In L’Expresso – le Café Pédagogique – le 5 mai 2014 :
Accéder au site source de notre article.
Réformer c’est compliqué. C’est ce que Benoît Hamon a pu expérimenter le 2 mai à Lieusaint (77). A l’école de la Ferme de la chasse, les réalités du terrain nuancent le discours officiel. Pour le ministre, la réforme des rythmes est nécessaire. Ce n’est pas l’avis de tous les professeurs présents. Il présente un décret de portée limitée. Or le maire de Lieusaint, qui applique déjà la réforme depuis la rentrée, ne cache pas son intention de modifier l’année prochaine les horaires du périscolaire…
"Si vous pensez qu’il y a des lacunes dans cette réforme, dans le bénéfice pour les enfants, n’hésitez pas à le dire". Pour Benoît Hamon, "il n’y a pas de sujet tabou". Le 2 mai, il essaie d’entamer le dialogue avec les enseignantes de l’école de la Ferme de la chasse de Lieusaint (77). En limite de la ville nouvelle de Sénart, Lieusaint est représenté par un maire socialiste, Michel Bisson. L’école accueille environ 400 enfants dans 15 classes dont 6 classes de maternelle.
"Ce que je trouve terrible pour l’image de l’école, c’est le sentiment qu’à l’école on ne réunisse pas toutes les conditions pour permettre à tous les enfants de réussir". Benoît Hamon rappelle cruellement les promesses non tenues de l’école républicaine. "Le pays qui rabâche tous les jours l’égalité et les grands principes républicains, est le pays qui au regard des inégalités sociales est le plus mauvais". Pour le ministre, "la réforme des rythmes ne va pas résoudre tout cela. Mais ajouter une matinée c’est un moment de plus pour transmettre des fondamentaux. C’est comme cela qu’on détricotera cette forme d’étau".
Les enseignants divisés sur la réforme
"Le défi c’est réussir une rentrée où 65% des communes vont passer à de nouveaux rythmes avec des parents et des maires inquiets, des professeurs qui sont presque tous convaincus que ça va avoir un intérêt pour les enfants mais que ça les embarrasse eux". Justement le ministre est aussi venu dire que les rémunérations des enseignants du primaire "ce n’est pas un tabou".
Une enseignante de maternelle, Mme Rousseau, n’hésite pas a contredire le ministre. "On peut juger de l’impact de la réforme des rythmes et il est plutôt négatif pour les plus jeunes car la semaine est plus longue et les enfants plus fatigués". Le ministre n’en saura pas plus car l’inspectrice locale lui coupe la parole pour démentir. La majorité des enseignantes juge pourtant positivement la réforme. Pour Mme Fernandez, professeure en élémentaire, la réforme est "un changement positif. Avec 5 demi journées on presse moins les enfants, on a plus de temps", nous dit-elle. "Il faut maintenant changer les démarches pédagogiques et l’organisation du temps". Professeure en maternelle, Mme Marchand estime qu’on "manque de recul pour juger". "Tout ne marche pas comme sur des roulettes", nous dit-elle. "Mais pour moi les 5 matinées sont importantes. Personne ne peut nier que les élèves travaillent mieux le matin que les après-midi. Seulement il faut repenser ce qu’on fait. On a des matinées plus longues. Du coup il ne faut pas allonger les séances car les enfants en ont assez au bout de 30 ou 45 minutes. Il faut changer nos activités. C’est là dessus qu’il faut travailler". Pour la directrice, Emmanuelle Litwinski, "on manque de recul et c’est difficile de dire si la fatigue est liée au changement de rythmes". Mais il faut effectivement changer les contenus enseignés.
Les conditions de son intégration
Le ministre pense-t-il avec son nouveau décret diminuer l’opposition des enseignants ? "Je fais la différence entre l’opposition de certains syndicats et la réalité du terrain", nous confie B Hamon. "Quand je discute avec les enseignants certains ne cachent pas leur embarras sur le plan personnel mais la majorité reconnaît que la réforme est bonne pour les enfants".
L’école de la Ferme de la chasse a la particularité d’avoir une classe GS – CP, à cheval sur l’école maternelle et élémentaire. Mme Rivière en a la charge et la trouve "très sympathique". "Il y a une belle énergie dans cette classe", nous confie-t-elle. "Ca aide beaucoup pour l’apprentissage de la lecture et l’acquisition de l’autonomie. Mais ça demande des moyens".
Justement à Lieusaint on s’est donné les moyens de la réussite. La classe GS CP bénéficie d’une très grande salle de classe avec un coin salle traditionnelle et des espaces ateliers, le tout dans la même grande salle. C’est vraiment un espace aménagé pour les CP et les GS. C’est pareil pour les rythmes. La concertation avec la ville a duré un mois et certains messages des enseignants sont passés. Ainsi le périscolaire n’utilise pas les salles de classe mais d’autres locaux. Et les TAP ont lieu le vendredi à partir de 15h.
Les animateurs oubliés ?
Finalement ce ne sont pas les enseignants les moins convaincus de l’excellence de la réforme. Sur place, Misha Agard, secrétaire national du Sep-Unsa, traduit le trouble des animateurs. "Avec le décret Hamon, on revient à quelque chose de scolaro centré", nous confie-t-il. Fini le rêve d’une formation commune des animateurs et des enseignants. Le décret Hamon fait plus que rendre le mercredi matin aux communes, il "oublie" les animateurs. "Il n’y a plus d’ambition pour le périscolaire on revient au tout scolaire". Et les élus locaux ne sont pas en reste. Alors que le ministre explique que le nouveau décret " va offrir d’autres possibilités d’expérimentation mais ne se substitue pas au précédent décret", le maire de Lieusaint pense pouvoir changer les rythmes locaux. La commune, qui applique la réforme depuis la rentrée 2013, veut changer l’année prochaine les horaires du périscolaire. Quant au vice-président du conseil général, il rappelle qu’il n’est pas question de remettre en cause l’organisation des transports scolaires. Voilà le ministre pris dans la complexité des espoirs et des résistances soulevés par son projet de décret.
François Jarraud