In Localtis info – le 29 août 2014 :
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En pleines négociations avec les collectivités locales pour tracer les contours définitifs des quartiers prioritaires, l’Etat donne aux préfets les arguments pour essayer de contenir les collectivités locales trop gourmandes, via une circulaire du CGET. Le texte fournit également une précision sur la logique de quartier « vécu », au risque de conduire à un nouveau zonage.
Les négociations locales pour tracer les contours définitifs des 1.300 quartiers prioritaires de la politique de la ville se poursuivent (jusqu’au 30 septembre), avec une tendance (naturelle ?) de la part des collectivités à essayer de grossir le périmètre « brut » fourni par l’Etat et calculé à partir d’un indicateur statistique de pauvreté. Comme il est délicat d’essayer de s’étendre sur des zones d’habitat (l’augmentation de population ne doit pas dépasser les 10% et ne doit pas faire trop modifier le revenu médian du quartier), les collectivités convoitent les friches et les équipements collectifs alentours. Ce qui n’est pas du goût de l’Etat qui y voit un risque de dérapage vers des extensions de périmètres non justifiées.
Voilà pourquoi Marie-Caroline Bonnet-Galzy, commissaire générale à l’égalité des territoires, a adressé aux préfets, le 31 juillet, une circulaire complétant celle envoyée le 13 juin dernier leur demandant d’engager la consultation (voir notre article ci-contre du 17 juin). Le texte donne aux représentant de l’Etat des arguments visant à convaincre les collectivités qu’elles n’ont pas d’intérêt à la manœuvre.
Le quartier « vécu », un nouveau zonage ?
Et d’abord, pour ceux qui avaient pu penser que les contours des quartiers prioritaires devaient correspondre au quartier « vécu » par ses habitants (la circulaire du 13 juin ne disait-elle pas que « les périmètres proposés par le CGET à partir de la méthodologie nationale seront mis en consultation auprès des maires et présidents d’EPCI concernés et pourront être modifiés pour tenir compte de la réalité locale » ?), le commissariat remet les choses en place : ce n’est pas du tout cela ! Il faut distinguer le quartier « réglementaire » du quartier « vécu ».
Le périmètre du quartier réglementaire est « défini à partir de données statistiques » ; il est susceptible de bouger à l’issue de la concertation mais uniquement pour intégrer « les populations adjacentes qui présenteraient les mêmes caractéristiques que celles initialement identifiées ». Le quartier « vécu » est celui où est « pris en compte les usages des habitants des quartiers et les actions mises en œuvre à leur intention » ; il « ne conduit pas à la définition d’un nouveau périmètre ».
Question financement, les crédits spécifiques de la politique de la ville sont « attachés » aux quartiers réglementaires, mais, insiste le CGET, « la logique de quartier vécu (…) permet la mobilisation de moyens en dehors des périmètres réglementaires ». Exemple donné par le CGET: une action portée par une association pourra être financée sur des crédits spécifiques de la politique de la ville (programme 147) même si l’association n’est pas implantée dans le quartier prioritaire, dès lors que cette action bénéficie majoritairement aux habitants de ce quartier.
Lot de consolation ou émergence d’un second zonage ? Le quartier « vécu » n’a pas fini d’agiter les négociations.
Quel intérêt à intégrer un groupe scolaire ?
Plus concrètement, le texte tente par ailleurs de prouver qu’il n’y aurait aucun intérêt à intégrer un groupe scolaire au périmètre du quartier prioritaire (c’est l’exemple qui est donné dans l’instruction) sous prétexte qu’on espère que le quartier sera retenu pour bénéficier du Nouveau Programme national de renouvellement urbain 2014-2024 et qu’à ce titre l’équipement scolaire pourrait bénéficier du programme Anru. Aucun intérêt car, rappelle l’instruction du CGET, « la loi prévoit que l’Anru pourra conduire des opérations à proximité de ces quartiers, dès lors que la requalification de ceux-ci le nécessite ».
Il n’y aurait pas non plus d’intérêt à annexer des friches au motif que les bailleurs sociaux qui y réaliseraient ultérieurement un programme pourraient alors bénéficier d’un abattement sur la taxe foncière sur les propriétés non bâtis. La CGET est formelle, « les nouvelles constructions de logement social font l’objet d’une exonération de TFPB sur une période de 15 ans », laquelle « n’est pas subordonnée à une inscription dans la géographie réglementaire ».
Inutile également, selon le Commissariat, d’inclure du foncier en friche afin de « s’assurer du bénéfice d’éventuels dispositifs visant à favoriser le développement économique » (on pense en particulier au dispositif qui devrait remplacer les zones franches urbaines par exemple). L’argument est toutefois là franchement discutable : « les réflexions engagées sur la nature des leviers mobilisables à cette fin ne sont pas achevées et il est donc prématuré d’anticiper sur leurs conclusions ».
Quid des avantages statutaires ?
Il n’y aurait pas non plus de raison d’inclure des équipements à la seule fin de maintenir les avantages statutaires accordés aux agents qui y travaillent. A ce propos, le CGET cite le décret du 3 juillet 2006 qui prévoit que la nouvelle bonification indiciaire (NBI) « ville » peut être octroyée aux fonctionnaires territoriaux en fonction dans les zones urbaines sensibles mais aussi « dans les services et équipements situés en périphérie de ces zones et assurant leur service en relation directe avec la population de ces zones ». Le CGET précise que le décret prévoit également que les collèges et lycées ouvrant droit à la NBI « ville » sont ceux figurant dans les listes arrêtées par l’Education nationale sur la base de critères propres, lesquels sont « liés notamment aux contraintes pédagogiques et géographiques identifiées ».
Le CGET fait référence à la réforme de la fonction publique en cours pour assurer que son pilote, la DGAFP (direction générale de l’administration et de la fonction publique), prendra en compte « les avantages statutaires attachés au zonage et les contraintes liées au calendrier de déploiement de la nouvelle géographie prioritaire ».
A noter que la circulaire conclut en invitant les préfets à mettre leur mouchoir sur ces grands principes si cela peut débloquer une négociation dans l’impasse. C’est plus joliment dit : « Si dans votre dialogue avec les collectivités, l’inclusion d’équipements ou de friches contigus au périmètre initial du quartier permet de faciliter la délimitation définitive des quartiers, il vous est possible d’y procéder, à titre exceptionnel et dans les limites raisonnables, à la condition que les propositions des collectivités vous paraissent pleinement cohérentes avec le projet de territoire porté par l’établisement public de coopération intercommunale. »
Valérie Liquet