux, si je reprends l’expression de Hannah Arendt, cet espace de la relation puisqu’une logique de confiance préside aux rapports entre les accueillants et les accueillis. Ce n’est pas en tant que professionnel mais en tant qu’être humain que les relations s’établissent entre ces deux protagonistes. (…) On parle de lien social. Pour ma part, je trouve que ce terme est trop galvaudé et je définirais les lieux d’accueil parents-enfants comme des espaces politiques de pensée entre adultes libres et égaux ». Lieux à dimension politique donc, c’est-à-dire qui concernent la cité, de par les valeurs démocratiques et égalitaires auxquelles ils se réfèrent et le respect de l’altérité, de l’humain, grand ou petit. Lieux à la fois « dans l’air du temps » par la vision de l’enfant et l’idéal de dialogue dont ils sont porteurs, et lieux « militants » du respect de la position subjective, et de résistance à certains discours actuels, qu’il s’agisse de dérives évaluatrices de vision de l’enfant « victime », ou au contraire de l’enfant potentiellement dangereux. On voit donc à quel point la socialisation à l’oeuvre dans les lieux d’accueil dépasse de loin pour l’enfant la simple confrontation avec la collectivité, et pour l’adulte la rupture de l’isolement – même si ces deux aspects ne sont de loin pas négligeables. Cette socialisation liée à un respect de chacun, n’est possible que par l’objectif des accueillants de tendre vers une pratique de l’écoute : « La Maison Verte n’est pas ou un lieu d’accueil socialisant pour l’enfant ou un lieu d’écoute ; C’est un lieu d’accueil socialisant et un lieu d’écoute, où il y a un accueil collectif, auquel participent les parents ».
Dans ce sens, la présence obligatoire de l’adulte tutélaire dépasse la prévention de traumatismes liés à la séparation, pour prendre tout son sens dans ce « monde commun », cet espace du vivre ensemble. Lieu passerelle, lieu rassembleur, lieu de spontanéité, lieu de convivialité, lieu d’échange, lieu de rencontre, lieu d’écoute, lieu de prévention, lieu de socialisation, lieu d’intégration, les lieux d’accueil enfants-parents sont pourtant loin d’être des lieux fourre-tout. Diversifiés, ils se rejoignent sur des principes de fonctionnement assez homogènes servant de base commune et sur des objectifs en direction des enfants et des adultes qui les accompagnent. La préoccupation centrale reste cependant tournée vers l’enfant, car si parfois une plus grande attention semble accordée aux accompagnants c’est bien en référence à leur fonction et leurs responsabilités parentales et éducatives.
Notre recherche a réussi à mettre en lumière ce que les LAEP impulsent d’une socialisation empreinte de solidarité, d’affiliation sociale et de confrontation constructive, où s’expriment, se croisent et se nourrissent les diversités. Dans ces lieux, c’est bien une idée de la démocratie qui est à l’oeuvre. La socialisation y est multiforme et complexe. Pour l’enfant elle ne se résume pas à une initiation à la vie sociale mais participe de sa subjectivation, par les effets d’une parole qui lui est adressée. Pour l’adulte elle crée du lien, est facteur d’intégration, accompagne son
cheminement dans sa manière d’être parent, et crée les conditions d’une dynamique de construction d’une identité en constant remaniement.
S’il est évident qu’un besoin d’éclaircissements plus théoriques émane de notre analyse du dispositif et de ses effets, ce qui pourrait donner lieu à de nouvelles perspectives d’études, cette recherche a le mérite de dresser un état des lieux des LAEP et par là elle répond à la demande des différents acteurs concernés, comme nous avons pu le percevoir sur le terrain notamment, de la part des accueillants et des parents très intéressés par notre questionnement et impatients d’en connaître les aboutissements, de la part aussi des partenaires fortement mobilisés et des représentants des institutions. Dans notre démarche, une approche descriptive a précédé une approche plus compréhensive de la diversité des Lieux d’Accueil Enfants Parents aujourd’hui, et il apparaît qu’au-delà de leurs différences, ils répondent bel et bien à la demande sociale des familles qui ont manifesté leur plaisir à fréquenter de tels lieux. En ces temps à la fois de mutation parentale et de politique utilitariste et managériale, ils semblent plus que jamais nécessaires