Merci au CEDEC, à NSAE et à l’OCL, à leurs militants que j’ai croisés pour débattre autour de mon livre « Main basse sur l’Ecole publique » en 2008. Notre relation à la religion diffère, mais, j’ai pu constater, dans nos multiples contacts depuis 5 ans que nous partageons les mêmes principes républicains en tant que citoyens, et que nous partageons les mêmes valeurs en tant que femmes ou hommes.
C’est ainsi que je suis bien parmi vous comme le déclarait en fin de matinée le représentant du Comité Laïcité République ».
Je suis aussi bien parmi vous parce que vous n’oubliez pas, comme d’autres, dans votre défense de la laïcité la question scolaire.
Je suis bien parmi vous, parce que vous ne pratiquez pas la laïcité à géométrie variable.
Merci Monique pour avoir organisé ce débat.
Merci aussi à Henri PENA RUIZ et Jean RIEDINGER pour leur riche contribution de ce matin
Merci Didier, et merci à vous toutes et tous pour votre présence.
1- Propos liminaire
Lorsqu’il y a quelques mois, Monique Cabotte Carillon m’a sollicité sur cette thématique générale « liberté de conscience, socle de la laïcité » et sur le volet particulier « liberté de conscience et caractère propre », d’aucuns auraient pu considérer ce débat comme une « vieille lune pour esprits attardés »c’est ainsi qu’ils qualifiaient la laïcité en 1984.
Cette laïcité, fait, aujourd’hui, l’objet de réinterprétations. Elle balance entre renoncements institutionnels à la question scolaire et surenchères sur la visibilité de quelques religions.
Cette entreprise de récupération du mot laïcité participe d’une volonté de dénaturation du concept dans des traductions très diverses et parfois antinomiques.
- D’une part, l’extrême droite et une partie de la droite, dans une attitude de façade, se sont approprié et « ont volé la laïcité » pour concentrer leurs feux sur l’islam, en convoquant leur pseudo-laïcité avec toutes les arrière-pensées que l’on sait.
- D’autre part, la gauche est divisée sur le sens du combat laïque,. La laïcité c’est parfois n’importe quoi, sauf la question scolaire.
Certes, on ne saurait réduire la question de la laïcité à celle de l’école. Pour autant, l’en exclure, maintenant, est un piège.
Pire, un reniement au regard des principes républicains.
Cette loi Debré de 1959 en conférant à des établissements privés confessionnels à « caractère propre » le statut d’établissements publics a institué un double amalgame :
-
public et privé ;
-
laïque et confessionnel.
Loin de s’éteindre, la guerre scolaire s’aggrave encore.
De nouvelles dérives annoncent même, aujourd’hui la généralisation d’une logique libérale au moyen du chèque éducation par loi Carle interposée.
Le débat au fond, public/privé a longtemps été occulté par des diversions sur la liberté, la parité…
Ce double amalgame a été entretenu par tous les derniers ministres de l’éducation nationale : « … l’enseignement catholique a fait la preuve de sa capacité à accueillir des publics très divers, y compris des élèves en difficulté, et à leur proposer une pédagogie et un encadrement leur permettant de renouer avec la réussite scolaire, » …. « Depuis des années, vous vous êtes engagés dans ces deux voies de manière plus forte que l’enseignement public. »[1]
La discrimination sociale engendrée par un réseau privé concurrentiel financé par la puissance publique, au profit de quelques uns, n’est plus à démontrer. Cette discrimination sociale porte préjudice à l’école supportant seule les contraintes afférentes pour accueillir tous les élèves sans exclusive.
Ainsi, Claude Dagens, évêque et académicien, conscient de cette dérive reconnaît l’enseignement catholique comme cheval de Troie du libéralisme quand il écrit : « L’Église occupe ce terrain (…) au risque de se laisser instrumentaliser au service d’une logique de privatisation en mettant à la disposition des privilégiés des systèmes privés de soin, d’éducation, etc., dont l’inspiration catholique n’est plus qu’une source d’inspiration lointaine …».
Les conditions de fonctionnement ainsi les missions et objectifs du public et du privé différent. Mais ce débat est occulté par ceux qui décrètent que « 50 ans après la loi Debré, la guerre scolaire s’est apaisée »[2].
Et, ces derniers jours, fait nouveau, nous ré assistons dans les médias à la « bataille des valeurs »[3], enterrée depuis plus de 50 ans etsubitementréveillée par :
- d’un côté le primat de la liberté de conscience de citoyens en devenir et l’affirmation du caractère laïque de l’école publique au travers de la « morale laïque », et dela « chartre de la laïcité »,
- et d’un autre côté, on oppose au nom d’un « caractère propre » d’un établissement, les nouveaux statuts de l’enseignement catholique, qui renforcent le rôle des évêques. Enseignement catholique qui souhaite accoler « une parole de l’évangile » en vis-à-vis de la devise républicaine.
On oppose donc, la « liberté de conscience » d’élèves et de personnel au profit du « caractère propre » d’un établissement. N’est-ce pas là, la volonté de se livrer au prosélytisme religieux et refuser l’essence même de la laïcité ?
La question du mariage pour tous a aussi cristallisé ce nouveau débat sur les valeurs, avec en toile de fond le « caractère propre ».
Le colloque de ce jour se situe au cœur de cette actualité.
2- Du concept de « caractère propre »
Seuls quelques initiés connaissent ce concept nébuleux de « caractère propre ».
Ce « caractère propre » est leurre juridique opposable auprincipe constitutionnel fondamental de « liberté de conscience ».
Rappelons que ce « Caractère propre », en 1959, a provoqué la démission du ministre de l’Education Nationale.
Juristes, historiens, sociologues de l’éducation… n’ont jamais réussi depuis à s’entendre sur une définition de cette notion abstraite et redondante[4] de « caractère propre »
Ce « caractère propre » pléonasme introduit à la sauvette par le général De Gaulle est inscrit dans l’article 1er de la loi Debré du 31 décembre 1959.
Paramendement parlementaire on a assujetti la « liberté de conscience » à ce concept flou de « caractère propre ».
Cependant, cet artifice apparaît bel et bien dans l’article L442-1 du Code de l’éducation, reprise de l’article 1er de la loi dite Debré de 1959 : « Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus aux articles L. 442-5 et L. 442-12, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’Etat. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience.
Et, la loi poursuit : « Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances, y ont accès.»
Cette déclaration de principe de la loi Debré, n’est-ce pas « le triomphe de l’équivoque » évoqué par les défenseurs de la laïcité.
L’obligation légale pour les écoles privées d’être ouvertes à tous, n’exclut pas la sélection et permet au contraire de renforcer un caractère de classe par le choix même de ses implantations et de ses filières.
« L’accueil de tous » n’est qu’une déclaration d’intention d’ailleurs contredite par celle des « Assises nationales de l’Enseignement catholique » de mai 1993[5] : « l’Enseignement catholique se veut ouvert à tous ceux qui acceptent son projet éducatif…. ».
- Que fait-on des jeunes qui professent une autre religion, ou qui n’en n’ont aucune ?
-
Peut-on ignorer ceux qui sont là, très majoritairement, pour d’autres motivations que la foi catholique ?
-
Que reste-t-il aujourd’hui, de la raison d’être de cet enseignement confessionnel ?
L’ancien secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique Edmond Vandermersch en 1976 déplorait déjà : « un trop grand nombre d’écoles catholiques n’ont de catholiques que le nom. Les parents ne la choisissent pas pour des raisons religieuses ; les enseignants ne s’y sentent pas engagés en tant que chrétiens »[6]
La suite du discours de ces Assises confirme la levée de l’équivoque : « On respectera donc la liberté religieuse et la conscience des élèves et des familles ». Nous dit-on
Ainsi, la liberté religieuse prime sur la liberté de conscience.
C’est-là nous dit-on une « définition positive du caractère propre »[7] .
Cette conception est confirmée au congrès des directeurs diocésains, à La Rochelle le 18 mai 2009, par le secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique: « Pour ma part, je pense que Michel Debré, en acceptant ce compromis d’un enseignement ouvert à tous, donné dans le respect total de la liberté de conscience, mais qui n’interdit pas aux maîtres – je le cite – « d’exprimer librement ce qu’ils croient vrai », a ouvert la voie, sans le savoir peut-être, à une nouvelle conception de la laïcité, plus ouverte et respectueuse du fait religieux et à laquelle l’enseignement catholique, me semble-t-il, peut parfaitement adhérer. »
En 2007, Eric De Labarre n’avait-il pas adhéré à cette nouvelle conception en affirmant : « La laïcité positive n’est pas étrangère à l’enseignement catholique »
L’Etat, en inscrivant dans la loi le respect de ce « caractère propre », non seulement accède à cette revendication d’un établissement, mais en accepte aussi les implications.
C’est-à-dire, qu’il accepte les restrictions à la liberté de conscience individuelle des élèves et des personnels.
Les juristes affirment unanimement, je cite, « La loi ne définit pas le caractère propre, la jurisprudence non plus »[8]. Albert ROUET, archevêque de Poitiers dans « Enseignement catholique document » n° 1221 de 1985 s’interroge dans son édito : « Le caractère propre des écoles catholiques : illusion ou réalité ? »
Il dit : « le caractère propre, ne comprend pas de définition du contenu de ce caractère spécifique ; même si le législateur admet l’existence, au nom de la liberté d’enseignement, d’une spécificité, celle-ci n’est saisie qu’au plan des établissements contractuels pris un à un, sans que cela entrainât une quelconque reconnaissance de droit de l’Eglise, impossible d’après la loi de séparation de 1905 ».
Cette interprétation de la loi Debré c’est celle de la hiérarchie catholique de 1984.
Vingt sept ans plus tard aux « Journées nationales de la FNOGEC » en mars 2011 Philippe GRENIER, « doyen de la faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris » revendique explicitement de « catholiciser » la loi Debré et son « caractère propre ».
Il dit : « N’oublions pas, en effet, que cette notion de “caractère propre” nous vient de la loi Debré et, qu’il nous faut, d’un point de vue catholique, en quelque sorte, la recevoir et plus encore l’habiter ou l’habiller avec des références internes aux œuvres catholiques. Dans cette perspective, je considérerai que le patrimoine juridique canonique de l’Église a bien vocation à entrer pleinement dans la détermination de ce caractère propre des établissements catholiques. »
Volontairement flou, indéfini, cet artifice « caractère propre » tient lieu de cache-sexe[9] à l’enseignement catholique.
Ainsi dans « Enseignement Catholique Actualités » d’octobre 1978, Jean Honoré responsable de la sous commission de l’Enseignement catholique s’interrogeait lui aussi sur « Le caractère propre, un alibi ou une réalité »
Il dit, je cite : « Comme toutes les institutions qui ont pour elles la durée et le droit, l’école catholique n’évite pas la tentation d’échapper à son propre examen en se couvrant du masque des principes ou en se réfugiant dans le ciel des intentions ». « Le caractère propre risque alors de lui servir davantage d’alibi que de référence ».[10]
Tout cela relève du débat interne, où le « caractère propre » emprunte selon les circonstances politiques, des traductions très diverses et parfois antinomiques.
Dans « Enseignement catholique documents » de novembre 1979 sous : « Un projet éducatif spécifique à l’enseignement catholique », on peut lire : « Le caractère propre », il y a plusieurs manières de le définir, certains défenseurs de l’Enseignement catholique, même bien intentionnés, ont parfois voilé son identité en voulant s’en servir comme d’un cheval de bataille »[11]
3- « Caractère propre », cavalier législatif introduit à la sauvette
En avril 1959, Michel Debré, Premier ministre, élabore les grands principes de la future loi du 31 décembre 1959.
Le gouvernement consulte une commission de sages, présidée par Pierre-Olivier Lapie, socialiste, ancien ministre de l’Éducation nationale. La commission est mise en place en juin et rend son rapport fin octobre.
- Le 30 novembre André Boulloche remet son projet de loi. Aucune référence au « caractère propre » de l’établissement ne figure dans ce texte.
- Le 15 décembre, satisfaction est donc donnée aux évêques par le Général De Gaulle sur la spécificité de leur enseignement. Un amendement (n°66)est déposé par MM. Foyer, Paquet, Vannier et de Broglie, il mentionne : « Tout en conservant son caractère spécifique, cet enseignement doit être donné dans le respect de la liberté de conscience. »
Des voix de députés s’élèvent à l’Assemblée nationale pour dénoncer une institutionnalisation du cléricalisme scolaire :
L’un d’eux interroge : « Comment concilier les termes « caractère propre» de l’enseignement des écoles privées catholiques, qui enseignent un dogme, et le principe de la laïcité proclamée par l’article 2 de la Constitution ? »[12]
Sa demande de conformité à la Constitution fut rejetée par l’Assemblée nationale.
- Une autre question de fond est posée : « La majorité était concentrée sur les mots : « caractère propre». Le Gouvernement voulait que le caractère propre ne visât- que l’établissement, tandis que plusieurs groupes de la majorité voulaient qu’il visât l’enseignement. Que reste-t-il de cette querelle ?
Ce soir, M. le Premier ministre a déclaré que les mots « caractère propre » recouvraient le tout. …
Ainsi donc, le Gouvernement, cherchant à avoir une position de conciliateur, a perdu définitivement l’équilibre … Le droit à l’aide est garanti, mais la liberté de conscience n’est plus garantie. »[13]
Ainsi, avec ce passage en force du « caractère propre » qui vise aussi « l’enseignement », la liberté de conscience est encore moins garantie.
Debré confirme lui-même au Sénat en déclarant : « Par le caractère propre de l’établissements nous recouvrons tout, par la force des choses. »
Le 17 décembre André Boulloche refuse cette modification et obtient du président de la République que soit rétablie la distinction entre éducation et instruction suivant cette formulation : « Dans les établissements privés qui, tout en conservant leur caractère propre, passent un des contrats prévus ci-dessous, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. Cet enseignement doit être donné dans le respect total de la liberté de conscience. »
Michel Debré inverse l’ordre des alinéas et affirme désormais : « L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. »
C’est cette rédaction qui sera adoptée par le Parlement.
A l’Assemblée nationale le rapporteur de la loi confirme sans ambigüité : « L’amendement, reconnaît le caractère spécifique tant des établissements privés que de l’enseignement qui y est donné. » En effet, c’est désormais l’établissement qui donne l’enseignement. Le « caractère propre » de l’établissement rejaillit donc nécessairement sur l’enseignement.
André Boulloche considère cette interprétation dénature sa loi, il démissionne dans la nuit du 22 au 23 décembre, la veille de l’examen du texte au Parlement.
Dans sa lettre de démission au Premier Ministre il dit, je cite :
« …Ainsi une œuvre à l’élaboration de laquelle j’avais apporté les éléments de conciliation les plus généreux, compte tenu de mes responsabilités et de mes convictions, est transformée actuellement, contre le vœu sur lequel nous étions d’accord, en un acte de combat.
La nation va s’en trouver profondément divisée.
On nous demande aujourd’hui d’apaiser des craintes par des modifications au projet. Mais cela n’est qu’un prétexte : aucune modification n’apaisera des craintes qui ne veulent pas être apaisées. »
Michel Debré devient alors ministre de l’Éducation nationale par intérim.
Jusqu’au dernier jour de débat, le 23 décembre : de nombreuses réticences se font entendre à l’Assemblée sur le caractère « équivoque » de cette loi autour de son « caractère propre », citons le Député René Cance:
« Ce projet, au demeurant, contient, à notre avis, un grand nombre de formules qui sont volontairement équivoques. On parle de la personnalité des établissements confessionnels, de leur « caractère propre». Mais le propre des établissements confessionnels, c’est précisément de donner un enseignement religieux ! L’Eglise et l’école – sont, par vocation, militantes et missionnaires. Cette école, qu’elle signe un contrat d’association ou un contrat simple avec l’Etat, sera toujours au, service de l’Eglise. »
Le 31 décembre, la loi Debré était promulguée ; le même jour, Jean XXIII, précisa la permanence des positions vaticanes au congrès de l’Office international de l’enseignement, réuni à Utrecht : « Aujourd’hui, comme hier, l’Eglise affirme solennellement que ses droits et ceux de la famille dans le domaine de l’enseignement, sont antérieurs à ceux de l’Etat. L’Eglise affirme aujourd’hui, comme par le passé, son droit d’avoir des écoles où des enseignants animés de solides convictions, inculquent aux esprits une conception chrétienne de la vie, et où tout l’enseignement soit donné à la lumière de la foi. »
4- Le « caractère propre » un projet explicitement clérical, propriété d’Eglise
Aucun texte législatif n’évoque « les établissements catholiques », et encore moins « l’enseignement catholique » mais des établissements privés à « caractère propre ».
Ce fameux « caractère propre », est un concept destiné à ne pas contrevenir ouvertement à l’article 2 de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905[14].
Dans cet inventaire à la Prévert du « caractère propre » chacun fait son marché c’est selon : « la religion, la valeur différente de l’enseignement, le style de l’éducation, l’encadrement, les activités postscolaires, les formes de la vie pédagogique, les rapports avec les familles, avec les élèves, les locaux, les valeurs au nom desquelles cet établissement a été créé… »
Cette confusion savamment entretenue pour des raisons commerciales, politiques ou juridiques fait surtout le bonheur de ceux qui entretiennent une concurrence libérale. La liberté de conscience de citoyens en devenir, ne peut être garantie, au regard d’un « caractère propre» aussi suspect et ambiguë.
L’offre d’éducation de l’enseignement catholique investit désormais, avec les moyens de la puissance publique, de nouvelles cibles, des crèches aux facultés. Aujourd’hui, les tenants d’un enseignement privé veulent mettre en œuvredisent-ils « Un contrat global et unique entre le ministère et le Secrétariat général de l’enseignement catholique pour toutes les écoles » … avec un objectif libéral affiché : « Cela maintiendrait un fort clivage entre enseignement public et privé et les mettrait franchement en concurrence. ».Le secrétaire général de l’enseignement catholique, souhaite privatiser le service public et lui imposer son mode de gestion et de recrutement voire ses programmes et veut « Étendre la contractualisation avec l’État aux établissements publics … ». Il estime ainsi que la loi Carle instituant un chèque éducation n’est qu’ « un bon compromis à un instant T ».
Il faut donc s’attendre à de nouvelles pressions autour de ce « caractère propre »
En mai 1993, juste après les accords « Lang-Cloupet » à mesure que s’estompe la remise en question de la loi Debré les « Assises nationales de l’Enseignement catholique » clarifie le « caractère propre »
L’archevêque de Bordeaux, Pierre Eyt[15] chargé du thème central élabore un texte de référence, publié aujourd’hui encore sur les sites de l’enseignement catholique : « Le « caractère propre » de l’enseignement catholique dans la société civile et dans l’Eglise » à défier l’Etat.
Le « caractère propre » détourné est annexé par l’Eglise catholique à l’usage exclusif de ses établissements : « La loi française, ayant précisé le contour de la qualification, n’en établit pas le contenu. La loi, en effet, ne peut pas en disposer. Par contre, la Déclaration conciliaire tente de définir en quoi consiste cette « propriété ».
Tout est dit dans cette déclaration de mai 1993.
Le propos est de plus en plus explicite : « La loi française délimite les contours du « caractère propre » de l’Enseignement catholique. Il revient aux promoteurs de celui-ci d’en définir le contenu et le dynamisme. »
NON, c’est à la République qu’il convient de définir ce contenu inscrit dans la Loi.
C’est à la loi d’en disposer et non aux représentants de telle ou telle Eglise.
Selon l’Eglise catholique : « L’expression de « caractère propre » est évoquée dans l‘article 8 de la « Déclaration du Concile Vatican II » sur l’éducation chrétienne …. « Ce qui appartient en propre à l’école catholique » …» ces documents constituent l’acte de propriété du concept.
Ainsi, dans la langue vaticane, le principe de « caractère propre » se définit comme l’adhésion de l’homme croyant : « Par sa nature même, l’acte de foi a un caractère volontaire puisque l’homme, racheté par le Christ Sauveur et appelé Jésus-Christ à l’adoption finale, ne peut adhérer au Dieu révélé, que si, attiré par le Père, il met raisonnablement et librement sa foi en Dieu. Il est donc pleinement conforme au caractère propre de la foi qu’en matière religieuse soit exclue toute espèce de contrainte de la part des hommes. »
Quid de la liberté d’adhésion de l’élève, des droits de l’enfant au nom du libre choix de sa famille dans le cadre de l’enseignement ….obligatoire.
Les derniers statuts de l’enseignement catholique publiés en juin 2013 revendiquent un service public confessionnel au service de la Nation pour une prise en charge par l’Etat : « L’école catholique remplit au sein de la société un rôle public qui ne naît pas comme initiative privée, mais comme expression de la réalité ecclésiale, revêtue de par sa nature même d’un caractère public …. Elle contribue au service d’éducation rendu à la Nation » (art 12)[16] .
L’enseignement catholique suggère que la somme d’intérêts particuliers et spécifiques constitue l’intérêt général : « L’école catholique propose à tous son projet éducatif spécifique et, ce faisant, elle accomplit dans la société un service d’intérêt général (art. 13) ;
« Le caractère ecclésial de l’école est inscrit au cœur même de son identité d’institution scolaire » (art.17) ;
« La proposition éducative spécifique de l’école catholique s’exprime dans le projet éducatif de chaque école ; elle constitue ce que la loi désigne comme le caractère propre » (art 18)
La formation des enseignants contractuels de droit public est aussi impactée par le « caractère propre » : « Les enseignants qui souhaitent enseigner dans l’Enseignement catholique doivent être au préalable informés du projet de l’Enseignement catholique, de son caractère propre… » (art. 67) ;
« Le préaccord est donné au futur maître au moment où il entre ou envisage d’entrer pour la première fois dans l’Enseignement catholique. Il lui permet de bénéficier d’une formation spécifique en référence au caractère propre, de suivre des stages de formation et d’effectuer des suppléances dans les écoles catholiques. » (art.70)
Résumé du journal La Croix « L’enseignement catholique replacé au cœur du diocèse »
5- Le « caractère propre », la confusion établissement et enseignement
Le « caractère propre » est afférent à l’établissement et non à l’enseignement qui s’y donne.
Cet enseignement se devrait de respecter la neutralité. Ni la hiérarchie, ni certains parents d’élèves ont accepté cette partition pourtant conforme à la loi.
Selon l’Eglise, l’enseignement doit être orienté, imprégné de son « caractère propre » catholique autant par les méthodes que par le contenu Dès 1964, l’enseignement catholique mène une réflexion sur « l’enseignement chrétien des disciplines profanes ».
Peut-on mettre sur le même plan la liberté de conscience de l’enseigné et de l’enseignant avec le caractère propre d’un établissement ?
N’est-ce pas là établir une hiérarchie entre liberté de conscience et « caractère propre » ?
Pour Max Cloupet, dans le Monde du 25 décembre 1993, l’école catholique doit s’efforcer de : « s’implanter dans les zones difficiles », tout en conservant son « caractère propre », pour proposer : « un regard chrétien sur le monde, y compris en mathématiques ou en physique ». Il ajoute : « Nous n’existons pas pour compenser les problèmes de l’école publique, a t-il expliqué. Nous souhaitons que l’école publique aille bien, mais nous avons autre chose à dire (…). Notre exigence est d’accueillir tout le monde, y compris dans leur diversité, et je ne crois pas d’ailleurs que la neutralité soit le plus à même de le faire. Il est même plus facile pour nous d’accueillir les petites musulmanes voilées, car les choses sont claires pour nous et pour elles. »[17]
Il ajoute quelques gouttes d’eau dans son vin dans « Libération » du 13 janvier 1994 : « Nous permettons à des jeunes de découvrir dans leurs études le sens donné au monde par les chrétiens […]. Il n’y a pas de mathématiques chrétienne, mais une manière différente de réfléchir sur les sciences à la Lumière de l’Evangile ».
C’est alors que plusieurs scientifiques dont des prix Nobels expriment leur : « défiance envers tout enseignement qui ne serait pas laïque ».
Pour eux, l’idée même de proposer : « un regard chrétien sur le monde, y compris en mathématiques ou en physique », suppose de fournir un système d’interprétation des phénomènes scientifiques reposant sur des axiomes liés aux textes sacrés, et par là même exempts de tout caractère scientifique.[18]
Que cesse donc la fiction d’un caractère propre cantonné au seul établissement, alors que de multiples déclarations des autorités religieuses refusent, et on les comprend de distinguer ce qui serait enseignement de ce qui serait éducation. Le tout, persiste à proclamer l’Eglise, enseignement plus éducation doit s’éclairer à la lumière de la Foi.
Ainsi le 16 avril 2010, l’enseignement catholique, à la surprise du monde éducatif, a pris l’initiative inédite de publier un « Guide », catéchèse de la bonne « éducation affective, relationnelle et sexuelle dans les établissements catholiques d’enseignement ». Claude Lelièvre nous précise : « Les établissements catholiques sous contrats (c’est à dire presque tous) se retrouvent donc désormais confrontés à deux textes de références en matière d’éducation sexuelle. On le sait, le principe de base de la loi Debré régissant les établissements privés sous contrat est que l’établissement a un caractère « propre », mais que l’enseignement (donné dans les classes) doit être le même que dans les établissements publics. En principe donc, le texte d’orientation du 17 avril 2010 de l’enseignement catholique devrait être la référence pour le caractère « propre » de l’établissement. Et la circulaire ministérielle du 17 février 2003, le texte de référence pour l’enseignement donné dans les classes des établissements catholiques sous contrats. »
Or, « il est dûment énoncé dans le ‘’Guide’’ que « Le projet spécifique de l’enseignement catholique attaché à la formation intégrale de la personne humaine, réfère l’éducation affective, relationnelle et sexuelle à une vision chrétienne de l’anthropologie et l’inscrit dans une éducation plus large à la relation qui concerne tout le parcours scolaire.» Hors les classes, et dans les classes. « Quid alors du respect du cadre de la loi Debré pour les établissements sous contrats ? », interroge-t-il, à raison.
Cette loi Debré si « facile à contourner », si peu républicaine, figure encore et toujours cet outil de choix aux mains d’un enseignement catholique désireux d’afficher ses intentions cléricales et d’étendre ses parts de marché libéral sur « tout le parcours scolaire », sur tous les territoires de la République. De la maternelle et en deçà, à l’enseignement.
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Janvier 2013, dans un communiqué adressé par le secrétaire général de l’enseignement catholique à 8500 chefs d’établissement privés, il invite les établissements à organiser des débats : « L’enseignement catholique est en désaccord avec une évolution législative ouvrant le mariage et la parentalité aux couples homosexuels ».Ces établissements à « caractère propre » sous contrat avec l’Etat, doivent-ils se soumettre à l’Eglise ? Quid des personnels contractuels de droit public pour la plupart ?
Le Ministre réagit : « Je suis très respectueux du caractère propre de l’enseignement catholique, défend Vincent Peillon. Mais, en retour, cet enseignement, qui est sous contrat avec l’État, doit respecter le principe de neutralité et la liberté de conscience de chacun. Il est du devoir de l’État d’être garant du respect de ces principes. »
Plusieurs confusions dans son propos :
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la loi ne connaît et ne doit reconnaître que le « caractère propre » de l’établissement et non celui de l’enseignement catholique. la loi Debré ne connaît que des établissements isolés, chacun tributaire de son « caractère propre ». On ne peut considérer un « caractère propre global de l’enseignement catholique ». Cette dérive est aussi contraire au principe juridique de liberté d’enseignement, le « caractère propre » est spécifique à chaque établissement et non pas à l’ensemble des établissements catholiques ou autres.
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Le « caractère propre », ce n’est pas la neutralité
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Le « caractère propre », contraint la liberté de conscience
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La loi Debré distinguait « éducation » et « enseignement »
Dernière péripétie de ce dualisme, la question des rythmes scolaires. Les écoles privées sous contrat organisent librement la semaine scolaire au nom de l’autonomie de leur « caractère propre » lié à l’établissement et non à l’enseignement.
Certains médias l’ont rappelé : « Juridiquement parlant, elles n’y sont pas tenues, puisque le décret du 24 janvier sur l’organisation du temps scolaire ne mentionne que les écoles primaires publiques. Un statut à part lié à la loi de 1959, définit leur « caractère propre » en rendant les directeurs des écoles privées libres de l’organisation du temps scolaire dans leurs établissements. » [19] Toute obligation estproscrite.
6- Le « caractère propre », et la jurisprudence
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En 1975, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a déclaré légitime le licenciement de Mme Roy, institutrice d’un établissement sous contrat simple, pour la raison qu’elle s’était remariée après avoir divorcé.
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En 1977, le conseil constitutionnel en validant la Loi Guermeur conclut dans son article 11: « …la loi du 25 novembre 1977 imposant aux maîtres enseignant dans les classes sous contrat d’association l’obligation de respecter le caractère propre de l’établissement n’a pas pour effet de soustraire les maîtres à cette obligation qui découle du dernier alinéa de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1959 ; qu’une telle obligation, si elle ne peut être interprétée comme permettant qu’il soit porté atteinte à la liberté de conscience des maîtres, qui a valeur constitutionnelle, impose à ces derniers d’observer dans leur enseignement un devoir de réserve ; Une délimitation négative du caractère propre par le conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel, refuse d’admettre que l’obligation de réserve imposée aux enseignants porte atteinte à leur liberté de conscience.
Celle-ci serait exclusivement une liberté du for intérieur qui, cependant, les oblige dans leurs actes et leurs comportements à respecter le « caractère propre » dont l’établissement se réclame.
« Caractère propre » qui n’est pas synonyme de neutralité.
La décision du Conseil constitutionnel contrevient à la liberté d’expression reconnue par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
7- « Caractère propre », les évolutions récentes
- En 1981, le caractère propre des établissements sous contrat d’association soumet les enseignants contractuels de droit public au droit privé
- En 1993, L’Etat attribue des crédits de formation et signe des conventions avec des organismes dans le respect de leur « caractère propre »
- En 2004, la Loi sur le port des signes d’appartenance religieuse n’a pas concerné les établissements privés au nom du « caractère propre ».
- En juin 2013, un amendement à la loi de Refondation voté au Senat – La devise de la République et le drapeau tricolore sont apposés sur la façade des écoles et des établissements d’enseignement du second degré publics et privés sous contrat. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 est affichée de manière visible dans les locaux des mêmes écoles et établissements. »), pour la respectabilité et la légitimité
Côté rue « un drapeau tricolore » côté cour, le « caractère propre » affiche son prosélytisme.
Les photos jointes illustrent cette situation. (Photos prises dans le lycée catholique (sous contrat) de Pontlevoy dans le Loir et Cher, annexe de Sainte Marie de Blois.(http://www.lplcp.fr/))
- En septembre 2013, la Charte de la laïcité ne s’applique pas aux établissements privés. « il y a plusieurs école dans la République, mais il n’y a qu’une école de la République ».
La question du dualisme scolaire est sortie des écrans radars de la laïcité.
Pour autant, le problème demeure, même si l’enseignement privé, monopolisé par le réseau catholique se montre, aujourd’hui, particulièrement discret.
Est-ce pour faire oublier les multiples concessions, dont la loi Carle, décernées au titre d’un ralliement inconditionnel à la politique scolaire du précédent quinquennat ?
Ce silence actuel masque aussi les réformes structurelles de cet enseignement catholique :
- Convention de juin 2013pour faire admettre le réseau « enseignement catholique »qui procède delogiques communautaires et marchandes. L’enseignement privé sous contrat, par son mode de gestion entrepreneurial participe à une concurrence subventionnée pour une privatisation de l’éducation. L’omerta entretenue autour de la ségrégation scolaire ne permet plus, aujourd’hui, d’appréhender ses évolutions institutionnelles.
- Par de nouveaux statuts, diffusés en juin 2013 à Vincennes, l’assemblée des évêques d’avril 2013 vient de créer un « conseil épiscopal de l’enseignement catholique ». C’est un retour explicite à la logique cléricale : « L’enseignement catholique est en effet un des vecteurs de la nouvelle évangélisation ».
Le fameux « caractère propre », est un concept inventé pour ne pas contrevenir ouvertement à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. La loi Debré de 1959 régit en effet, « les relations entre l’État et les établissements d’enseignement privés ». Le terme « enseignement » est donc au singulier, mais « privés » en revanche est conjugué au pluriel. A vouloir recruter ainsi massivement et bien au-delà d’une demande « naturelle » liée à la foi, Il y a là, pour l’enseignement catholique comme une forme de péché « lucratif », en forme de publicité mensongère peu compatible avec une mission éducatrice qui prétend s’inspirer des Evangiles.
- Par ailleurs, la gestion administrative et financière de ce système est désormais explicitement confiée à la Fédération des organismes de gestion de l’enseignement catholique (FNOGEC).La FNOGEC cherche à passer « d’un réseau d’appartenance à un réseau collaboratif» pour fédérer les moyens. Tout le contraire de la loi qui ne reconnaît d’entité juridique, que l’établissement. En valorisant « l’image de marque de l’enseignement catholique » on transfert le contrat de l’établissement à l’entité « enseignement catholique » pour négocier avec les collectivités publiques[20][2]. Cette démarche s’inscrit dans une logique libérale « d’offre et non plus de demande ». Il faut, nous explique la FNOGEC mettre en concordance les territoires « religio-administratifs », politiques et économiques pour se « redéployer à l’échelon régional » et « exploiter les espaces crées par les réformes de l’enseignement public » et ainsi profiter de ses difficultés voire de les aggraver. Cette stratégie de la FNOGEC s’est mise en place dans ses « journées nationales » d’avril 2013[21][3] : « …il est fondamental que nous réfléchissions sur la façon dont nous devons faire évoluer notre modèle économique à court, moyen et long terme ».
- Le Comité national de l’enseignement catholique (CNEC) a, de son côté, promulgué en septembre 2012 un texte important intitulé : « Préconisations pour une politique immobilière de l’Enseignement Catholique ». Ce texte vise à centraliser et fédérer les activités immobilières de l’enseignement catholique et porte une nouvelle atteinte à la laïcité des lois de la République : « Le droit de propriété sur les biens … est soumis à deux ordres juridiques, le droit canonique et le droit français, qu’il s’agit d’appliquer conjointement. »
Ce document, révélateur de l’évolution d’une nouvelle problématique, renforce la collusion entre l’Eglise et l’ultralibéralisme. Collusion incarnée par la FNOGEC dont les responsables appartiennent, le plus souvent, à l’IFRAP, Famille de France, Mouvement pour la France, Pro vie … et publient dans « L’Homme nouveau », « Liberté chérie »….
- Ce développement économique financé par défiscalisation, enfreint la législation scolaire en s’appuyant sur le développement très récent de la « Fondation Saint Matthieu » créée en 2010. « Fondation sous égide » elle vient de mettre en place plusieurs antennes régionales et locales en 2012 pour développer le financement public indirect.[22][4]
Le dualisme scolaire est d’autant plus redoutable, pour le vivre ensemble qu’aux clivages religieux et sociétaux, rappelons le « mariage pour tous », se surajoute une volonté de privatiser insidieusement l’Ecole de tous par une concurrence que finance la puissance publique.
8- Le « caractère propre », une brèche dans la loi de séparation
Le paradoxe de la situation actuelle est celui d’une France largement sécularisée, et dans le même temps, une vie politique et sociale où les religions participent à la marchandisation de l’éducation. Mais, cette instrumentalisation est revendiquée depuis le Vatican par le même cardinal Bruguès pour qui l’école doit rester le support d’une reconquête cléricale. Il indique que cette école est « le seul lieu de contact avec le christianisme ». Conclusion, « elle est un point crucial pour notre mission[i] ».
Ce « caractère propre » protéiforme est volontairement non identifié et non explicité.
Cette loi Debré et ses promoteurs ne cessent d’introduire la confusion institutionnelle au travers d’autres concepts flous, ambigus « besoin scolaire reconnu » et aujourd’hui « parité ». Concepts taillés sur mesure pour les tenants d’une logique séparatiste.
La loi Debré se révèle moins comme une solution de compromis et de paix, que comme une étape nouvelle du conflit scolaire. Elle est la porte grand ’ouverte à une remise en cause de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, au bénéfice presque exclusif de la religion catholique. Éric Mirieu de Labarre, secrétaire général de l’enseignement catholique, dans un éditorial d’Enseignement catholique actualités en décembre 2009, confirmait pour sa part le fait que, cinquante ans après, l’ « équivoque » est bel et bien levée. Il dévoilait cette volonté politique sous-jacente, originairement présente, de remettre en question la séparation de l’Église catholique et de l’État : « La loi Debré n’est pas une loi parmi d’autres. Elle est bien un de ces nœuds de l’histoire dont, cinquante ans après son vote, nous n’avons pas encore mesuré toute la portée. En permettant, selon René Rémond, de « réunir ce que la loi de 1905 a séparé », elle est sans doute l’ultime étape du “ralliement” des catholiques et de l’Église à la République. »
Éric Mirieu de Labarre n’ose ajouter : « et réciproquement… »
Pourtant, certains, y compris à gauche, prétendent qu’elle est loi de compromis, « loi porteuse d’avenir », « en avance sur son temps » et « une nouvelle façon de penser la laïcité ». Elle serait une « loi de rapprochement », « une loi originale ».
La loi Debré possède en effet une originalité, et non des moindres, celle d’offrir l’opportunité de « s’arroger sans problème la possibilité de la contourner »[23] nous dit le secrétaire général de l’enseignement catholique. Celui-ci, bénéficiaire de cette aporie juridique, atteste cyniquement en petit comité : « La loi Debré est un texte qui a vécu. Il a été, en quelque sorte, réinterprété par la pratique sans qu’on en change pour autant la moindre virgule. »[24] Cette loi Debré n’est plus qu’un cadre vide donnant essentiellement accès à des fonds publics.
Cette question scolaire préfigure une politique construite autour de la reconnaissance institutionnelle des religions.
9- De la morale laïque
La morale laïque, c’est croire qu’en formant l’Homme on peut agir sur la société.
La morale laïque doit être une nouvelle construction qui respecte la diversité des opinions et des convictions religieuses, philosophiques, politiques…..
Tout le contraire d’un dogme.
« La laïcité est le véritable œcuménisme » répétait Jean Cornec.
La morale laïque « n’est pas adossée à une espérance » [1] .
Impérativement, elle doit s’affranchir des options religieuses ou métaphysiques, qui peuvent diviser les Hommes. La morale de l’Ecole de la République ne peut donc porter la marque d’aucune religion. Elle se doit d’être universelle. De fait, elle ne peut être que laïque pour respecter la liberté de conscience de chacune et chacun[1].
Former le citoyen est constitutif de l’idée même de République.
« L’État a le devoir de former des citoyens » énonçait Condorcet, au nom de l’intérêt général et des valeurs communes, sans pour autant « créer une sorte de religion politique et violer la liberté », ce afin de préserver la liberté de conscience de chacune et chacun.
La morale laïque n’est pas une sorte de croyance à l’envers.
Ferdinand Buisson en 1900 à l’ « Exposition universelle » lors d’un « congrès de philosophie » récusait déjà le dogme d’une morale laïque figée : « De même que les rapports des hommes entre eux diffèrent, évoluent et se modifient dans le temps et dans l’espace dont ils subissent la condition, la morale elle-même est obligée de différer, d’évoluer, de se modifier.
« Bannissons donc de notre esprit cette superstition d’un catéchisme moral arrêté une fois pour toutes, pour les hommes de tous les temps et de tous les pays. L’homme est un devenir, la laïcité est un devenir, la morale aussi. Elle n’est pas faite, elle se fait. Si elle n’évoluait pas d’aujourd’hui à demain, elle ne répondait pas demain à des besoins qui dépassent ceux d’aujourd’hui au moins autant que ceux-ci ont dépassé ceux d’hier ».
Pour la morale laïque, il ne s’agit en aucun cas de dissoudre ni les identités ni les libertés fondamentales, mais de revendiquer d’abord la liberté de conscience.
On ne peut abandonner cette mission fondamentale d’une école publique laïque qui prépare et institue la citoyenneté où les élèves rassemblés apprennent à vivre ensemble par delà leurs appartenances politiques, religieuses ou philosophiques, ou celles de leurs parents. Ainsi, et seulement ainsi, on préserve la liberté de conscience des citoyennes et citoyens en devenir.
10- En guise de conclusion
L’émergence de la question de l’Islam conduit à la tentation de consentir des assouplissements sous formes « d’accommodements déraisonnables » aux principes républicains.
Dans cette laïcité disjonctive, l’émergence de questions pratiques posées par l’islam, sert d’écran de fumée à la puissance publique oublieuse du communautarisme institutionnel de l’école catholique. En réintégrant la question scolaire, la laïcité perdrait là des soutiens conjoncturels et éphémères qui l’assimilent, souvent, à l’exclusion voire au racisme. Semblable laïcité d’accommodement crée des confusions, des équivoques qui désagrègent l’égalité constitutionnelle entre citoyens et développent un « entre soi » qui compromet le vivre ensemble et altère cette valeur fondatrice de la République.
La laïcité peut, seule, rassembler pour réaffirmer la République autour de ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité.
Il est temps, aujourd’hui, de sortir de l’équivoque pour rappeler que la laïcité est d’abord un principe constitutionnel.
- « On ne peut prétendre que le curé ou le pasteur sont supérieurs à l’instituteur et l’institutrice», non pas en tant que femme ou en tant qu’homme.
« L’institutrice et l’instituteur », par leur mission accueillent dans la même communion civile tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, quelle que soit la religion ou non de leurs parents.
- « L’institutrice et l’instituteur », assurent et garantissent la liberté de conscience des futurs citoyens et ne se servent pas du label de « caractère propre » d’un établissement pour inculquer dans l’éducation la religion ou l’idéologie d’un groupe particulier et ainsi créer une fracture dans l’unité nationale.
- « L’institutrice et l’instituteur » revendiquent l’égalité de toutes et de tous au nom de la laïcité.
- « L’institutrice et l’instituteur » pratiquent le vivre ensemble qui incarne la fraternité dans l’Ecole de toutes et tous.
C’est la mission et la fierté de l’école de toutes et tous
Merci
Eddy KHALDI
5 octobre 2013
Colloque du CEDEC
http://www.la-republique-contre-son-ecole.fr/
http://www.main-basse-sur-ecole-publique.com/
http://www.eglise-et-ecole.com/
[1] Luc Châtel : Réforme du lycée 1ère visite du nouveau ministre « très intéressé » par les « spécificités » de l’enseignement privé (Dépêche de presse AEF du 18 novembre 2010).
[2] La Croix dans son édition du 16 décembre 2009
[3] Emmanuel Davidenkoff : « Public / Privé, la bataille des valeurs », http://www.franceinfo.fr/education-jeunesse/question-d-education/public-prive-la-bataille-des-valeurs-1161055-2013-10-01#comment-335973
[4] « Caractère » qui caractérise ce qui est propre, signe distinctif.
[5] « L’Enseignement catholique se veut ouvert à tous ceux qui acceptent son projet éducatif. On respectera donc la liberté religieuse et la conscience des élèves et des familles.La liberté est fermement défendue par l’Eglise.’’ (…) Proposant aux jeunes Chrétiens qu’il accueille les moyens de grandir dans la foi, l’Enseignement catholique veut proposer à tous lesélèves un chemin de croissance en humanité, dans une inlassable recherche de vérité et d’amour. »
[6]Edmond Vandermersch, ancien secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique dans la revue « Etudes » mai 1976
[7] La définition positive du « caractère propre » tient compte de la liberté des enfants, des parents, des enseignants, mais elle tient compte aussi de la liberté des Chrétiens et de l’Eglise de proposer le message de l’Evangile dans le respect des convictions de chacun.
Un Enseignement catholique qui ne respecterait pas la liberté de conscience ou qui refuserait d’accueillir des élèves pour motif d’opinions philosophiques ou religieuses perdrait son « caractère propre » au regard même des exigences les plus solennelles de l’Eglise. Un Enseignement catholique qui, en sens inverse, renoncerait, sous quelque prétexte que ce soit, à la proposition de la Foi perdrait aussi son « caractère propre ». Car, « exposer et proposer n’équivaut pas à imposer ».
[8] M. Roger Errera, conseiller d’État, a défini ainsi le caractère propre des établissements privés : « La loi ne définit pas le caractère propre, la jurisprudence non plus. On le discerne bien en distinguant ce qui est de l’éducation et ce qui relève de l’enseignement. Le caractère propre, c’est la « valeur différente » de l’enseignement privé, le style de l’éducation, l’encadrement, les activités postscolaires, les formes de la vie pédagogique, les rapports avec les familles, avec les élèves, la disposition même des locaux, les valeurs au nom desquelles cet établissement a été créé… » .
[9]Journées nationales de la FNOGEC de mars 2011 exposé de Philippe GRENIER, « doyen de la faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris » : Il faut ainsi, « catholiciser » la loi Debré et son « caractère propre » : « N’oublions pas, en effet, que cette notion de “caractère propre” nous vient de la loi Debré et, qu’il nous faut, d’un point de vue catholique, en quelque sorte, la recevoir et plus encore l’habiter ou l’habiller avec des références internes aux œuvres catholiques. Dans cette perspective, je considérerai que le patrimoine juridique canonique de l’Église a bien vocation à entrer pleinement dans la détermination de ce caractère propre des établissements catholiques. »
[10] Enseignement Catholique Actualités octobre 1978, Jean Honoré responsable de la sous commission de l’Enseignement catholique s’interrogeait lui aussi sur « Le caractère propre, un alibi ou une réalité »
[11] « Un projet éducatif spécifique à l’enseignement catholique ». Enseignement catholique documents novembre 1979
[12] Assemblée nationale, 23 décembre 1959, Duchâteau
[13] Assemblée nationale, 23 décembre 1959, Francis Leonhardt
[14] Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte […] »
[15] Ce document est aussi publié par « Formiris ». La fédération Formiris a été créée le 9 novembre 2005, en application de la Charte de la formation. Organisme national de l’Enseignement catholique, Formiris est responsable de la politique de formation initiale et de formation continue des enseignants du premier et du second degré, ainsi que des propositions d’orientations de formation pour les personnels de droit privé.
[16] « Statut de l’enseignement catholique en France » adopté par la Conférence des Evêques Juin 2013
[17] Max Cloupet a déclaré, jeudi 23 décembre, à l’AFP
[18] Le Monde 14 janvier 1994
[19] Journal Le Monde du 26 février 2013 article de Maon Rescan : « L’enseignement catholique négocie son soutien à la réforme des rythmes scolaires ».
[23] Sur le blog de Claude Lelièvre : http://blogs.mediapart.fr/edition/laicite/article/200110/un-colloque-sur-la-loi-debre
[24]Colloque de l’enseignement catholique le 5 mai 2010 au lycée La Mennais à Ploërmel
Lire la suite : blogs.mediapart.fr/blog/eddy/171014/liberte-de-conscience-et-caractere-propre