Le débat actuel sur le maintien ou la suppression de la notation chiffrée me semble bien hypocrite. Le jury de la Conférence nationale sur l’évaluation des élèves n’a pas tranché sur le sujet et a renvoyé la patate chaude au Conseil supérieur des programmes (CSP). Michel Lussault l’a donc passée de sa main droite à sa main gauche à moins que ce ne soit l’inverse.
Les recommandations du Jury
On pourra lire directement le rapport du Jury à l’adresse suivante et en particulier les recommandations n° 5, À propos de la politique d’évaluation dans les écoles et les établissements scolaires, et la recommandation n° 6, À propos de l’orientation des élèves.
Dans la 5, il est déclaré : « Le jury recommande donc d’impliquer en amont les représentants de la communauté éducative dans une définition commune, explicite et cohérente des modalités d’évaluations proposées. » Et plus loin, « Discutée et décidée dans les instances pédagogiques, elle aboutirait à une politique d’évaluation lisible par tous et qui indiquerait les procédures en jeu dans l’orientation d’élèves vers des parcours adaptés. » (p. 14). Il semble qu’ici on est dans la gestion de la circulation des élèves au sein du collège.
Dans la recommandation n° 6 : « Toute modification dans le domaine de l’évaluation doit être pensée en tenant compte des effets qu’elle aura sur l’orientation des élèves en fin de scolarité.
La fin du collège ne constitue qu’une étape d’un parcours permettant de conduire tous les élèves jusqu’à l’obtention d’un diplôme ouvrant l’accès à la poursuite d’études ou à l’insertion professionnelle. C’est dans cet esprit que doit être pensé le travail autour de l’orientation, en faisant en sorte que l’affectation prenne mieux en compte les compétences, les talents et les projets des élèves que l’évaluation permettra de révéler et de reconnaître, venant ainsi encourager et soutenir les élèves qui ont quelquefois tendance à s’autolimiter. » (p. 15) Exit l’objectif du collège de l’acquisition par tous du socle commun… ? Remarquons également que l’orientation est vue du côté de l’élève, c’est lui-même qui « s’autolimite ». Petite anecdote, j’entendais souvent dans les conseils de classe : « cet élève est limité », et je posais la question : « par qui ? ». Mais est-ce vraiment une simple anecdote ?
Et toujours dans cette 6ème recommandation : « Cela amène à considérer que les compétences du socle commun et le portfolio constitué par l’élève depuis la classe de cinquième deviendront des éléments essentiels à prendre en compte par le conseil de classe de troisième et le chef d’établissement dans la formulation de leur avis et dans leur prise de décision. » (p. 16). On voit ici, l’opération typique de transformation d’une évaluation en tant qu’acte d’un évaluateur, en propriété de l’évalué.
Et pour couronner le tout, « Le jury recommande que le contenu du livret de suivi de cycle puisse être basculé (comme pour les notes actuellement) dans l’application informatique qui gère l’affectation. Il conviendra d’intégrer également dans ce processus une synthèse, réalisée par l’élève, de son portfolio personnel. » p. 16
Donc, si les décisions d’orientation sont maintenues, et toujours de la responsabilité des conseils de classe de fin de troisième et du chef d’établissement, et si l’affectation reste toujours confiée à un logiciel dans lequel on « bascule » le contenu du livret, alors les évaluations qui étaient formatives tout au long du collège, se transforment subitement en évaluation sommative. Mais comment ce miracle peut-il se faire ?
Le Projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture
Voté le 12 février 2015 et présenté par Michel Lussault, le projet de socle est constitué de 5 compétences :
1- Les langages pour penser et communiquer
2- Les méthodes et outils pour apprendre
3- La formation de la personne et du citoyen
4- Les systèmes naturels et les systèmes techniques
5- Les représentations du monde et l’activité humaine
Bien sûr celle qui va m’intéresser, c’est la 3ème, la formation de la personne et du citoyen.
« L’Ecole a une responsabilité particulière dans la formation de l’élève en tant que personne et futur citoyen. Elle ne substitue pas aux familles, mais elle a pour tâche de transmettre aux jeunes les valeurs fondamentales et les principes inscrits dans la constitution de notre pays. Elle permet à l’élève d’acquérir la capacité de juger par lui-même, en même temps que le sentiment d’appartenance à la collectivité. Ce faisant, elle développe l’aptitude de chacun à vivre de manière autonome, à participer activement à l’amélioration de la vie commune et à s’engager en tant que citoyen. » (Avec une petite coquille « Elle ne substitue pas aux familles » …)
Et quand on prend le déroulé de la compétence, on fait le lien avec l’effet Charlie qui beaucoup point aujourd’hui ! Liberté, droit, laïcité et vérité sont les quatre mots clés de ce domaine.
Exit la compétence 7 de l’ancien socle : L’autonomie et l’initiative.
« L’autonomie et l’initiative s’acquièrent tout au long de la scolarité, dans chaque matière et chaque activité scolaire. On apprend ainsi à :
- être autonome dans son travail
- s’engager dans un projet et le mener à terme (construire un exposé, rechercher un stage, adhérer à un club ou une association, travailler en équipe)
- construire son projet d’orientation
En développant cette compétence, l’élève se donne les moyens de réussir sa scolarité et son orientation, de s’adapter aux évolutions de sa vie personnelle, sociale et professionnelle. » Comme il était indiqué sur le site du ministère dans la présentation du socle commun de connaissances et de compétences.
La conférence sur le redoublement
Cette conférence, tenue les 27 et 28 janvier, avait également abordé l’orientation, mais d’une curieuse manière. Pour l’essentiel elle est présentée comme une pratique « pédagogique » et non pas comme une procédure institutionnelle.
A un détour de diapositive de l’intervention d’Elizaveta Bydanova, Centre international d’études pédagogiques – CIEP, Quelles sont les politiques d’orientation dans les pays de l’OCDE ?, on découvre un « Constat général : l’éducation à l’orientation professionnelle occupe une place croissante dans les systèmes éducatifs de tous les pays de l’OCDE » !
Et l’auteure semble suggérer qu’il ait un lien entre importance accordée à cette éducation et le taux faible de redoublement constaté dans ces systèmes scolaires qui la pratique. D’une part, la remédiation à la difficulté scolaire ne repose pas uniquement sur le redoublement, et d’autre part l’orientation en fin secondaire inférieur (soit le collège) relève moins de la responsabilité des enseignants de fin de cycle.
Outil, fonction ?
L’évaluation est-elle un outil ? Sûrement, et un outil très personnel, bricolé. Je me rappelle un stage dans un collège justement sur le thème de l’évaluation. Les enseignants des diverses matières qui constituaient le groupe s’apercevaient qu’ils acceptaient le jugement et l’évaluation portés sur un élève par les autres enseignants des autres matières, sans connaître les critères des évaluateurs et les dispositifs d’évaluation mis en œuvre. On est dans la confiance réciproque qui permet la protection de chacun des enseignants. Si les techniques d’évaluation étaient connues alors elles pourraient être sujettes à critiques. Donc …
Mais quelle est la fonction de l’évaluation au sein du système scolaire français ? Est-ce qu’il s’agit de faire réussir tous les élèves, ou s’agit-il de les classer pour les distinguer et les « orienter » ?
Au fond notre organisation scolaire suppose toujours un petit lycée trieur qui participe gentiment à la fabrique de l’élitisme républicain parait-il, mais qui surtout maintien la répartition sociale actuelle.
Bernard Desclaux
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